L'Etna est (encore) entré en éruption
Au début du mois, les touristes et les habitants des environs de la ville de Catane, en Sicile, ont été surpris par une spectaculaire éruption du volcan.

Un randonneur au sommet de l'Etna.
Dans la nuit du 1er au 2 juin, une activité strombolienne a d’abord été détectée grâce aux caméras de surveillance, selon un communiqué de l’Institut national de géophysique et de volcanologie (INGV). Le matin suivant, à 9h24, heure locale, les personnes présentes près du mont Etna ont pu observer dans le ciel un épais nuage de cendres, de gaz et de roches, atteignant une hauteur de 6,5 kilomètres. L’INGV, qui dispose d’un observatoire à Catane, a indiqué que la coulée pyroclastique observée au moment de l’éruption aurait probablement été provoquée par un effondrement sur le flanc nord du cratère Sud-Est.
Constituée de matières volcaniques brûlantes dévalant à grande vitesse le long des pentes du volcan, cette nuée ardente est passée tout près des touristes, spectateurs aux premières loges, qui n’en sont pas moins restés effrayés. Dans un autre communiqué, l’institut précise que l’activité explosive de ce même cratère a ensuite évolué en trois coulées de lave distinctes. Bien que spectaculaire, la phase éruptive, qui a duré entre quatre et six heures, n’a pas entraîné d’évacuation : les autorités italiennes ont appelé à la prudence mais ont écarté tout risque pour la population.
Forte d’au moins 2 700 années de documentation, l’histoire volcanique de l’Etna est l’une des plus longues jamais enregistrées. Son activité, entamée il y a plus de 500 000 ans, continue d’alimenter à l’échelle mondiale la recherche en volcanologie, géophysique et autres disciplines des sciences de la Terre. Considéré comme le plus haut volcan actif d'Europe, l'Etna est inscrit depuis 2013 au patrimoine mondial de l’UNESCO, en tant que site privilégié pour l’étude des processus géologiques et biologiques. Ce territoire volcanique de 19 237 ha séduit également par ses paysages majestueux, attirant les touristes les plus téméraires, qui doivent rester toutefois conscients des risques inhérents à un tel environnement naturel.
LE CONTEXTE
Pour Patrick Allard, volcanologue au CNRS, la manifestation volcanique de juin dernier fait partie « d’un genre d'éruption qui démarre assez vite, qui ne dure pas longtemps, qui est très puissante, très impulsive et qui s'arrête très vite. [...] Elle se distingue de certaines autres éruptions de l’Etna, qui sont plus standards et peuvent durer longtemps, mais est très caractéristique d’un phénomène qui se reproduit depuis plusieurs décennies », notamment au niveau du cratère Sud-Est.
En amont de l’éruption, Patrick Allard explique « qu’il y a eu une surpression de gaz qui s’est accumulée dans une poche de magma située à deux kilomètres de profondeur. Lorsque cette poche est réellement en surpression, tout se relâche, le magma suit, et fait irruption. Au début, […] cela provoque une activité strombolienne, des explosions en jets de lave, qui se transforment ensuite […] en un jet continu, qu’on appelle fontaine de lave ».
Ce jet peut atteindre « plusieurs centaines de mètres de haut, voire un kilomètre » et peut durer plusieurs dizaines de minutes. Selon l’expert, ce phénomène, qui s’est intensifié depuis le début des années 2000, est « l’un des plus beaux spectacles qu’il soit donné d’observer sur un volcan ». En 2025, une quinzaine d’éruptions de ce type se sont produites, qualifiées de « paroxysmes » par Arnaud Guérin, photographe et géologue spécialisé dans la volcanologie. Selon lui, « ce cratère [Sud-Est] croît au fur et à mesure des éruptions. Sa hauteur augmente et comme sur Terre, tout est soumis à la gravité, à un moment, les matériaux dépassent la pente limite et cela peut générer des effondrements ». Il explique qu’une activité volcanique importante peut également en être la cause, à l’instar de l’éruption survenue le 2 juin dernier.
