Cet énorme et mystérieux diamant noir vient d'être vendu 3,74 millions d'euros

Les géologues sont toujours dans l’incapacité de déterminer l’origine de cette imposante pierre précieuse de de 555,5 carats baptisée Enigma. S’est-elle cristallisée dans le manteau terrestre ou vient-elle du cosmos ?

De Maya Wei-Haas
Publication 10 févr. 2022, 16:39 CET

Avec ses 555,55 carats, Enigma est le plus gros diamant taillé du monde. Les carbonados comme celui-ci peuvent atteindre des tailles monumentales et sont encore plus durs que les diamants ordinaires, ce qui les rend particulièrement difficile à tailler. Les 55 facettes d’Enigma ont été inspirées par la Khamsa, célèbre symbole de protection oriental en forme de paume.

PHOTOGRAPHIE DE Sotheby's

Enigma, diamant noir de 555,5 carats, vient d’être attribué aux enchères après une offre définitive de 3,74 millions d’euros émise par un acheteur anonyme. La vente de cette pierre pour le moins étrange a ravivé un débat qui couve depuis un certain temps concernant son origine et ramené sur le devant de la scène la théorie controversée selon laquelle elle viendrait du cosmos.

Enigma, comme tous les diamants noirs, s’est formé lors d’un événement mystérieux survenu il y a entre 2,6 et 3,8 milliards d’années. D’un noir intense, opaques et parsemés de porosités visibles, les diamants noirs se distinguent des diamants ordinaires en ceci qu’ils possèdent une combinaison unique de caractéristiques physiques et chimiques.

On ne les trouve qu’à deux endroits sur Terre (au Brésil et en Centrafrique) et ils peuvent atteindre une taille monumentale. C’est d’ailleurs dans ce club fermé qu’on trouve Sergio, carbonado massif de 3 167 carats et accessoirement plus gros diamant jamais découvert. Enigma n’a pas à rougir non plus, il fait quasiment la taille d’une balle de tennis. « C’est un sacré morceau de diamant », s’enthousiasme Thomas Stachel, minéralogiste spécialiste des diamants de l’Université d’Alberta.

Toutefois, il y a peu encore, les carbonados étaient plutôt reconnus pour leur dureté que pour leur beauté. Contrairement aux cristaux simples qui composent les pierres diamantaires traditionnelles, les diamants noirs sont faits d’un réseau intriqué de cristaux qui leur confère une résistance accrue aux pressions élevées et en font de précieux abrasifs industriels. On en fait des forets capables de percer des roches denses et on s’en sert pour les meules à affûter les outils.

Les bizarreries des diamants noirs ont donné lieu à une flopée de théories concernant leur origine. « Il n’existe pas de modèle unique capable de rendre compte de l’ensemble », déclare Wuyi Wang, vice-président du service de recherche et développement de l’Institut gemmologique américain. C’est lui qui a certifié qu’Enigma est bien un carbonado naturel.

 

DIAMANTS BRÛLÉS 

L’histoire de ces minéraux ultra-durs intervient en deux endroits distincts situés de chaque côté de l’océan Atlantique. Les diamants noirs ont été découverts dans l’est du Brésil dans les années 1840 par des mineurs qui les ont baptisés « carbonados », c’est-à-dire « brûlés » ou « carbonisés » en portugais. Quelques décennies plus tard, on en a également découvert en Centrafrique, seul autre endroit où on en ait exhumé.

D’après Peter Heaney, minéralogiste de l’Université d’État de Pennsylvanie, les carbonados de ces deux pays « sont si similaires dans les moindres détails » qu’ils ont forcément un lien. Les carbonados se sont sans doute formés au cours du milliard d’années pendant lequel les masses continentales africaine et sud-américaine ne faisaient qu’un et se sont retrouvés à deux endroits différents lorsque la Pangée a commencé à se disloquer il y a 180 millions d’années.

Au fil des millénaires, le vent et l’eau ont gommé tout autre indice quant à l’origine des diamants noirs en érodant les roches dans lesquelles ces pierres précieuses s’étaient formées et en en dispersant les grains sur les rives d’anciens fleuves.

Pierre Cartigny, géochimiste spécialiste des diamants de l’Institut de physique du globe de Paris, fait observer qu’il y a environ 150 ans, un problème semblable entourait les origines du type de diamants qu’on extrait le plus aujourd’hui. La solution à ce problème a commencé à apparaître dans les années 1870 lorsqu’on a découvert des diamants encastrés dans des cheminées volcaniques aux alentours de Kimberley, en Afrique du Sud. Comme les scientifiques s’en sont plus tard aperçus, les éruptions volcaniques violentes soufflent la surface de ces conduits et l’ascension du magma fait remonter les kimberlites (nom qu’on donne désormais à ces diamants) depuis les profondeurs.

En ce qui concerne les diamants noirs, « nous en sommes au même point qu’il y a 150 ans », selon Pierre Cartigny. Sans roches hôtes, les géologues n’ont pour tout indice que les leurs caractéristiques étranges… et chacun d’eux semble raconter une histoire différente.

Fidèle à son nom, Enigma garde le secret de ses origines terrestres. Selon le représentant du vendeur, on estime que le diamant faisait plus de 800 carats, soit 160 grammes, lors de son acquisition anonyme dans les années 1990. Ce n’est que plus tard qu’on lui a donné sa forme caractéristique à 55 facettes, une tâche qui a pris trois années tant le minéral était dur.

 

ORIGINE MÉTÉORITIQUE OU MANTELLIQUE ?

