Depuis les années 1980, les analyses ADN ont révolutionné la résolution des enquêtes criminelles

Lors d’une enquête criminelle, les traces biologiques prélevées sur la scène de crime sont analysées afin d’établir le profil ADN du ou des suspects, ce qui a permis d'élucider de nombreuses affaires.

De Romane Rubion
Publication 1 oct. 2025, 10:34 CEST
Des légistes commencent à rassembler les preuves sur une scène de crime.

Des légistes commencent à rassembler les preuves sur une scène de crime. 

PHOTOGRAPHIE DE Aleksei Gorodenkov

Entre 1995 et 2001, quatre jeunes femmes âgées de dix-sept à vingt-trois ans ont disparu aux abords de la gare de Perpignan. Tatiana Andújar a disparu le 24 septembre 1995, Mokhtaria Chaïb le 21 décembre 1997, Marie-Hélène Gonzalez le 16 juin 1998 et Fatima Idrahou le 9 février 2001. Trois d'entre elles ont été retrouvées mortes, mutilées selon un mode opératoire semblable, plongeant la ville dans un climat de peur. 

Les Disparues de la gare, série inédite en six épisodes bientôt disponible en streaming sur Disney+*, s’inspire de cette affaire criminelle qui a marqué la France, et qui a été en partie résolue des années plus tard grâce aux progrès de la police scientifique. En 2014, l’ADN d’un homme retrouvé sur la chaussure de l'une des victimes est enfin identifié : récemment inscrit dans le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG), il correspondait à celui de Jacques Rançon, qui avouera plus tard un second meurtre. À ce jour, trois meurtres ont été élucidés et impliquent deux meurtriers différents. Seule Tatiana Andújar n'a jamais été retrouvée.

Ce n’est que depuis les années 1980 que l’ADN, ou acide désoxyribonucléique, s’est imposé comme un élément central de la preuve scientifique. Il a profondément transformé la résolution des enquêtes criminelles, y compris celles restées non élucidées pendant des années. À cette époque, une véritable révolution scientifique a eu lieu grâce aux travaux du généticien britannique Alec Jeffreys. Depuis, les méthodes d’analyse ont sans cesse progressé, permettant des résultats toujours plus rapides et fiables, même à partir de quantités infimes de matière.

L’ADN est une molécule présente dans la plupart des cellules du corps humain. Certaines zones de cette molécule, appelées gènes, transportent les informations qui codent nos caractéristiques individuelles. Toutefois, la majeure partie de l’ADN est dite non codante et présente de fortes variations d’une personne à l’autre, sauf chez les vrais jumeaux. L’ADN constitue une empreinte biologique unique, capable de confondre un suspect comme de disculper un innocent.

Depuis 1998, les empreintes génétiques sont répertoriées dans le FNAEG. Ce fichier, qui compte aujourd’hui près de quatre millions de profils, permet à la police scientifique de comparer l’ADN retrouvé sur une scène de crime et de détecter d’éventuelles correspondances avec des individus déjà enregistrés.

En France, où l’ADN est considéré comme une donnée sensible à protéger, seules les zones non codantes sont analysées et les examens menés dans les laboratoires médico-légaux ne fournissent aucune information sur l’origine ethnique, les maladies ou les caractéristiques physiques des individus.

Le général François Daoust, ancien directeur de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), souligne que ce fichier a apporté « des résultats très importants et très intéressants dans de nombreuses affaires criminelles ». Philippe Esperança, expert en criminalistique, qui a débuté sa carrière à la fin des années 1980, évoque « de très vieux dossiers qui ont vraiment [marqué] le virage de la génétique », à l’instar du meurtre de Pleine-Fougères : un SDF, qui avait avoué sous la pression de la garde à vue le meurtre d’une petite fille, a finalement été disculpé grâce à l’analyse de son profil génétique. « La génétique a fait basculer beaucoup d’affaires », poursuit-il.

