Ces singes préhistoriques ont traversé l'océan Atlantique en radeau… et ont survécu

Il y a 40 à 32 millions d'années, des primates auraient voyagé de l'Afrique à l'Amérique du Sud à bord de radeaux de végétation : une traversée qui, bien qu'improbable, se serait produite à plusieurs reprises.

De Riley Black
Publication 20 juil. 2023, 16:36 CEST
Ashaninkacebus simpsoni est une espèce éteinte de primate qui vivait au Brésil il y a plus ...

Ashaninkacebus simpsoni est une espèce éteinte de primate qui vivait au Brésil il y a plus de 30 millions d'années.

PHOTOGRAPHIE DE Diego J. Barletta, Jorge A Gonzalez

Depuis des décennies, les paléontologues cherchent à savoir comment les primates sont parvenus à arriver jusqu’en Amérique du Sud. Les singes-araignées, les capucins et les ouistitis du continent forment en effet leur propre groupe de primates, distinct de ceux d’Afrique et d’Asie. Les ancêtres de ces espèces auraient, selon la théorie la plus répandue, traversé l’océan Atlantique à bord de radeaux il y a 40 à 32 millions d’années.

La découverte de nouveaux fossiles indique cependant que leur dispersion pourrait bien avoir été bien plus complexe. L’Amérique du Sud abritait en réalité un éventail de primates plus large que ne le pensaient les spécialistes, ce qui laisse supposer que, lors d’une période clé de la Préhistoire, de violentes tempêtes auraient provoqué le détachement de tapis de végétation sur lesquels se trouvaient notamment des singes, entraînant ainsi ces derniers dans un voyage transatlantique des plus improbables... et qui aurait eu lieu à au moins deux reprises.

Une minuscule dent fossile, découverte dans des rochers de l’Amazonie brésilienne, constitue l’une des preuves les plus récentes de l’existence de ces voyages maritimes préhistoriques. « Lorsque l’un de mes collègues brésiliens m’a montré cette minuscule dent, mon cœur s’est tout de suite emballé », confie Laurent Marivaux, paléontologue à l’Université de Montpellier. La dent vieille de 34 millions d’années, décrite par Marivaux et ses collègues dans un article paru dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), ne semble pas appartenir à un singe sud-américain, mais plutôt à un individu appartenant à une famille éteinte de primates originaires d’Asie du Sud, connue sous le nom d’Eosimiidae.

Ce n’est pas la première fois qu’un animal étrange semble apparaître dans l’Amérique du Sud préhistorique. En 2020, le paléontologue Erik Seiffert et ses collègues ont annoncé la découverte au Pérou d’une espèce de singe appelée Ucayalipithecus, qui avait des liens ancestraux non pas avec la lignée sud-américaine moderne, mais avec l’Afrique ancienne. Les primates ont donc dû faire le voyage de l’Afrique à l’Amérique du Sud au moins deux fois, et selon certains spécialistes, la nouvelle dent pourrait indiquer qu’un troisième groupe aurait lui aussi effectué une telle traversée.

 

UN VOYAGE PRÉHISTORIQUE ÉTONNANT

Baptisé Ashaninkacebus simpsoni par Marivaux et ses collègues, ce nouveau primate fossile n’est connu que grâce à une unique molaire supérieure trouvée le long du rio Juruá, au Brésil. La disposition des cuspides sur la dent permet de déterminer que son propriétaire était un primate, potentiellement de la famille des Eosimiidae. En se basant sur d’autres fossiles d’Eosimiidae découverts par le passé, les scientifiques pensent qu’Ashaninkacebus était un petit animal, de la taille d’un ouistiti commun, qui pesait environ 200 grammes et se nourrissait principalement d’insectes et de fruits.

Bien que la molaire appartienne à un primate, d’autres spécialistes ne sont pas tout à fait sûrs de ses origines. Les Eosimiidae étaient présents en Afrique et en Asie, « de ce fait, cette découverte constitue un nouvel exemple d’une lignée primitive originaire d’Afrique qui est apparue en Amérique du Sud », explique Mary Silcox, paléontologue à l’Université de Toronto, qui n’était pas impliquée dans la nouvelle étude.

Si Ashaninkacebus est bien un Eosimiidae, il serait alors le troisième groupe de primates à s’être déplacé entre les continents. Ce n’est toutefois pas la seule possibilité : une autre théorie relie la nouvelle découverte aux singes qui vivent aujourd’hui en Amérique du Sud, connus sous le nom de Platyrrhiniens.

