Ces bactéries vivent à plus de 600 mètres de profondeur, sans eau ni soleil

Alors que les scientifiques pensaient depuis longtemps que les cyanobactéries avaient besoin de soleil pour survivre, une nouvelle étude démontre le contraire. Cela ouvre de nouvelles possibilités à la recherche de vie sur Mars.

De Maya Wei-Haas
En Espagne, les minéraux de la rivière Tinto, semblables à ceux présents sur Mars, ont amené ...
En Espagne, les minéraux de la rivière Tinto, semblables à ceux présents sur Mars, ont amené de nombreux scientifiques à étudier les formes de vies étranges qui prospèrent dans cet environnement rude, dans le but de trouver des indices sur ce qui pourrait vivre en dehors de notre planète.
PHOTOGRAPHIE DE Westend61, Getty

Dans le sud-ouest de l'Espagne se trouve un paysage qui semble sortir tout droit d'un film de science-fiction. Il s'agit de la ceinture pyriteuse ibérique. Ce paysage riche en fer est ponctué de lacs couleur rouille. La rivière Tinto, nommée ainsi pour sa couleur rouge vive, semble rougeoyer contre les pierres grises. Mais sous terre, les choses sont devenues encore plus bizarres.

À la surprise des scientifiques, des cyanobactéries ont été découvertes à plus de 600 mètres de profondeur, prospérant malgré la rareté de la lumière du soleil, de l'eau et des nutriments. Les scientifiques pensaient jusqu'alors que la survie de ces microbes dépendait de leur exposition au soleil, bien qu'ils soient plein de ressources : les chercheurs ont ainsi trouvé des individus vivant presque partout sur Terre.

« Vous allez dans le désert, il y a des cyanobactéries, tout comme dans la mer. Vous allez à la station spatiale internationale, des scientifiques envoient des microbes dans l'espace et les ramènent sur Terre, et ils sont toujours vivants », indique Fernando Puente-Sánchez, chercheur postdoctoral au Centre National espagnol de Biotechnologie. 

« Le seul habitat que nous n'avions pas étudié, c'était sous la surface de la Terre. »

Les cyanobactéries ont joué un rôle important dans l'histoire de la Terre. Ce sont elles qui ont injecté de l'oxygène dans l'atmosphère, permettant ainsi le développement de la vie dans l'eau, les airs et sur terre. C'est pour cela que la nouvelle étude, publiée hier dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, pousse les scientifiques à repenser ce qui peut survivre à plusieurs centaines de mètres de profondeur et peut-être aussi le type de créatures que nous devrions tenter de trouver dans notre recherche de la vie sur Mars entre autres. (À lire : Découverte d'un lac souterrain sur Mars - Ce que l'on sait).

 

DES CYANOBACTÉRIES VIVANTES À 600 MÈTRES DE PROFONDEUR

Fernando Puente-Sánchez, qui a réalisé cette étude alors qu'il étudiait au Centre d'Astrobiologie (CSIC-INTA) situé en Espagne, n'était pas à la recherche de cyanobactéries dans les carottes de roche prélevées dans la ceinture pyriteuse. L'équipe s'attendait plutôt à trouver des bactéries similaires à celles qui existent en surface, notamment les microbes qui oxydent le fer et le soufre.

« Nous n'avons pas trouvé ces microbes », indique Fernando Puente-Sánchez. À la place, les roches étaient couvertes de cyanobactéries. Au début, le doctorant pensait qu'il s'agissait d'une erreur et s'en inquiétait, se disant : « Mon doctorat ne mène nulle part, mon superviseur va me tuer ».

Grâce aux échantillons contrôle, l'équipe a pu vérifier que les microbes ne provenaient pas d'une contamination causée par le liquide de forage ou qui aurait eu lieu lors de leur analyse en laboratoire. Si les échantillons avaient été aspergés de liquide contaminé, les cyanobactéries n'auraient probablement pas été trouvées dans des endroits spécifiques, comme cela était le cas. Les microbes étaient en effet rassemblés le long des fractures dans la roche, laissant supposer l'existence de petites poches d'air. 

En ayant recours au CARD-FISH, une méthode qui permet d'identifier le matériel génétique du ribosome, responsable de la production de protéines dans une cellule, l'équipe a également confirmé que les cellules étaient vivantes et qu'il ne s'agissait pas de d'anciennes cellules qui auraient été introduites en profondeur. En effet, lorsqu'une cellule meurt, le matériel génétique du ribosome, très fragile, se désintègre rapidement. 

Il n'y avait donc pas d'erreur, mais cette découverte suscita de nouvelles interrogations : « Qu'est-ce que ces cyanobactéries font là ? Comment parviennent-elles à survivre ? », s'est demandé Fernando Puente-Sánchez.

 

DES CYANOBACTÉRIES QUI S'ADAPTENT

Les cyanobactéries trouvées sous terre ne semblent pas très différentes de celles qui prospèrent en surface. Une analyse métagénomique suggère qu'elles descendent de familles colonisant les pierres et qui réussissent à vivre dans les environnements rudes comme le désert ou des grottes où le soleil ne passe pas.

