Grands calmars contre Mosasaurus : un combat de titans préhistoriques

Il y a plus de 80 millions d'années, l'océan divisait l'Amérique du Nord en deux sous-continents, permettant à des espèces marines anciennes d'habiter ces régions aujourd'hui sèches.

De Riley Black
Publication 18 mai 2022, 17:30 CEST

Dans cette fresque du Musée d’histoire naturelle de l’université du Kansas, le calmar du Crétacé Tusoteuthis se bat contre un mosasaure. Toutefois, aucune preuve n’indique que de telles batailles aient réellement eu lieu.

PHOTOGRAPHIE DE Mike Everhart

Les terres sèches du Kansas renferment elles aussi des calmars géants. Non pas des spécimens de musée repêchés sur des plages, ni des monstres ayant trouvé leur chemin vers les lacs d’eau douce de la région. Ces immenses calmars sont morts depuis environ 80 millions d’années, et le peu qui reste d’eux est pétrifié dans la roche. Mais à leur apogée, ces énormes céphalopodes vivaient aux côtés des tout aussi fantastiques reptiles marins qui régnaient sur les mers intérieures d’Amérique du Nord.

Il est rare de trouver des fossiles de calmars préhistoriques. Contrairement à leurs cousins à coquille, les ammonites, les calmars anciens n’étaient pas dotés de ces coquilles dures et enroulées qui se prêtaient si bien à la conservation. Et même dans ce cas, les parties molles de leurs corps pourrissaient, ne nous laissant qu’un bref aperçu de ce à quoi ressemblaient les mollusques de leur vivant. Seuls des cas de préservation réellement exceptionnels permettent aux chercheurs d’avoir une vue presque complète de ces céphalopodes primordiaux.

Malgré les difficultés, les paléontologues sont parvenus à identifier les teuthidés de différentes époques grâce à certaines parties dures composées de chitine des corps des calmars. Le bec, qui ressemble à celui d’un oiseau, est l’un des rares organes du calmar à être suffisamment résistant pour figurer parmi les fossiles. Un autre organe, le gladius, ou plume, se trouve au cœur du corps du calmar : cette structure, plus ou moins en forme de cuillère, avec une tige menant à une expansion arrondie, soutient le manteau du calmar et ancre certains des muscles de l’animal. C’est cette partie de l’échafaudage interne qui a permis aux paléontologues de retrouver le calmar géant du Kansas.

En 1898, dans le cadre d’une grande analyse des fossiles découverts au Kansas et qui dataient du Crétacé, le paléontologue William Newton Logan a étudié les divers invertébrés marins qui ont manifestement parcouru une voie maritime disparue depuis bien longtemps. En effet, bien que désormais sec et enclavé, cet État américain a été submergé pendant une grande partie du Crétacé.

À partir d’il y a 130 millions d’années environ, et plus ou moins jusqu’à la fin du Crétacé, l’océan se déversait sur la masse continentale de l’Amérique du Nord pour créer deux sous-continents. Les dinosaures et autres créatures de la tranche de l’ouest, appelée Laramidia, étaient séparés de leurs congénères de l’est, dans les Appalaches, par une mer remplie de requins, de plésiosaures, de mosasaures, d’oiseaux à dents et d’autres créatures marines merveilleuses. Bien sûr, de nombreuses formes d’invertébrés marins servaient souvent de nourriture à ces animaux aquatiques plus célèbres et charismatiques, y compris ce que Logan a identifié comme d’énormes calmars.

Les fossiles catalogués par le paléontologue avaient entre 70 et 90 millions d’années, et il a divisé sa liste en fonction des formations géologiques dans lesquelles ils avaient été trouvés. À partir des fossiles découverts dans la formation de Niobrara, qui auraient entre 82 et 87 millions d’années, Logan a décrit un genre de calmar inconnu jusqu’alors, qu’il a baptisé Tusoteuthis. Le fossile trouvé était un gladius recueilli par H.T. Martin près de la rivière Smoky Hill. Une partie de la tige de la structure était manquante, mais l’ensemble mesurait un peu plus de 50 centimètres de long. Bien que Logan n’ait pas fait de supposition concernant la taille du calmar lui-même, un gladius aussi grand indique un céphalopode encore plus long, surtout si le calmar avait de longs tentacules qui s’étendaient au-delà de ses bras musclés.