François Daoust note que « la conservation des scellés, [renforcée par la création en 1998 du Service central de préservation des prélèvements biologiques], ainsi que l’évolution des techniques d’extraction et d’amplification de l’ADN, ont permis de retravailler sur des affaires » restées non élucidées pendant des années. « À l’époque, il nous fallait presque une mare de sang pour faire un test ADN. […] Aujourd’hui, il suffit du simple contact d’une lèvre sur un verre ou sur un mégot », observe Philippe Esperança. L’analyse génétique est désormais « un outil extraordinaire qui a apporté de nouveaux éléments identifiants », conclut François Daoust, venant compléter ceux déjà fournis par les empreintes digitales.

 

L’ADN N’EST PAS UNE PREUVE « INFAILLIBLE »

Philippe Esperança, spécialisé en morphoanalyse des traces de sang, rappelle que les analyses ADN ne sont pas des preuves infaillibles. « Le profil génétique d’une victime retrouvé sur vous ne signifie pas [automatiquement] que vous êtes l’agresseur, mais [peut juste indiquer] qu’à un moment ou un autre, vous avez eu contact avec cette personne ». Selon lui, « l'ADN est comme tous les autres indices ; il n'y en a aucun dont on peut mesurer l'ancienneté. [...] Je peux très bien être venu auparavant sur les lieux [du crime] sans pour autant être impliqué dans les faits », poursuit-il.

L’expert en criminalistique estime que ces problématiques ont permis de remettre l’enquête de terrain au cœur du processus d’investigation. Pour lui, la génétique ne doit pas prendre le pas sur l’enquête mais doit y rester « auxiliaire » : « elle aide l'enquête, mais l'enquête doit donner de la force aux résultats de l'analyse génétique ». Le spécialiste constate qu’entre les années 1980, quand on pensait que « la génétique était là pour tout résoudre », et aujourd’hui, « l’ADN a été remis à sa place, au même [niveau] que tous les autres indices ».

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    PHOTOGRAPHIE DE Hanna Kuprevich, Alamy banque d'images

    Si l’analyse de l’infiniment petit permet de grandes avancées dans les enquêtes, elle oblige également les intervenants sur les scènes de crime à redoubler de précautions, afin d’éviter une mauvaise identification d’un profil ADN. Aujourd’hui, « les pollutions sont monstrueuses », alerte Philippe Esperança. La moindre trace biologique peut désormais être détectée, rendant le risque de contamination plus élevé que jamais.

    François Daoust évoque, lui, le risque de transfert d’ADN, en expliquant que certaines études scientifiques ont montré qu’un même profil génétique peut être transmis jusqu’à une sixième personne par une chaîne de contacts successifs. Ainsi, un ADN retrouvé sur une scène de crime peut appartenir à un individu qui ne s’y est jamais rendu. Dans son livre Police technique et scientifique : Le choc du futurle général François Daoust revient également sur plusieurs cas d’erreurs survenues lors d’analyses en laboratoire.

     

    AVANCÉES TECHNOLOGIQUES ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

    Aujourd’hui, les recherches en sciences forensiques et criminelles explorent de nouvelles pistes technologiques, comme la détection d’ADN dans l’air ou le recours à l’algorithmie et l’intelligence artificielle pour l’extraction et l’identification des profils génétiques.

    Selon François Daoust, cette dernière pourrait se révéler particulièrement utile dans le cadre de la microdissection, cette technique qui consiste à repérer les cellules humaines au microscope et à extraire l’ADN contenu dans leur noyau. Un procédé long et minutieux, pouvant durer plusieurs semaines. « Ce que l’œil humain et l’expert font en plusieurs semaines, voire plusieurs mois, l’intelligence artificielle peut le faire en quelques heures », souligne-t-il. 

    « Au tout début, l’ADN était considéré comme la “preuve reine” », se souvient Philippe Esperança. Le spécialiste revient sur la révolution qu’a constituée l’ADN dans les enquêtes judiciaires : « on arrivait sur une scène de crime et c’était : “waouh ! On a la trace de sang d’un tel, donc on sait qui a fait ça !” ». Pour le général François Daoust, « l’engouement était tel que la première chose que faisaient [les enquêteurs] quand ils arrivaient sur une scène de crime, c’était de demander aux techniciens de faire les prélèvements [ADN]. Ils attendaient les résultats du laboratoire avant de commencer l'enquête, tellement persuadés que ça allait leur donner le nom du coupable sur un plateau ».

