Ce ver enfoui dans le permafrost s’est réveillé après 46 000 ans de sommeil

Une nouvelle espèce de nématode a été découverte dans le permafrost sibérien. Cette espèce sortie tout droit du Pléistocène est parvenue à traverser les âges grâce aux formidables capacités d’adaptation inscrites dans son ADN.

De Marie Zekri
Publication 28 août 2023, 11:45 CEST
Vue microscopique d'une espèce récemment découverte de nématode préhistorique, le Panagrolaimus Kolymaensis.

Vue microscopique d'une espèce récemment découverte de nématode préhistorique, le Panagrolaimus Kolymaensis.

PHOTOGRAPHIE DE Gade Vamshidhar

Des chercheurs de l’Académie des Sciences de Russie ont découvert une espèce de ver, plus précisément un nématode, qui était resté figé pendant près de 46 millénaires dans les sols gelés de Sibérie. Les spécimens découverts sont « revenus à la vie » grâce à la réhydratation qui leur a été apportée dans les laboratoires de l’Institut Max Planck à Cologne, en Allemagne, où scientifiques et chercheurs en biologie de l’ADN se sont efforcés de comprendre par quels mécanismes cette espèce avait pu rester dans un état de dormance intact du Pléistocène à nos jours.

 

À L’ÉTAT DE « CRYPTOBIOSE »

Anastasia Shatilovich, docteure en biologie et chercheuse à l’Institut des problèmes physico-chimiques et biologiques de la science du sol de l’Académie des sciences de Russie, et principale autrice de l’étude récemment publiée, aux côtés du Dr. Gade Vamshidhar biochimiste à l’Institut Max Planck, sous la supervision du Pr. Teymuras Kurzchalia du même institut et du Dr. Philipp H. Schiffer de l’Institut de Zoologie de l’Université de Cologne, « collecte des fragments de permafrost arctique [aussi appelé pergélisol, ndlr] chaque année », explique le Dr. Vamshidhar. 

Le permafrost, que l’on retrouve dans les régions polaires, a la particularité de retenir des dépôts organiques au fil des temps géologiques. Les températures particulièrement froides qui le caractérisent, souvent bien inférieures à 0°C, permettent de préserver dans les meilleures conditions des organismes particulièrement anciens. C’est une source de données biologiques majeure connue depuis les années 1930, période à laquelle les premières espèces uni et multicellulaires anciennes, parfois vieilles de plusieurs milliers d’années, ont été réanimées. L’étude récemment publiée évoque par exemple la réanimation en 1939 d’un crustacé millénaire appelé Chydorus sphaericus.

Certaines des espèces découvertes ces dernières années sont parvenues à survivre sur de longues périodes en entrant en état de « cryptobiose ». La cryptobiose est un terme inventé en 1959 par l’entomologiste et parasitologiste britannique David Keilin. Il désigne littéralement une « vie cachée », idée alors employée pour définir l’état d'un organisme lorsqu'il ne « montre aucun signe visible de vie et lorsque son activité métabolique devient difficilement mesurable, ou s'arrête de façon réversible ». 

« Exposés à des conditions extrêmes notamment de température ou de pression, la plupart des organismes meurent », explique Gade Vamshidhar. « Mais certains ont la capacité de survivre à ces environnements extrêmes en arrêtant de vivre ». Les conditions basiques du fonctionnement du métabolisme chez certaines espèces peuvent ainsi être pratiquement éteintes, plongeant l’individu dans un état de petite mort pendant de très longues périodes. Ces périodes de dormance peuvent alors durer des millénaires dans les bonnes conditions de préservation, lesquelles sont particulièrement exceptionnelles dans le permafrost. 

À l'est de la Sibérie, le cratère de Batagaika causé par le dégel du pergélisol s'étale sur plus de 800 m et n'en finit pas de grandir. Il renferme les restes organiques des feuilles, végétaux et animaux morts il y a des milliers d'années. 

PHOTOGRAPHIE DE KATIE ORLINSKY, NAT GEO IMAGE COLLECTION

C’est le cas d’un ver découvert à « 40 mètres sous la surface du pergélisol », explique Vamshidhar. Avec la fonte du permafrost, des scientifiques du Soil Cryology Lab, à Pouchchino, en Russie, ont découvert ce ver, qui s’apparentait à une espèce du type Panagrolaimus ou Plectus, réputée pour sa capacité de maintien en état de cryptobiose. Au cours de l’une des expéditions paléo-écologiques pérennes menées dans le secteur côtier du nord-est de l’Arctique, près de 300 échantillons différents ont pu être prélevés. Les extractions de permafrost sont réalisées de façon à « éviter toute contamination de la surface », ajoute Vamshidhar.

