Éruption volcanique et tsunami : que s'est-il passé dans les îles Tonga ?

Le panache volcanique a généré un nombre record d'éclairs avant de produire une explosion entendue des milliers de kilomètres à la ronde. Des origines du phénomène à ses conséquences potentielles, voici les hypothèses des géologues.

De Robin George Andrews
Publication 19 janv. 2022, 10:28 CET
Éruption du Hunga Tonga

Un volcan sous-marin est entré en éruption de façon spectaculaire dans le Royaume de Tonga le 15 janvier 2022, comme le montre cette image (à droite) prise par un satellite météorologique japonais.

PHOTOGRAPHIE DE Agence météorologique du Japon via AP

Il y a quelques semaines, un volcan sous-marin identifiable par deux îles inhabitables du royaume des Tonga est entré en éruption. Au départ, le réveil de ce volcan semblait inoffensif, quelques nuages de cendre et des explosions largement passées inaperçues en dehors de l'archipel.

Ces derniers jours en revanche, le Hunga Tonga-Hunga Ha'apai a mis le monde à ses pieds.

Après une accalmie, l'éruption a repris de plus belle. Le centre de l'île a disparu des images satellite. Les colonnes de cendre vertigineuses ont commencé à produire des orages volcaniques d'une rare intensité.

« Le volcan s'est déchaîné, » témoigne Chris Vagasky, météorologue et responsable des données sur la foudre pour l'entreprise finlandaise Vaisala. « On a commencé à voir 5 ou 6 000 événements par minute, soit près d'une centaine par seconde. C'est incroyable. »

Puis, dans la matinée du 15 janvier, le volcan a produit une explosion colossale. L'onde de choc émanant de l'île a soufflé l'atmosphère avec une vitesse proche de celle du son. Le bang supersonique a été entendu dans certaines villes de Nouvelle-Zélande, à plus de 2 000 km de là ; l'onde de choc s'est propagée jusqu'au Royaume-Uni après avoir parcouru près de 16 000 km.

À la stupeur générale, un tsunami a rapidement suivi l'explosion. Il a frappé Tongatapu, l'île principale du royaume des Tonga où se trouve la capitale Nuku'alofa, à quelques dizaines de kilomètres au sud du volcan. L'île s'est retrouvée privée de communications alors que ses habitants tentaient d'échapper à la catastrophe. Des vagues plus petites ont traversé l'immense océan pour toucher d'autres régions du Pacifique Nord-Ouest, provoquant des inondations en Alaska, dans l'Oregon, dans l'État de Washington et en Colombie-Britannique. Certaines villes de Californie, du Mexique et d'autres pays en Amérique du Sud ont également enregistré des vagues mineures de tsunami.

À en croire les études récemment menées sur l'histoire géologique du volcan, une éruption aussi puissante serait un phénomène rare à l'échelle humaine : une telle explosion est censée se produire une fois tous les mille ans. Les scientifiques espèrent que cet épisode était le point culminant de l'éruption. Quoi qu'il en soit, pour les habitants de l'île, le mal est déjà fait.

Pour les Tonga, « c'est un événement potentiellement dévastateur, vraiment douloureux à regarder, » déclare Janine Krippner, volcanologue du Global Volcanism Program de la Smithsonian Institution. « Rien que d'y penser, ça me rend malade. »

Comment expliquer une telle éruption ? À quoi doit-on s'attendre désormais ? Ces questions taraudent les scientifiques et une population encore sous le choc, mais les informations tardent à nous parvenir, notamment en raison de l'emplacement du volcan qui rend difficile son observation de plus près.

« Il y a bien plus de questions que de réponses à ce stade » indique Krippner. Voici un résumé de l'état actuel des connaissances sur les forces tectoniques et géologiques à l'œuvre, ainsi que leurs potentielles conséquences pour l'avenir du volcan.

 

CEINTURE DE FEU

Hunga Tonga-Hunga Ha'apai se situe dans une région du Pacifique Sud truffée de volcans au penchant affirmé pour les éruptions violentes, certains se trouvent en surface et d'autres bien loin sous les vagues. En 2019, une île de pierres ponces à la dérive voyait le jour suite à l'éruption d'un volcan sous-marin. Un autre volcan de la région préfère se déplacer au gré de ses explosions.