Lors de cet épisode, les coulées de lave ont entrainé un effondrement partiel du cône volcanique du cratère Sud-Est, déjà sujet à ce type d’événement par le passé. Comme l’explique Patrick Allard, ce cratère sommital est localisé au niveau « d’une grande échancrure, d’un écroulement passé du volcan », sur laquelle il s'est formé très rapidement, à partir de 1971. L'effondrement du 2 juin dernier « a entrainé une avalanche d’un million de mètres cubes de roches, de blocs chauds et froids », qui a dévalé à une vitesse de 140km/h une pente très raide longue de trois ou quatre kilomètres, avant d’être stoppé par le flanc nord de l’échancrure. De plus, par sa position géographique, Arnaud Guérin, auteur de Le grand Atlas des volcans, estime que l’Etna est un « formidable château d’eau ». L’eau et la neige, encore présente sur les sommets de l’Etna, qui culmine à 3 330 mètres d’altitude, ont généré de la vapeur au contact du magma chaud, accentuant l’explosivité de l’éruption.
À l’avenir, bien qu’il soit difficile à prévoir, Patrick Allard estime que « l’on peut s'attendre à un effondrement très important [du cratère Sud-Est], soit sous l'effet d'une simple éruption qui le déstabilise, soit [à la suite] d’une activité sismique qui le fragilise ». « C'est très classique pour un volcan, surtout les grands volcans comme l'Etna, de grandir jusqu'à une certaine hauteur et stabilité. Et puis, un jour ou l'autre, ils finissent par se casser et s'effondrer », conclut-il.
ANTICIPER LES RISQUES ACTUELS
L’éruption de juin dernier a été précédée de trois signaux précurseurs, détectés à temps par les volcanologues de l’observatoire, qui emploie près de 120 personnes. Le premier indice a été l’augmentation des vibrations sismiques du volcan, provoquée par la remontée du magma sous pression. « L’Etna vibre de manière générale parce qu’il est hyperactif, avec des conduits ouverts et toujours du magma qui barbote [à l’intérieur]. Mais par moments, ce magma remonte plus vite et de plus profond, de deux ou trois kilomètres », explique Patrick Allard. En remontant, par sa vitesse et sa puissance, « le magma frotte les parois du volcan et fait vibrer tout l’édifice volcanique ».
Le deuxième signal observé est le gonflement du volcan, dû à la pression exercée par le magma en profondeur. « Ce sont des petites variations, mais elles sont sensibles », précise le volcanologue. Le troisième signe précurseur est l’augmentation du dégazage, notamment de dioxyde de carbone, émis par les bouches volcaniques. Ces signaux permettent d’anticiper les risques liés à une telle activité volcanique et de garantir la sécurité des populations locales comme des touristes présents sur place.
Patrick Allard rappelle que l’Etna est entouré par « la ville de Catane, [deuxième ville la plus peuplée de Sicile], côté sud, et des villages sur les flancs est, nord et ouest ». Arnaud Guérin affirme que « les Siciliens ont un rapport au temps qui est totalement différent car ils savent qu’ils peuvent tout perdre du jour au lendemain ». En dépit de cette vulnérabilité, le géologue rappelle que, pour beaucoup, « l’Etna représente une force positive », en particulier dans le domaine agricole.
Le volcan est également une destination touristique très fréquentée. « Plusieurs milliers de personnes montent tous les jours, et globalement, la sécurité est assez bien assurée, parce que les guides […] sont extrêmement familiers du volcan et connaissent parfaitement ses humeurs. [...] Ils sont informés par l'observatoire de l'Etna des risques [volcaniques] et restreignent l'accès aux touristes à certaines zones, en fonction du degré d'activité », poursuit Patrick Allard. Cette organisation rigoureuse de la sécurité vise à éviter des drames comme celui survenu en 1979, lorsqu’une explosion soudaine avait causé la mort d’une dizaine de touristes. Arnaud Guérin rappelle que le « volcanisme reste, malgré tout, un phénomène qui tue peu » : depuis le 18e siècle, on dénombre environ 300 000 victimes dans le monde.
