Des scientifiques ont reconstitué les tatouages d’une momie sibérienne vieille de 2 000 ans
Une nouvelle technologie d’imagerie a permis aux scientifiques de déchiffrer les tatouages d’une momie de l’âge du Fer et de les étudier comme jamais auparavant.

Une modélisation en 3D de la momie tatouée piégée dans la glace. Elle appartenait à un groupe nomade appelé les Pazyryk. La photographie du dessus a été prise dans le spectre du visible et celle du dessous grâce à une technologie photographique proche de l’infrarouge.
Des symboles tribaux au nom d’un ancien partenaire amoureux, cela fait des milliers années que les humains tatouent leur peau. D’innombrables cultures ont développé et pratiqué cet art depuis au moins 5 000 ans. Parmi les exemples les plus connus on retrouve Ötzi, l’Homme des glaces, découvert congelé dans les Alpes. Sa peau était ornée de plus de soixante-et-un tatouages. La momie de Chinchorro, du Chili antique, comportait des marques noires, comme des points dessinant une moustache sous son nez, que l’on pense être des tatouages.
Malgré leur omniprésence, ces anciennes marques sont difficiles à étudier. Les scientifiques se sont reposés sur d’anciennes momies dont la peau avait été ainsi encrée pour tenter de comprendre les origines de cet art. Mais les tatouages sur leur peau étaient souvent estompés ou bien la momification les avait rendus invisibles, limitant les informations que les scientifiques pouvaient glaner.
À présent, de nouvelles technologies aident à donner vie à ces anciens tatouages. Une équipe internationale de chercheurs s’est servie de photographies de haute-résolution en proche infrarouge afin de reconstituer les dessins sur la peau d’une femme momifiée, préservée par le permafrost sibérien pendant environ 2 000 ans. Ils ont également déterminé les outils qui ont servi à créer ces formes sur son corps, et ont ainsi pu évaluer le talent de l’artiste.
Ces découvertes, publiées le 30 juillet dans la revue scientifique Antiquity, offrent de nouvelles perspectives sur la signification qu'avaient les tatouages à l’âge du Fer, dans la culture à laquelle appartenait la momie.
ENCRE ANCIENNE, NOUVELLE TECHNOLOGIE
Au milieu du 20e siècle, des archéologues ont découvert un véritable trésor dans les montagnes de la chaîne de l’Altaï : des momies. Celles-ci appartenaient à un peuple de nomades, les Pazyryk, qui habitaient la région il y a des milliers d’années. Parmi ces momies se trouvait une femme, enterrée à côté d’un homme, de neuf chevaux, d'une carriole et de plusieurs tapis ornementés. Cette momie et ses possessions sont conservées au musée de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg, en Russie, où des chercheurs ont récemment examiné ce qu’il restait de ses tatouages.
« Ses tatouages n’étaient même pas visibles au moment de son exhumation ; sa peau s’était déjà assombrie », explique Gino Caspari, archéologue de l’Institut de géoanthropologie Max Planck, en Allemagne, et auteur principal de cette étude. « Nous savions qu’il devait y en avoir plus sous la surface. »
Gino Caspari et son équipe se sont servis d’une technologie de photographie dans les proches infrarouges, une technique d’imagerie qui révèle ce que nos yeux ne peuvent voir, afin de créer une modélisation en 3D de la momie pazyryk. Si cette technologie existe depuis quelques années, ce n’est que récemment qu’elle a été utilisée pour étudier les tatouages que l’on pensait perdus dans les ravages du temps.