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    Cette profusion de volcans est due à la subduction de la plaque pacifique sous la plaque australienne. À mesure que la plaque plongeante s'enfonce dans la roche en fusion du manteau, l'eau qu'elle contient s'évapore et rejoint le manteau sus-jacent. Ajouter de l'eau à ces roches accélère leur fusion ; cela crée une grande quantité de magma visqueux et rempli de gaz, la recette parfaite pour une éruption explosive.

    Le Hunga Tonga-Hunga Ha'apai ne fait pas exception à cette règle. Les îles morcelées reposent sur un volcan de plus de 19 km de diamètre, dont 5 km de cratère en forme de chaudron masqué par la mer. Ses furieuses éruptions défrayaient déjà la chronique en 1912, le volcan se hissant parfois par-dessus les vagues avant d'être effacé par l'érosion. L'éruption de 2014-2015 a donné naissance à une île stable qui a rapidement vu apparaître des plantes aux couleurs vives et une population de chouettes effraies.

    Au début de sa nouvelle éruption, le 19 décembre 2021, le Hunga Tonga a produit une série d'explosions et une colonne de fumée haute de 16 km, mais il ne faisait « rien qui sorte de l'ordinaire » pour un volcan sous-marin, indique Sam Mitchell, volcanologue à l'université de Bristol au Royaume-Uni. Dans les semaines qui ont suivi, le volcan a déversé suffisamment de lave pour étendre de 50 % la surface de l'île avant d'entrer dans une phase plus calme au début de la nouvelle année.

    Puis, ces derniers jours, la situation s'est envenimée.

     

    AMBIANCE ÉLECTRIQUE

    Alors que le volcan gagnait en explosivité, la foudre générée par son nuage de cendres a commencé à éclipser toutes les éruptions observées jusqu'à présent.

    Les volcans peuvent produire de la foudre, car les particules de cendre des panaches volcaniques entrent en collision entre elles ou avec des morceaux de glace dans l'atmosphère, ce qui génère une charge électrique. Les charges positives se séparent des charges négatives, ce qui déclenche un impact de foudre.

    La foudre générée par l'éruption du Hunga Tonga a immédiatement été détectée par le réseau GLD360 de Vaisala, qui utilise une toile mondiale de récepteurs radio pour « entendre » la foudre sous la forme de sursauts d'ondes radio. Pendant les deux premières semaines, le système a enregistré jusqu'à cent voire mille impacts de foudre par jour, rien d'anormal. « J'imagine qu'il s'éclaircissait la gorge, » illustre Vagasky.

    Mais dans la nuit de vendredi à samedi, le volcan s'est mis à produire plusieurs dizaines de milliers de décharges, allant même jusqu'à générer 200 000 décharges en une heure à un certain moment. À titre de comparaison, l'éruption du volcan indonésien Anak Krakatoa en 2018 n'avait produit que 340 000 décharges en une semaine.

    « Je n'arrivais pas à croire les chiffres, » témoigne Vagasky. « On ne voit pas souvent ça avec un volcan. C'était vraiment autre chose. Aucun endroit sur Terre n'était aussi électrique que ce volcan cette nuit-là. »

    C'était peut-être spectaculaire de loin, mais la scène devait être apocalyptique de plus près : une explosion permanente de lumière sur fond de tonnerre et de grondement volcanique. La foudre ne s'est pas limitée au panache volcanique et a également touché le sol et l'océan. « C'était extrêmement dangereux pour quiconque se trouvait sur autres îles des Tonga, car il y avait toute cette foudre qui tombait à proximité, » explique Vagasky.

    Mais alors, pourquoi cette éruption a-t-elle produit ce qui semble être un nombre record de décharges ?

    La présence d'eau augmente toujours les probabilités de foudre, indique Kathleen McKee, chercheuse en acoustique des volcans au Laboratoire national de Los Alamos, au Nouveau-Mexique. Lorsque le magma interagit avec une étendue d'eau peu profonde, l'eau piégée est violemment chauffée et vaporisée, ce qui fait exploser ce magma en millions de petits fragments. Plus les particules sont fines et nombreuses, plus il y a de foudre.

    La chaleur de l'éruption transporte également vers les hautes altitudes plus froides de l'atmosphère, où elle se trouve en glace, explique Corrado Cimarelli, spécialiste en volcanologie expérimentale à l'université Louis-et-Maximilien de Munich. Cela augmente le nombre de particules avec lesquelles la cendre peut entrer en collision et générer de l'électricité.