UN LABORATOIRE NATUREL
Pour Patrick Allard, la proximité géographique de l’Etna en fait un terrain d’étude exceptionnel pour les spécialistes européens. « On n’est pas obligés d’attendre dix ou vingt ans avant qu’il ne s’éveille. Il est tout le temps en activité, […] et produit un large spectre de manifestations », telles que des éruptions effusives et explosives. Les éruptions effusives correspondent à des coulées de lave « qui peuvent être dangereuses pour les habitations [situées] plus bas », explique-t-il. L’éruption « du 2 juin, [marquée par des fontaines de lave], est un intermédiaire entre les deux ». Selon Arnaud Guérin, l’Etna est « l’un des volcans les plus intéressants à étudier », du fait de la variabilité des phénomènes qui y sont observés.

Depuis le début des années 1970, et pendant trois décennies, l’Etna a connu une fréquence accrue d’éruptions et une hausse de sa production magmatique. Selon Patrick Allard, depuis le milieu des années 2000, il serait entré dans une phase de stagnation, bien qu’il reste plus actif et plus explosif qu’il ne l’était il y a un siècle. Cette évolution s’expliquerait par un changement dans la nature du magma. Le volcan a connu néanmoins « des phases encore plus explosives dans le passé, il y a quelques centaines, milliers, voire dizaines de milliers d’années », précise Patrick Allard.
L'Etna est aujourd’hui « truffé d’instruments, c’est donc l’un des volcans les plus équipés du monde ». Il est « un véritable laboratoire naturel pour les volcanologues », affirme Patrick Allard. Grâce à sa facilité d’accès, l'Etna permet d'observer des multitudes de « types d'éruptions différents, de tester de nouvelles mesures, d’enregistrer des phénomènes, de corréler différents types de paramètres et de mieux comprendre ensuite ce qui se passe en profondeur ». Pour le volcanologue, « ce qu'on apprend à l'Etna, on peut l'appliquer à d'autres types de volcans. En l’étudiant, on a beaucoup fait avancer la compréhension des processus magmatiques qui amènent à des éruptions volcaniques ».
Parmi les grandes interrogations scientifiques qui subsistent à propos de l’Etna figure notamment « la relation entre l'activité du volcan lui-même et l'activité tectonique [théorisée dans les années 1970], c'est-à-dire les mouvements de plaques qui ont contrôlé sa naissance » et qui influencent encore son évolution. Pour Arnaud Guérin, « même avec les progrès de la volcanologie moderne, on ne peut pas prédire l’activité dans les heures qui viennent. »
« L'Etna fait des transitions de styles éruptifs très rapides : [on observe] des coulées très calmes [comme des manifestations] très explosives et puissantes. On ne maîtrise pas encore totalement la théorie et la mesure des causes de la dynamique de ce changement », poursuit Patrick Allard. Enfin, « les leçons que l’on peut tirer de notre surveillance, de l'étude et des recherches sur l'Etna ne sont pas toujours transposables directement. Il y a des volcans qui présentent des situations plus compliquées ».
Pour Patrick Allard, à l’avenir, « ce qu'on peut penser, ce qu'on voit, c'est que l'Etna va continuer plus ou moins sur ce rythme », du moins en altitude. Le chercheur estime que « le grand danger, ce sont les grandes éruptions [effusives] qui pourraient se déclencher à basse altitude ». Ces coulées de lave pourraient « se déverser jusqu’à la mer, sur les flancs du volcan », et menacer les zones basses, aujourd’hui densément peuplées.
Arnaud Guérin rappelle qu’en 1669, une éruption localisée sur les flancs du volcan, à basse altitude, avait traversé la ville de Catane et en avait détruit une large partie. Pour le géologue, prévoir l’évolution d’un volcan à 50 ou 100 ans n’a pas vraiment de sens : ses morphologies changent lentement, à l’échelle de dizaines ou centaines de milliers d’années. Il n’exclut néanmoins pas la possibilité d’une éruption fissurale majeure.