    Le général explique que l’affaire Grégory, qui a défrayé la chronique en France en 1984, « montre que tout ce qui a été impulsé en police scientifique [jusqu’alors] est retombé ». Il constate depuis un renouveau des méthodes d'investigation, porté par l’essor des sciences forensiques et concrétisé par la création, en 1985, de la Sous-direction de la police technique et scientifique (SDPTS), puis, en 1987, de l’IRCGN. Pourtant, à cette époque, « on ne parle même pas encore d’ADN ».

    Outre-Manche, une révolution scientifique est en marche. En 1984, le chercheur britannique Alec Jeffreys découvre que l’ADN présente des variations significatives d’un individu à l’autre, rendant possible leur identification génétique. Trois ans plus tard, cette avancée majeure permet d’élucider l’affaire Colin Pitchfork : pour la première fois, un criminel est confondu grâce à son empreinte ADN. « L’Angleterre connaît alors un véritable engouement autour du développement de la génétique », souligne François Daoust.

    Il faudra attendre les années 1990 pour que « la France commence à investir » dans les analyses génétiques de traces biologiques, telles que le sang, les cheveux ou les fluides corporels. À ce moment-là, François Daoust estime que ces analyses relèvent encore « d’une technique de laboratoire dont les résultats ne s'appuient sur rien : on ne peut comparer [l’ADN retrouvé] qu’avec celui des personnes susceptibles d’être mises en cause dans l’affaire ». C’est à la suite de l’affaire Guy Georges, en 1998, que le FNAEG voit enfin le jour : désormais, « toute trace ADN devra être comparée avec le fichier, comme avec les personnes mises en cause ». En 2003, le FNAEG s’ouvre « à la majorité des infractions, qu’elles soient délictuelles ou criminelles ».

    De plus, l’algorithmie « nous promettrait de reconstituer les parties manquantes [d’un ADN partiel ou dégradé] avec une forte probabilité de réussite ». Cependant, le général explique que « le risque avec l’intelligence artificielle, c’est l’extrapolation : elle crée ce qui n’existe pas en se basant sur une probabilité qui n’est pas vérifiée à 100% ». Une telle approche pourrait ainsi conduire « à créer un ADN susceptible d’incriminer [à tort] une personne, en ne se basant que sur de la donnée statistique et probabiliste ».

    Outre ces avancées technologiques prometteuses, une autre innovation suscite un vif débat éthique et juridique : la généalogie génétique. Depuis le début des années 2000, aux États-Unis, cette méthode connaît un essor considérable grâce aux entreprises spécialisées qui mettent à disposition des bases de données généalogiques. La police américaine a rapidement saisi le potentiel de cette approche dans la résolution d'affaires criminelles.

    En France, le recours à la généalogie génétique est formellement interdit. François Daoust rappelle que « la loi oblige à ce que l’on fasse l’analyse de l’ADN sur des segments non codants, c’est-à-dire qui ne correspondent à aucun gène ». Pourtant, certaines affaires criminelles françaises ont ouvert une brèche dans les règles encadrant le fichage génétique. En 2002, dans l’affaire Élodie Kulik, une recherche de parentèle autorisée a permis d’identifier un suspect via un lien familial détecté dans le FNAEG. Depuis 2016, cette pratique est depuis officellement encadrée par la loi. Autre cas notable : entre 2012 et 2014 à Lyon, un portrait-robot génétique a été exceptionnellement utilisé pour aider à identifier un violeur en série.

    *The Walt Disney Company est l'actionnaire majoritaire de National Geographic Partners.

    Les Disparues de la Gare, série originale, sera disponible en streaming sur Disney+ en octobre 2025.

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