« Je soupçonne Ashaninkacebus d’être un [groupe-souche] de platyrrhinien », confie Erik Seiffert, paléontologue à l’Université de Californie du Sud, qui n’a pas participé à la nouvelle étude. Ainsi, plutôt que de représenter un groupe de primates qui seraient arrivés en Amérique du Sud et qui auraient ensuite disparu, la molaire pourrait en réalité appartenir aux premiers ancêtres des singes du continent. « Si c’est le cas, alors il n’y aurait eu que deux événements de dispersion. »

Qu’Ashaninkacebus soit l’un des premiers platyrrhiniens ou un groupe totalement distinct, les spécialistes doivent encore découvrir de quelle manière les animaux sont parvenus à passer d’un continent à l’autre, et ce à plusieurs reprises.

« Toutes nos hypothèses et tous nos scénarios reposent sur notre connaissance du registre fossile », explique Marivaux. Depuis les années 1970, les paléontologues se demandent si les primates n’auraient pas traversé l’Atlantique sur des radeaux de végétation flottante. Aucune autre explication ne paraît plausible, car aucune terre ne reliait alors l’Amérique du Sud et l’Afrique, et car rien n’indique que les primates aient emprunté un autre itinéraire terrestre.

De plus, ces derniers n’ont pas été les seuls animaux à participer à ce voyage inattendu. Les paléontologues ont découvert que les ancêtres des capybaras et d’autres rongeurs, appelés Hystricognathes, se sont probablement eux aussi dispersés de l’Afrique à l’Amérique du Sud.

Il paraît presque impossible de survivre à une traversée de continent sur une masse de végétation. C’est pourquoi les scientifiques ont tenté de déterminer si les rongeurs et les singes avaient voyagé sur le même lit de plantes enchevêtrées, ou si cette dispersion avait eu lieu en plusieurs fois.

Il est pratiquement impossible de résoudre cette énigme à l’aide des preuves fossiles directes. Cependant, après avoir reconstitué les continents, les courants et les climats du monde à l’époque de l’arrivée des primates en Amérique du Sud, Marivaux et ses collègues suggèrent qu’il est possible que, pendant une brève période, les conditions aient été idéales pour permettre aux mammifères « d’embarquer contre leur gré » dans un long périple vers un autre continent.

 

HYPOTHÈSES ET AUTRES DÉCOUVERTES

Les premiers primates d’Amérique du Sud étaient petits et se nourrissaient de fruits, ce qui laisse supposer que leurs ancêtres vivaient dans des forêts humides le long de la côte occidentale de l’Afrique, il y a environ 40,5 millions d’années. Les animaux qui vivaient à proximité des deltas et des réseaux fluviaux avaient davantage de chances d’être emportés par les inondations, et donc de s’accrocher aux parties d’arbres qui se détachaient et d’être emportés par la mer.

Ce scénario spéculatif n’est pas une simple conjecture, et n’est pas non plus propre aux singes sud-américains. Les lémurs et les tenrecs sont eux aussi arrivés à Madagascar depuis l’Afrique continentale à bord de radeaux naturels, tout comme des espèces de petits lézards, qui ont ainsi pu voyager à travers les Bahamas.

« Un écosystème tout entier peut se déplacer sur ces morceaux de rives », décrit Marivaux. Aujourd’hui, les radeaux de végétation peuvent être très grands, certains d’entre eux peuvent même entraîner des arbres qui portent encore leurs fruits. De nombreux primates et rongeurs qui vivaient le long des côtes de l’Afrique préhistorique habitaient des zones susceptibles de créer, pendant de grosses tempêtes, de tels radeaux capables de les transporter sur ces longues distances.

Selon la nouvelle étude, ces traversées auraient eu lieu il y a environ 40,5 millions d’années, lorsque l’Amérique du Sud et l’Afrique n’étaient séparées que par une distance d’environ 1 000 km, ce qui est bien plus court que les 2 900 km actuels.

Pour Seiffert, cette date pourrait être plus tardive. Il y a environ 33 millions d’années, le niveau de la mer a baissé, réduisant ainsi cette distance. « Une érosion importante dans les environnements proches du rivage aurait aussi pu conduire au détachement de ces grands radeaux », propose-t-il.

Les futures découvertes de fossiles aideront à élucider ce mystère, mais elles s’avèreront probablement difficiles. « Les fossiles retrouvés dans cette partie de l’Amazonie sont principalement des dents isolées, et ce en raison de la méthode qui doit être utilisée pour les collecter », révèle Seiffert. Les chercheurs prélèvent souvent des pelletées entières de sédiments sur les rives inclinées et les lavent dans l’eau, un processus qui permet de séparer les dents et les os de la terre et de la roche. Malheureusement, il arrive que les petits os soient détruits et que seules les dents, plus solides, soient conservées.

La découverte de trois primates sud-américains primitifs depuis 2015 indique néanmoins que l’avenir pourrait donner lieu à de nouveaux détails sur les événements qui ont conduit les animaux jusqu’en Amérique du Sud. « Il y a dix ans, nous n’y aurions pas cru », conclut Marivaux.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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