Photographie zoomée en haute résolution des tatouages sur l’un des avant-bras de la momie piégée dans la glace. Une incision pratiquée lors de la préparation de l’individu pour son inhumation traverse les tatouages, indiquant qu’ils ne jouaient pas un rôle spécifique lors des rites funéraires.
« Grâce à cette méthode non-invasive, nous avons pu découvrir les motifs des tatouages avec des détails d’une précision sans précédent », se réjouit Gino Caspari. « Cela nous a permis non seulement de documenter les tatouages avec fidélité, mais aussi de comprendre comment ils ont été faits. »
SUTURE OU PIQÛRE
Les scanners et les analyses qui ont découlé ont révélé des tatouages qui parcouraient les mains et les avant-bras de la momie. Ses mains étaient décorées d’oiseaux et d’autres petits motifs tandis que ses bras étaient une toile blanche pour dépeindre des animaux, des rennes, chassés par des tigres, des léopards et même par un animal quadrupède à bec ressemblant à un griffon.
Les chercheurs expliquent que ces découvertes aident à répondre à un débat sur la manière dont étaient faits les tatouages des Paryryk. Ont-ils été appliqués sur la peau par des sutures (un tatouage sous-cutané) où c’est un fil qui dépose le pigment ? Ou bien par piqûre, avec un bâton pointu ?
« Notre étude montre clairement qu’ils ont été faits grâce à une technique de ponction, ce qu’on appellerait aujourd’hui un stick and poke, », explique Gino Caspari.
Il ajoute que les tatoueurs utilisaient également des outils à une seule pointe et à plusieurs pointes afin de donner certains effets au tatouage. Pour soutenir ses hypothèses, Gino Caspari se réfère à une étude de terrain que son collègue a menée : il s’est fait lui-même un tatouage sur la jambe au stick and poke afin de voir comment ces tatouages cicatrisaient.
« Ce travail expérimental était essentiel », explique Gino Caspari.
UNE TOUCHE PERSONNELLE
Gino Caspari et son équipe ont également conclu que les tatouages n’ont pas tous été faits par des artistes de même talent.
« L’avant-bras droit était un chef d’œuvre, il jouait avec les contours du corps, comportait de la perspective et des détails très fins. L’avant-bras gauche, en contraste, était plus basique dans sa disposition et son exécution », décrit le scientifique.
L’équipe ajoute que, soit deux artistes travaillaient sur cette femme, ou que l’un d’eux l’a tatouée au début de sa carrière puis, plus tard, quand son trait est devenu plus sûr. Malgré les différences de détails entre les deux bras, l’étude suggère que même les tatouages les plus basiques ne seraient pas faciles à refaire par des artistes actuels.

Tatouage de l’avant-bras droit orienté vers le côté gauche et vers le poignet. A : état actuel ; B : correction de la courbure, lissage des plis cutanés et compensation du processus de dessèchement ; C : reproduction idéalisée du tatouage par un artiste.
« Le tatouage est plus complexe qu’il n’y paraît », explique David Lane, scientifique en justice pénale au sein de l’université publique de l’Illinois, qui étudie les tatouages contemporains et auteur du livre sur les artistes : The Other End of the Needle: Continuity and Change Among Tattoo Workers.
David Lane, qui n’a pas pris part à l’étude, explique que, au vu du talent requis et les outils spécialisés utilisés dans la réalisation de ces tatouages, il s’agissait sûrement d’un art respecté au sein de la société pazyryk, qui demandait entraînement et talent.
Les chercheurs ont conclu que les artistes responsables des tatouages de la momie étaient non seulement talentueux, mais aussi créatifs. Si beaucoup d’éléments de ces tatouages reflètent une iconographie déjà connue des Pazyryk, d’autres ne le font pas, suggérant que l’artiste a apporté une touche personnelle à son travail.
« Il est important de se souvenir qu’ils ont été réalisés par une main humaine », déclare Natalia Polosmak, archéologue de l’Institut d’archéologie et d’ethnographie de Russie, qui n’a pas pris part à l’étude.
Natalia Polosmak, qui a découvert de nombreuses momies pazyryk, dont la fameuse momie de la vierge des glaces en 1993, déclare, même si cette étude n’est pas révolutionnaire dans la connaissance que nous avons des Pazyryk, qu’« il est gratifiant que ces momies et ces tatouages continuent d’attirer l’intérêt des nouvelles générations de scientifiques avides de contribuer à l’étude de ces sujets rares et complexes ».
Pour Gino Caspari, le simple fait de pouvoir examiner cette momie piégée dans la glace et sa collection d’anciens tatouages est un privilège : « C’est un coup d’œil fascinant dans le passé d’un tatoueur talentueux, et un ajout précieux à la préhistoire d’un art qui intéresse de plus en plus de monde aujourd'hui. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