    Pour l'heure, il est encore difficile de déterminer les origines précises d'une telle activité électrique. « Malheureusement, le volcan est plutôt isolé et il y a quelques contraintes dans les profils atmosphériques à proximité du panache, » indique Cimarelli.

     

    ONDE DE CHOC

    La quantité phénoménale de foudre n'était pas le seul prélude à l'explosion cataclysmique du volcan. Samedi matin, les images satellite ont révélé que l'île avait arrêté de s'étendre : le centre de l'île volcanique avait disparu, probablement à cause d'une augmentation de l'explosivité.

    Lorsque l'explosion s'est finalement produite, l'onde de choc a parcouru la planète à des vitesses ahurissantes. Elle a immédiatement été suivie d'un tsunami qui s'est abattu sur plusieurs îles de l'archipel des Tonga avant de traverser à la hâte le Pacifique.

    Selon Jackie Caplan-Auerbach, sismologue et volcanologue à l'université Western Washington de Bellingham, l'explosion a libéré « une quantité d'énergie époustouflante. » Cependant, les données actuelles ne suffisent pas à déterminer la cause précise du tsunami.

    Ce phénomène est provoqué par le déplacement de grandes masses d'eau, ce qui peut se produire suite à une explosion sous-marine, un effondrement des parois du volcan ou une combinaison de ces événements avec d'autres facteurs.

    Le Hunga Tonga est en grande partie submergé et une colonne de cendres masque actuellement le volcan, c'est pourquoi les scientifiques auront besoin de temps pour rassembler des données indirectes avant de tirer une conclusion. Ces données pourraient provenir du type d'onde acoustique généré par l'explosion ou de la redistribution des masses autour du volcan.

    « Difficile de se prononcer pour le moment, » témoigne Caplan-Auerbach, mais le fait qu'une île volcanique de taille modérée ait pu produire une explosion aussi intense et un puissant tsunami « laisse deviner l'incroyable puissance de l'éruption. » Et bien que ce ne soit pas la cause du tsunami principal, l'onde de choc a elle-même déclenché une autre vague importante : la vitesse de déplacement de l'air s'est avérée suffisante pour forcer l'eau à s'écarter, un phénomène appelé tsunami météorologique.

    D'après une publication récente sur le blog du volcanologue Shane Cronin, rattaché à l'université d'Auckland, les raisons de l'intensité de ce phénomène se trouvent dans les propriétés chimiques du volcan, des propriétés variables selon le volume de magma contenu.

    Ce volcan, comme bien d'autres, doit remplir sa chambre magmatique après chaque éruption majeure. La dernière du genre s'est produite en 1100 ; depuis, la roche fondue ne cesse de s'accumuler en profondeur. À l'approche de sa contenance maximale, de petites quantités de magma s'échappent du volcan, ce qui est probablement à l'origine des éruptions survenues depuis 2009.

    « Une fois la chambre remplie, la grande quantité de magma cristallisé entraîne une hausse de pression trop rapide pour être évacuée par de petites éruptions, » explique Cronin. Lorsque cette énorme réserve de magma trouve une échappatoire, la dépressurisation est violente et la roche fondue évacuée en une gigantesque explosion.

     

    UN AVENIR INCERTAIN

    Quand bien même l'archipel des Tonga devrait son existence aux forces infernales qui ont façonné ses îles, le prix à payer pour y vivre semble désormais excessif. Le royaume ne compte que 100 000 habitants, dont un quart dans la capitale, et ils sont aujourd'hui assiégés par les cendres et les tsunamis.

    « Pour l'heure, la plus grande inconnue est le sort des habitants de l'archipel, » déclare Krippner. Cette éruption « risque de détruire le pays, » ajoute Mitchell.

    Nous voilà donc à la question que tout le monde se pose : « Cette éruption est-elle terminée ? » interroge Krippner. « Nous ne savons pas. »

    Une éruption aussi terrifiante pourrait marquer la décapitation de la chambre magmatique superficielle suivie de l'exsanguination rapide des entrailles en fusion du volcan, illustre Mitchell. Cette éruption va faire l'objet d'une étude intensive par les volcanologues, ce qui ne manquera pas d'améliorer leur compréhension des événements à venir et de dynamiser les efforts visant à en atténuer les conséquences.

    Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur le futur de cette éruption. Pour le moment, tous les regards restent braqués sur le Hunga Tonga-Hunga Ha'apai.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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