Histoire de l'Homme : si les poux pouvaient parler...

Inutile de commencer à vous gratter la tête : l'étude des poux qui nous intéresse ici ne vous fera pas faire de cauchemars. Elle nous renseigne sur nos propres origines.

De Carl Zimmer
Publication 9 févr. 2022, 15:55 CET
Poux de tête à différents stades de développement de l'œuf à l'imago (phase adulte).

Poux de tête à différents stades de développement de l'œuf à l'imago (phase adulte).

PHOTOGRAPHIE DE KevinDyer, istock via getty images

Il n'est jamais sage en biologie de mépriser son sujet. La créature que vous considérez comme basse voire repoussante peut s'avérer être sophistiquée et peut même, dans certains cas, vous en apprendre beaucoup sur vous-même. C'est très certainement le cas des poux.

Le pou de l'humain, Pediculus humanus, a deux façons de vivre sa vie : soit il vit sur le cuir chevelu et se nourrit de sang, soit il se glisse dans nos vêtements et sort une ou deux fois par jour pour explorer notre corps. Pour les poux, nous, les humains, sommes un monde à part entière. Ils ne peuvent vivre plus de quelques heures loin de notre corps, et ce n'est qu'en rampant d'un hôte à l'autre que leur espèce échappe à l'extinction.

Un groupe de spécialistes des poux s'est mis en tête il y a plusieurs années de cela de découvrir l'origine des poux de l'humain. Se déplacent-ils sur notre corps depuis des millénaires, avant même que nous soyons devenus des humains ?

Une comparaison des poux qui vivent sur différents primates a montré qu'ils peuvent être très fidèles. Si vous dessinez l'arbre de l'évolution des primates, puis l'arbre de l'évolution de leurs poux, ils sont presque identiques. Par ailleurs, certains poux peuvent vivre sur plusieurs espèces. Dans certains cas, les arbres de l'évolution ne sont pas un miroir parfait. En d'autres termes, les poux peuvent parfois faire un bond dans l'évolution.

Une équipe de chercheurs a publié en 2004 dans Public Library of Biology les résultats de leur étude. Ils ont comparé les poux de l'humain aux poux des primates, en examinant à la fois leur ADN et leur anatomie. Comme l'avaient montré des recherches antérieures, ils ont constaté une division importante entre les espèces de poux qui vivent sur les grands singes et sur les singes et autres primates. Cela reflète une division ancienne chez les primates eux-mêmes : nos ancêtres singes ont divergé des autres primates il y a 20 à 25 millions d'années.

La variation de l'ADN des poux agit comme une sorte d'horloge moléculaire, indiquant le moment où ils se sont séparés en différentes lignées. L'horloge moléculaire situe la séparation entre les poux de l'humain et les poux des chimpanzés à 5,6 millions d'années - une période extrêmement proche de celle qui a été estimé pour l'évolution des humains à partir d'études ADN et de fossiles.

Les recherches suggèrent que nous sommes porteurs de nos poux depuis des millions d'années, depuis l'époque de notre ancêtre commun avec les chimpanzés. Mais après que nous nous sommes séparés des chimpanzés, les poux humains se sont divisés en deux lignées.

L'une des lignées se trouve partout dans le monde. La seconde ne se trouve qu'en Amérique du Nord. La branche mondiale partage un ancêtre commun qui a vécu il y a 540 000 ans. La branche nord-américaine partage un ancêtre commun qui a vécu il y a 150 000 ans. Et enfin, les deux branches partagent un ancêtre commun beaucoup plus ancien, qui a vécu il y a 1 180 000 ans.

Comment ces deux souches d'une même espèce ont-elles pu se séparer et se retrouver sur nos corps ? Les chercheurs affirment que la clef tient à l'évolution humaine. Les paléoanthropologues et les généticiens débattent toujours des origines de l'Homme moderne, mais les grandes lignes se précisent.

