Pourquoi nos ancêtres avaient-ils des dents plus alignées que nous ?
De nouvelles études explorent comment l’alimentation et l’évolution de notre anatomie ont façonné les sourires modernes.

Des études sur des crânes anciens montrent des mâchoires plus larges et moins de malocclusions, ce qui pousse les chercheurs à explorer comment l’alimentation et le mode de vie ont façonné le visage humain.
Les appareils dentaires, les élastiques, les gouttières, voire la chirurgie maxillo-faciale : des millions de personnes endurent ces traitements pour obtenir un sourire hollywoodien, composé de dents parfaitement alignées. Mais ces techniques n'ont pas toujours été nécessaires.
Si des malocclusions, dents encombrées ou mal alignées, ont été observées chez nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, elles semblent plus fréquentes chez l'Homme moderne. Alors, qu’est-ce qui a changé ? La réponse n’est ni simple, ni univoque, mais les chercheurs formulent une hypothèse probable : cela serait lié à notre alimentation. En remplaçant les aliments crus et durs par des produits plus mous et transformés, nous mastiquons moins, ce qui a fait rétrécir nos mâchoires au fil du temps.
Des chercheurs explorent aujourd'hui comment la biologie évolutive, le régime alimentaire et les modes de vie modernes ont pu remodeler nos visages... et nos sourires.
NOTRE ALIMENTATION A FAÇONNÉ NOTRE VISAGE
Les crânes humains anciens étaient sensiblement différents des nôtres. Les premiers chasseurs-cueilleurs avaient de grandes mâchoires puissantes, adaptées à la mastication exigeante de viandes dures, de légumes fibreux, de graines et de noix. Mais il y a environ 12 000 ans, les choses ont commencé à changer. À mesure que les humains troquaient la chasse contre l’agriculture, leur alimentation a évolué elle aussi, incorporant davantage de céréales et de produits cultivés.
Ces aliments étaient plus tendres, plus transformés et nécessitaient beaucoup moins de mastication. « À l’époque, on n’avait pas de crème glacée ni de pain blanc », explique Sue Herring, professeure émérite en orthodontie à l’université de Washington. « Quand on prend sa nourriture directement dans la nature, elle est probablement un peu plus [grumeleuse] que ce qui est cuit et transformé. »
Avec ces régimes plus tendres, la contrainte mécanique sur la mâchoire a diminué. Au fil des générations, nos mandibules ont commencé à rétrécir ; une tendance visible dans les archives fossiles. Cette réduction est, en partie, adaptative et le fruit de millénaires d’évolution, affirme Myra Laird, professeure assistante en sciences fondamentales et translationnelles à l’École de médecine dentaire de l’Université de Pennsylvanie. « Si vous n’avez pas besoin d’une grande mandibule, cela coûte de l’énergie de construire cet os en excès. »
Mais tous les changements de taille ou de forme de la mâchoire ne sont pas évolutifs. L’os est très sensible au stress physique, même au cours d’une vie, et il se développe autour des zones d’attache musculaire. En d’autres termes, moins d’usage musculaire entraîne des os moins robustes, explique Myra Laird, citant des études sur la croissance craniofaciale chez des animaux non humains comme les hyracoïdes. « Si vous passez à un régime liquide, vous utiliserez moins vos muscles, et on observe alors des changements morphologiques sur le visage. »
C’est exactement le changement que les chercheurs imaginent s'être produit chez les humains avec l’adoption de l’agriculture. « Les populations post-agricoles ont connu une réduction marquée de la taille des muscles masticateurs », dit Laird. « Cela suggère que l’origine de l’agriculture a diminué la charge du système d’alimentation », et, au final, a donné lieu à des bouches beaucoup moins spacieuses.
DES MÂCHOIRES TROP PETITES
Que se passe-t-il lorsqu’on essaie de loger le même nombre de dents dans une mâchoire plus petite ? L’encombrement et le chevauchement.
« La manière dont les dents émergent ressemble à une fermeture éclair », explique Julie Lawrence, professeure assistante en anthropologie biologique à l’Université du Nevada. « Votre mâchoire avance, ce qui crée de l’espace pour qu’elles sortent. » S’il n’y a pas assez de place, les dents peuvent rester incluses ou pousser en se chevauchant. Les troisièmes molaires, ou dents de sagesse, sont particulièrement à risque de ne pas faire éruption dans des mâchoires trop petites. Des recherches suggèrent que la discordance entre la taille de la mandibule et celle des dents serait responsable de l’augmentation du nombre de dents mal alignées dans la société post-industrielle.
« C’est cette perte d’espace qui entraîne vraiment les malocclusions, l’encombrement dentaire », souligne Myra Laird. « Le taux de malocclusion augmente considérablement [chez les humains modernes], et cela est universel à travers toutes les populations. »
Mais les experts rappellent que l’histoire n’est pas si simple. Bien que la fréquence des malocclusions semble avoir augmenté chez les humains modernes, des cas de dents incluses ou encombrées ont été observés sur des crânes d’homininés anciens. Les archives fossiles sont limitées et probablement peu représentatives, selon Julie Lawrence. « Les dents en bon état ont tendance à mieux se conserver », souligne-t-elle, ajoutant que les données anthropologiques ne tiennent pas compte de facteurs confondants comme les dents manquantes.
S’il semble exister une tendance à l’augmentation des malocclusions après l’industrialisation, ajoute-t-elle, tous les changements d’alignement dentaire ne sont pas dus à l’alimentation. Une supraclusion ou une infraclusion sévère, par exemple, résulte davantage de la génétique de certaines populations que de l’industrialisation.
De nombreux autres facteurs peuvent expliquer les dents mal alignées, notamment les conditions environnementales ou les anomalies du développement. Et certaines populations sont génétiquement plus prédisposées aux malocclusions.
Au final, la prévalence des dents non-alignées pourrait aussi s’expliquer, en petite partie, par un biais esthétique. « Notre société moderne est beaucoup plus sensible aux problèmes cosmétiques », conclut Herring. « Je pense que nous sommes beaucoup plus conscients des malocclusions aujourd’hui que ne l’étaient nos ancêtres. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
