Ce que les bébés comprennent du monde

Des scientifiques français ont montré que dès quatre mois, les bébés sont capables de catégoriser les objets qui les entourent.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 24 juin 2022, 16:50 CEST
Un nourrisson en pleine étude.

Un nourrisson en pleine étude. 

PHOTOGRAPHIE DE Eric Le Roux

Le regard d’un bébé recèle toujours une part de mystère : que comprend-il de son environnement ? Des chercheurs lyonnais se sont penchés sur la question. Avec, au bout du compte, cette conclusion publiée dans la revue PNAS en février 2022 : dès quatre mois, les enfants sont capables de distinguer l’image d’un objet inanimé de celle d’un être animé.

Ainsi, ils savent qu’un poisson ou un crocodile partagent plus de traits communs avec un humain qu’avec une pomme ou bien un arbre, grâce, sans doute, à une analyse des textures et des formes.

Pour arriver à ces résultats, les scientifiques ont montré des images de toutes sortes d’objets et d’êtres vivants à une centaine d’enfants âgés de quatre à dix-neuf mois. Pendant que les bébés observaient les photos, les scientifiques enregistraient les mouvements de leurs yeux comme le temps qu’ils passaient à scruter chaque vignette. « Depuis quelques dizaines d’années, on sait que le temps de regard d’un bébé donne une mesure de son attention par rapport à un certain stimulus – c’est donc une mesure indirecte de sa représentation de ce stimulus » explique Jean-Rémy Hochmann, chercheur au CNRS et à l’Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod, et co-auteur de l’étude aux côtés de Céline Spriet, Etienne Abassi et Liuba Papeo.

« Si le bébé considère que deux images sont similaires, il va les observer pendant une durée similaire. Si au contraire, il considère qu'elles sont différentes, il va en regarder une plus longtemps que l'autre. Pour arriver à cette conclusion, nous avons aussi atténué les autres facteurs de différences des photos – taille de l'image, luminosité, couleur – car à quatre mois, les bébés donnent beaucoup de poids à ce genre d'informations. » 

Les chercheurs ont comparé ces données à l’activité cérébrale des adultes, afin de vérifier que ces derniers organisaient bien les objets et êtres vivants en différentes catégories au sein du cortex cérébral.

Céline Spriet, doctorante à l'Institut des Sciences Cognitives Marc Jeannerod, en train de tester un jeune nourrisson.

PHOTOGRAPHIE DE Eric Le Roux

Un scanneur IRM mesurait les variations de débit et d’oxygénation du sang dans le cerveau des femmes et des hommes qui participaient à l’étude. Résultat : la vision d’un crocodile et d’un humain, à travers leurs formes et leurs textures, active le cortex cérébral de manière plus similaire que la vision d’un humain et d’une pomme, par exemple.

« Ce qui nous a intéressé, c'est de voir que les bébés étaient capables dès quatre mois de faire un lien entre le crocodile et le singe ou le crocodile et l’humain, de savoir qu'ils appartenaient à la même catégorie d'êtres animés – alors même qu'ils n’ont jamais vu à cet âge ni crocodile ni singe, et que nous leur montrions seulement des photos » souligne Liuba Papeo, directrice de recherche au CNRS et à l’Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod qui a mené l’étude.

Ce n’est pas tout : les scientifiques ont aussi testé les réactions d’enfants au-delà de 10 mois. « Dès la deuxième année de vie, avec le développement du langage et l'acquisition des premiers mots, les catégories s'affinent en un certain nombre de sous-catégories plus petites et aussi plus utiles dans le quotidien, comme par exemple celles des chiens ou des téléphones » poursuit Jean-Rémy Hochmann. Les chercheurs l’ont constaté grâce à la même méthode d’observation du regard des enfants. « Dès 10 mois, l’organisation cérébrale se rapproche de celle des adultes. Un objet mou et poilu avec un visage est immédiatement reconnu comme un être vivant, un animal, qu’importe la taille ou la luminosité de l’image – ces facteurs ne viennent plus brouiller les perceptions comme à quatre mois.  »

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    « Notre espèce devait savoir distinguer les prédateurs des autres. D’où le développement de ces catégories. On retrouve le même mécanisme chez les singes ou les chats » explique Liuba Papeo. Regrouper et ranger ce que l’on voit en différents tiroirs permet aussi de faire des suppositions et des prédictions. « Ce ne sont pas les mêmes informations qui sont utiles quand on interagit avec un être animé ou inanimé. Un être animé va avoir des buts, des désirs » souligne Jean-Rémy Hochmann. 

    D’autres études en cours devraient permettre de préciser ces résultats. Les scientifiques s’attellent cette année à comprendre les bébés plus jeunes, en dessous de quatre mois. « Il est en effet possible que cette distinction entre objets inanimés et animés se fasse encore plus tôt, mais la méthodologie utilisée lors de cette première étude ne permettait pas de le confirmer. Car pour que l’on analyse le regard, il faut que les enfants puissent soutenir leur tête » explique Liuba Papeo . Des électro-encéphalogrammes (EGG) mesurant l’activité neuronale grâce à des électrodes permettront donc de savoir si cette catégorisation existe dès les premiers jours de vie. 

    « La pensée du bébé est peut-être beaucoup plus riche que ce qui est déjà démontré expérimentalement – c’est tout l’intérêt d’aborder la question selon différentes méthodes » relève Jean-Rémy Hochmann. Les scientifiques devraient parvenir aux premiers résultats de ces nouvelles investigations dans les prochains mois. De quoi dévoiler un peu plus le mystère du regard des bébés. 

    Les scientifiques sont à la recherche de bébés pour poursuivre leurs recherches ! Si vous êtes basés à Lyon et souhaitez aider à comprendre le regard des enfants, vous pouvez vous inscrire avec votre progéniture au lien suivant : https://babylyonisc.wordpress.com/comment-participer/

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