Les premiers grands hominidés dotés d'un gros cerveau - qui n'étaient pas de simples singes bipèdes - vivaient il y a environ 2 millions d'années. Ils ont très vite quitté leur lieu de naissance en Afrique pour se répandre dans d'autres parties du monde. Ils étaient dans les montagnes du Caucase il y a 1,8 million d'années et en Chine il y a 1,66 million d'années. Ces hominidés sont généralement appelés Homo erectus, bien que ce genre ait pu être composé de plusieurs espèces plutôt que d'une seule. Et les rangs de l'Homo erectus asiatique ont pu être renforcés par de nouvelles migrations d'hominidés africains lorsque les conditions écologiques ont favorisé une nouvelle migration hors d'Afrique.

Mais il semble bien que les populations asiatiques se soient progressivement isolées des hominidés africains. Les fossiles d'Homo erectus datant d'il y a quelques centaines de milliers d'années sont assez différents des hominidés africains et des Néandertaliens, avec des parois crâniennes très épaisses et d'autres détails anatomiques singuliers. Il y a quarante ans, la plupart des paléoanthropologues vous auraient dit que ces hominidés asiatiques étaient probablement les ancêtres des Asiatiques modernes. Mais ce n'est pas ce que suggèrent les preuves recueillies depuis lors. Au contraire, il semble désormais assez clair que l'Homo erectus était une espèce très distincte de l'Homo sapiens et qu'elle s'est éteinte il y a peut-être 30 000 ans à peine.

Nos propres racines se trouvent en Afrique. Les plus anciens exemples clairs de fossiles d'Homo sapiens, mis au jour en Éthiopie, remontent à 160 000 ans. Il y a environ 100 000 ans, notre espèce a commencé à diverger en différentes populations, et ces différences se retrouvent encore dans l'ADN de divers groupes africains, comme les Khoisan d'Afrique australe (parfois encore appelés bushmen).

Il y a 50 000 ans, les humains quittaient l'Afrique. En Europe, ils se sont installés sur un territoire occupé par les Néandertaliens et leurs ancêtres depuis environ 300 000 ans. L'homme de Néandertal a disparu il y a 28 000 ans. Il semble avoir été poussé vers des refuges montagneux par la population humaine en plein essor.

En Asie, cela a toujours été un peu plus flou. Les humains semblent être arrivés en Australie il y a au moins 40 000 ans, et peut-être bien avant. Il y a 15 000 ans, certaines populations asiatiques d'Homo sapiens sont arrivées dans le Nouveau Monde en passant par l'Alaska. On n'a jamais su exactement où se trouvait l'Homo erectus à son arrivée en Asie, ni combien de temps il avait survécu. On ne sait même pas si les deux espèces sont entrées en contact ou non.

Vous pouvez peut-être deviner comment les chercheurs de poux interprètent les données de leurs charges parasitaires. Lorsque l'Homo erectus s'est déplacé en Asie et s'est isolé de nos propres ancêtres, ses poux se sont également isolés. Lorsque nos propres ancêtres ont fait irruption en Afrique il y a environ 50 000 ans, ils ont emporté avec eux les poux africains. La partie la plus extraordinaire de l'histoire coïncide avec l'arrivée des humains en Asie. Les chercheurs affirment qu'une population d'humains a rencontré Homo erectus et a attrapé ses poux. Leurs descendants sont ensuite arrivés en Amérique du Nord, où ils vivent aujourd'hui avec leurs poux. L'une des nombreuses implications de cette recherche est que le contact pourrait s'être produit dans une région limitée, celle-là même où les Amérindiens sont nés en Asie.

Ce n'est pas le premier cas où nos parasites ont préservé notre histoire. Les vers solitaires, par exemple, nous disent comment nos ancêtres ont commencé à manger de la viande. Le paludisme révèle comment l'agriculture a apporté de nouvelles maladies aux humains au cours des derniers millénaires. L'Helicobacter pylori, la bactérie qui déclenche les ulcères d'estomac, permet de cartographier la migration de l'Homme moderne. Et les poux ont probablement encore plus à nous dire.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise. Il a été mis à jour par la rédaction française.

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