Mais quelle était la taille réelle de Tusoteuthis ? Dans une mer remplie de reptiles marins aux dents acérées et d’énormes poissons, la taille avait certainement son importance. Toutefois, malheureusement, tout ce que nous savons vraiment des Tusoteuthis provient de leurs fragiles plumes fossilisées trouvées au Kansas, dans le Dakota du Nord et dans d’autres régions le long de la voie maritime disparue. Personne n’a jamais trouvé d’empreinte d’un corps de Tusoteuthis permettant d’obtenir le reste des détails, et les plus grandes plumes presque complètes qui ont été trouvées jusqu’à présent mesurent environ 2 mètres de long. Selon Mike Everhart, expert de la Voie maritime intérieure de l’Ouest, qui tient le site internet richement détaillé Oceans of Kansas, Tusoteuthis pouvait atteindre les 7,5 mètres de longueur. Ce n’est pas tout à fait aussi grand que les calmars géants (Architeuthis dux) et colossaux (Mesonychoteuthis hamiltoni) de plus de 12 mètres qui parcourent aujourd’hui les profondeurs des océans, mais c’est tout de même une taille assez importante.

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    Illustration de Tusoteuthis, par D. Bogdanov. Image : Wikipédia.

    PHOTOGRAPHIE DE D. Bogdanov

    Néanmoins, nous ne savons pas vraiment si Tusoteuthis était plus long ou plus court que l’estimation des 7,5 mètres. L’image que nous avons du calmar du Crétacé dépend de la façon dont nous reconstituons ses tissus mous, et cette dernière dépend de la place de Tusoteuthis dans l’évolution des teuthidés. S’il est facile de penser que Tusoteuthis ressemblait plus ou moins au calmar géant actuel Architeuthis, Everhart soupçonne que sa forme était plus étroitement liée à celle de l’étrange vampire des abysses (Vampyrotheuthis) : un calmar relativement trapu avec des bras plus courts que les versions précédentes, plus minces.

    Partons de l’hypothèse selon laquelle Tusoteuthis faisait environ 12 mètres de long. Un gros calmar, donc, et il est tentant d’imaginer le céphalopode piégeant entre ses bras les mosasaures et les plésiosaures pour entraîner ces reptiles dans les abysses. Le géologue Mark McMenamin a exploité ces images attrayantes lorsqu’il a présenté son idée farfelue selon laquelle un calmar hyperintelligent du Trias aurait noyé des ichtyosaures géants et réarrangé les os de ces « lézards-poissons » décédés pour en faire un autoportrait. McMenamin n’avait aucune preuve, aucune empreinte corporelle, aucune plume ou autre trace de calmar du Mésozoïque, mais la presse s’en est donné à cœur joie et a régurgité ses affirmations sur le kraken à la fibre artistique. Qui n’aimerait pas une telle histoire de monstres marins s’affrontant dans les profondeurs de la Préhistoire ? Une célèbre exposition du Musée américain d’histoire naturelle montrant un combat cachalot-calmar géant suscite des visions de batailles abyssales depuis des décennies, et un combat entre un calmar préhistorique et des mosasaures aurait été encore plus spectaculaire. Le Musée d’histoire naturelle de l’université du Kansas a même commandé une peinture montrant un tel conflit pour ses expositions, en utilisant l’ancienne vision plus élancée de Tusoteuthis.

    Cependant, aucune preuve n’indique que Tusoteuthis ait capturé et tué les reptiles marins de son époque, même si de telles traces seraient rares. Comme les autres calmars, Tusoteuthis se nourrissait de chair plutôt que de croquer des os, et je ne sais pas si quelqu’un a déjà trouvé une marque de morsure de calmar sur des fossiles. Mais il n’y a aucune raison de penser que le calmar ciblait des proies dangereuses et aussi grandes, voire plus grandes, que lui. Tusoteuthis était sans aucun doute un prédateur de petites proies comme les poissons et autres céphalopodes. Si le calmar se nourrissait de reptiles marins, il ne dévorait probablement que les bébés assez malchanceux pour tomber sur le grand céphalopode.

    Toutefois, des preuves solides selon lesquelles Tusoteuthis était une victime fréquente d’autres résidents de la Voie maritime intérieure de l’Ouest existent. En plus du fait que les plumes des calmars portaient des marques de morsure de prédateurs inconnus, un poisson particulièrement malchanceux semble être mort en avalant un Tusoteuthis. D’après le fossile, les bras du calmar sortaient de la bouche de ce poisson vorace, indiquant qu’il aurait tellement rempli les voies de son assaillant que l’eau ne pouvait plus passer par ses branchies : un dernier moment de vengeance pour le calmar géant de la mer disparue d’Amérique du Nord.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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