Les échantillons de permafrost ont été conservés dans des conditions de température et de pression similaires aux conditions d'origine dans un laboratoire moscovite. Les vers qui sont sortis des échantillons décongelés ont été envoyés en Allemagne. C’est alors que les chercheurs ont vu les nématodes se réanimer, grâce notamment à une réhydratation. L’espèce est restée figée pendant 42 000 à 46 000 ans. « Étant donné qu’il n’est pas possible de dater les vers [au carbone 14] sans les tuer », ajoute Gade Vamshidhar, ce sont les « éléments végétaux environnants qui ont été datés ».

C’est en étudiant le génome de ce petit témoin du Pléistocène sur plus d'une centaine de générations que les chercheurs se sont rendu compte qu’il s’agissait en fait d’une nouvelle espèce, le Panagrolaimus kolymaensis, nommée en référence à la rivière sibérienne Kolyma à proximité de laquelle elle a été découverte.

 

UN GÉNOME CAPABLE DE FIGER LE TEMPS

Les chercheurs ont alors cherché à avoir une compréhension plus précise du génome de ce nématode, afin de déterminer ce qui avait bien pu lui permettre de survivre si longtemps dans le permafrost. « Nous avons élevé ces vers en laboratoire et avons commencé à isoler l’ADN génomique de leurs cellules pour le séquencer ». 

« Avec l’aide du Dr. Philipp Schiffer, nous avons pu confirmer qu’il s’agissait bien d’une nouvelle espèce en comparant le génome à celui d’une espèce commune de nématode, le Caenorhabditis elegans », explique Gade Vamshidhar. Des expériences chimiques ont permis de comparer les deux génomes afin de déterminer si les deux modèles sont « régis par les mêmes mécanismes cellulaires », lesquels pourraient expliquer leur abilité commune à entrer en état de cryptobiose.

Le premier constat est que l’espèce découverte a une particularité : elle possède un génome « triploïde ». En d’autres termes, ses cellules sont composées de trinômes de chromosomes et non pas de paires.

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    Gauche: Supérieur:

    Photographie microscopique du Panagrolaimus kolymaensis

    Droite: Fond:

    Terrier de rongeurs fossiles avec litière herbacée et graines enfouies dans des dépôts de pergélisol.

    Photographies de Gade Vamshidhar

    Dans un second temps, les chercheurs ont observé que les deux espèces séparées par des milliers d’années d’évolution ont en fait « les mêmes mécanismes cellulaires. […] Ils régulent tous deux un sucre de type disaccaride appelé tréhalose, grâce à leur codage génétique qui synthétise une enzyme », explique Vamshidhar. « Ce sucre protège les membranes cellulaires du ver », lui permettant de résister à des conditions extrêmes notamment à une importante déshydratation, une forte salinité, ou encore un froid intense.

    En fouillant dans la boîte à outils moléculaire de cette espèce millénaire, les chercheurs en apprennent plus sur les processus évolutifs qui permettent à certaines espèces de préserver leur vie sur de longues périodes et dans des conditions hostiles. La découverte publiée dans Plos Genetics insiste sur le fait que l’étude de « la survie à long terme de certaines espèces peut conduire à la refondation de lignées éteintes ».

    Philipp Schiffer explique que « l’étude en laboratoire de cette espèce et d’espèces similaires permet de comprendre les processus d’adaptation à des environnements extrêmes ». Il précise également que l’état de cryptobiose du nématode piégé dans le permafrost sibérien s’apparente à des mécanismes de certaines espèces vivant en milieux désertiques, « capables de se dessécher complètement. Le processus de survie à la congélation et à la dessiccation est le même au niveau moléculaire ». Les chercheurs envisagent ainsi l’étude de ces espèces fascinantes comme une clef majeure dans l’innovation en matière de protection des espèces menacées, et potentiellement de « l’ensemble de l’écosystème face au changement climatique », ajoute Philipp Schiffer.

    « Nous devons étudier les génomes de ces organismes minuscules pour comprendre leur biologie fascinante », insiste Schiffer. Il s’agit de manipulations complexes et « c’est pourquoi des projets comme le DToL au Royaume-Uni ou notre BioC2 ici à Cologne sont si importants ». Les activités humaines et le changement climatique sont à l’origine d’une extinction de biodiversité de masse. « Nous devons séquencer rapidement autant de génomes que possible en nous concentrant aussi sur les plus petites créatures que personne ne voit, mais qui sont essentielles pour la santé des écosystèmes ».

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