En se cristallisant sous l’effet des pressions insoutenables des profondeurs de la Terre, les diamants capturent parfois des minéraux du manteau terrestre tels que le grenat ou l’olivine. Mais ceux-ci sont absents dans les carbonados. Les géologues y ont plutôt découvert un éventail exotique de métaux comme de l’osbornite, un minéral composé de nitrure de titane habituellement présent dans les météorites.

Peut-être se sont-ils formés dans des étoiles ou sur des planètes riches en carbone dont des morceaux nous seraient parvenus sous la forme de météorites il y a 3,8 à 4 milliards d’années lorsque des roches cosmiques criblaient en nombre notre planète.

Stephen Haggerty, géophysicien spécialiste des diamants de l’Université internationale de Floride, avait déjà proposé cette origine extraterrestre en 1996 lors de la conférence de l’Union américaine de géophysique. Et il continue de soutenir avec ferveur que c’est la seule façon logique d’expliquer les nombreuses étrangetés de ces diamants noirs.

« Je serais absolument ravi que quelqu’un trouve une alternative scientifique qui tienne la route », clame-t-il.

Certains scientifiques n’ont cependant pas autant de certitudes. Quand Peter Heaney a commencé à étudier les carbonados dans les années 1990, l’hypothèse météoritique semblait logique. Mais en analysant toujours plus de diamants noirs, il lui a semblé de plus en plus probable que leur origine soit mantellique.

Il attire l’attention sur le fait que des chercheurs ont identifié les mêmes métaux exotiques dans de la kimberlite. On a d’ailleurs déjà découvert de l’osbornite piégée à l’intérieur de minéraux et de roches d’origine mantellique bien que ce soit un composé rare.

Mais ce qui a fait changer Peter Heaney d’avis, c’est le gigantisme de certains carbonados. On a certes déjà découvert des diamants à l’intérieur de météorites, et on sait que certains se sont formés sous l’effet de la chaleur et de la pression intenses causées par des impacts météoritiques, mais ces minéraux d’origine extraterrestre sont tous minuscules.

« Ils n’ont rien à voir avec des joyaux, indique Pierre Cartigny. Impossible d’en faire quoi que ce soit. »

On ignore encore les conditions mantelliques précises qui permettraient la formation de carbonados. Ceux-ci ont en outre une particularité déconcertante : ils sont tous criblés de trous, comme une éponge. Sur Terre, la plupart des diamants se forment à au moins une centaine de kilomètres sous la surface dans des conditions de température et de pression infernales. De telles pores ne pourrait survivre dans ce contexte.

« Ils s’effondreraient tout simplement sur eux-mêmes », explique Stephen Haggerty. Selon lui, ce type de pores aurait pu se former lors de dégazages de carbone en fusion à la surface d’étoiles mourantes.

D’après d’autres études, ces pores résulteraient de la cristallisation de carbonados à partir de fluides souterrains. On peut aussi penser qu’ils remplis de minéraux qui ont fini par s’ôter. Selon Peter Heaney, ces cavités ont peut-être contenu des phosphates enrichis en éléments radioactifs qui auraient endommagé la maille cristalline des diamants et noirci leur teinte en se désintégrant.

Ce réseau interconnecté de pores entrave toutefois l’étudier des rares minéraux qui ont subsisté. En effet, selon Pierre Cartigny, il n’est pas facile de savoir si ces incrustations sont d’origine ou bien si elles sont apparues plus tard dans la vie du diamant.

« Le carbonado pose un problème particulièrement difficile », observe Thomas Stachel avant d’ajouter que la clé réside peut-être dans la chimie des diamants eux-mêmes.

 

CURIOSITÉS CHIMIQUES

Les diamants sont exclusivement composés de carbone. Mais cet élément peut prendre deux formes isotopiques : lourde ou légère. Fidèle à la nature énigmatique des carbonados, la signature isotopique des diamants noirs diffère de celles des diamants les plus répandus : elle est plus légère que celle des diamants qui se forment dans les profondeurs de la Terre et ressemble davantage au carbone organique auquel on doit la vie.

Selon certains chercheurs, cette signature légère pourrait indiquer que les carbonados se sont formés à partir de matières organiques entraînées depuis les profondeurs des zones de subduction. C’est un mécanisme qui a déjà été proposé pour expliquer la formation de certains diamants ordinaires. Notons qu’au moment de la formation des diamants noirs, il y a environ trois milliards d’années, la vie commençait tout juste à prendre forme.

« Est-ce que les carbonados sont des fossiles des tout premiers organismes à être apparus sur Terre ? s’interroge Peter Heaney. Personne ne connaît la réponse. »

Pierre Cartigny et ses collègues ont découvert une piste indiquant une autre origine. En 2010, ils sont tombés sur des diamants à la chimie remarquablement similaire à celle des carbonados en Guyane. Ceux-ci étaient incrustés dans de la komatiite, un type de roche volcanique produit par des laves excessivement chaudes et liquides qui ne sont écoulées que lors de l’histoire primitive de la Terre. Bien que la structure de ces diamants diffère de la combinaison cristalline des carbonados, Pierre Cartigny avance que la chaleur accablante des komatiites aurait pu donner à ces cristaux un aspect semblable à ceux des diamants noirs.

« Il n’est désormais plus permis de rejeter [l’hypothèse] selon laquelle les carbonados peuvent se former dans le manteau terrestre », affirme-t-il.

Pour en avoir le cœur net il faudra cependant découvrir davantage de diamants noirs. L’un d’eux renfermera peut-être un élément qui offrira une piste sans ambiguïtés. Peut-être en découvrira-t-on un incrusté dans une roche hôte qui nous renseignera sur sa véritable origine.

En attendant, Enigma demeure un étincelant témoin des âges et évoque la kyrielle de merveilles et de mystères que l’Univers nous réserve encore.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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