Toutefois, les scientifiques pensaient que même en vivant dans des grottes très sombres, les cyanobactéries étaient capables de capturer les rares photons qui ricochaient dans l'espace, utilisant l'énergie issue de la lumière du soleil pour décomposer l'eau et créer des électrons au cours de la photosynthèse. Alors comment ces bactéries qui vivent sous terre peuvent-elles survivre sans lumière ?

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    Cette étude est la première à confirmer que les cyanobactéries, ici visibles en rouge, parviennent à survivre dans les fissures et les pores des roches que l'on trouve sous terre, bien loin des rayons de lumière du Soleil.
    PHOTOGRAPHIE DE PNAS

    Il semblerait que ces cyanobactéries se nourrissent en grande partie d'hydrogène, comme l'atteste l'absence de ce gaz lorsque les cyanobactéries sont nombreuses dans les carottes de roche. Le gaz constitue une source d'aliment fréquente chez les microbes, en particulier ceux qui vivent dans la subsurface et ont donc moins de choix.

    Les cyanobactéries qui vivent sous terre semblent transformer et libérer des électrons d'hydrogènes à l'aide d'un système de récupération que leurs cousins qui vivent en surface utilisent pour la photosynthèse.Il semblerait aussi que les microbes tirent profit de la « soupape de sécurité » du système, un mécanisme relâchant les électrons qui produit de petites quantités d'énergie.

    En raison de l'abondance de lumière du soleil, les microbes qui vivent à la surface de la Terre n'ont pas vraiment besoin de ce supplément énergétique. Ils n'utilisent ce mécanisme que lorsqu'ils veulent empêcher leurs cellules de cuire sous un grand soleil, alors que les cyanobactéries qui vivent sous la surface de la Terre survivent en partie grâce à ces petites quantités d'énergie générées par la soupape lorsqu'elle libère les électrons accumulés.

     

    UN COMPORTEMENT LOGIQUE

    « C'est un mode de fonctionnement très intéressant », confie Jennifer Biddle, écologue microbienne à l'Université du Delaware qui n'a pas pris part à l'étude. « Les cyanobactéries évitent ainsi de changer beaucoup d'éléments pour pouvoir agir de la sorte. »

    D'après Virginia Edgcomb, microbiologiste spécialisée dans la biosphère marine et souterraine qui n'a pas pris part à l'étude, il n'est pas vraiment surprenant que le système permettant la photosynthèse soit réutilisé, puisque les micro-organismes qui vivent dans des environnements rudes doivent d'adapter pour survivre.

    « C'est un peu comme l'expression "mettre ses œufs dans le même panier"  », explique la microbiologiste. « Il est stupide de mettre tous ses œufs dans le même panier car vous devez être flexible. Vous devez être capable d'utiliser différentes éléments comme sources de carbone et comme accepteurs d'électrons car il y a des chances pour que vous viviez dans un environnement aux conditions imprévisibles et très contraignantes.

    Jennifer Biddle et Virgina Edgcomb confient qu'elles avaient déjà remarqué des signatures de cyanobactéries dans des échantillons prélevés sous terre. Jusqu'à maintenant, personne ne s'était intéressé à ces microbes ou bien ils pensaient qu'il s'agissait probablement d'une contamination.

    « Avant cette étude, il n'y avait aucune preuve solide attestant que la présence de cyanobactéries dans les échantillons de biosphère souterraine n'était pas le résultat d'une contamination », précise Virginia Edgcomb.

     

    DES CYANOBACTÉRIES SOUS LA SURFACE DE MARS ?

    Selon Fernando Puente-Sánchez, la découverte pourrait avoir des répercussions sur la recherche de vie extraterrestre. Cela fait longtemps que la région de la rivière Tinto est comparée à Mars en raison de sa richesse en fer et en soufre, semblable à ce que l'on peut voir sur la planète rouge.

    Cette nouvelle étude met en évidence l'adaptation dont fait preuve la vie et évoque la possibilité que des bactéries existent sur Mars, enfouies sous terre pour se protéger des radiations néfastes dont elles seraient victimes en surface. En 2020, l'agence spatiale européenne et la NASA devraient respectivement envoyer sur Mars les rovers ExoMars et Mars2020. Ces derniers seront à la recherche de signes de vie sur la planète rouge. Ils seront tous deux équipés de foreuses afin de recueillir des carottes de roche et ainsi découvrir si des microbes anciens y ont vécu ou si quelque chose de plus récent s'y trouve.

    « Je n'affirme pas qu'il existe des cyanobactéries sur Mars », précise Fernando Puente-Sánchez, avant de souligner que nous devons accroître nos connaissances sur ce qui est capable de se développer et de survivre sur notre planète.

    « Ce que nous considérons comme un environnement très rude, à l'instar de la subsurface ou de Mars, est en fait propice à la vie. »

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