Il y a 26,5 millions d’années, une espèce de rhinocéros géant parcourait l'Asie centrale

C'est l’une des espèces d’animaux terrestres les plus grandes jamais découvertes. Il y a plus de 25 millions d’années, elle errait entre ce qui est aujourd’hui le plateau tibétain et le Pakistan.

De Michael Greshko
Publication 18 juin 2021, 16:32 CEST
Paraceratherium linxiaense

Il y a près de 26,5 millions d’années, une espèce de rhinocéros géant peuplait le nord-est du plateau tibétain. D’après l’anatomie de son crâne, sa trompe était courte et préhensile comme celle d’un tapir actuel.

PHOTOGRAPHIE DE Yu Chen

De nos jours, le plateau tibétain s’étend jusqu’à l’horizon. Cette étendue de hautes steppes escarpées vient toucher l’Himalaya. Pourtant, il y a 26,5 millions d’années, certaines parties de cette région étaient couvertes de forêts humides. Elles abritaient un autre type de géants : l’un des plus grands mammifères à avoir foulé le sol de notre planète.

Cette créature nouvellement découverte, décrite dans une parution de la revue scientifique Communications Biology est un lointain cousin aujourd’hui éteint du rhinocéros actuel. Il a été nommé Paraceratherium linxiaense. Cet animal colossal pesait près de 24 tonnes, soit quatre fois plus que les éléphants d’Afrique actuels. Son crâne mesurait à lui seul plus de 91 centimètres.

C'est la toute dernière espèce découverte qui appartient à un groupe de rhinocéros sans corne qui peuplait l’Asie centrale il y a 50 millions d’années jusqu’à leur disparition il y a 23 millions d’années. P. linxiaense et ses pairs sont tous célèbres pour leurs tailles immenses. Selon les estimations, la taille moyenne d’un adulte était de 4,80 mètres au garrot. Ils étaient dotés d’un cou long de 2,1 mètres surmonté d’un crâne massif. À titre comparatif, les girafes actuelles mesurent entre 4,25 mètres et 5,80 mètres, tête comprise.

Ces rhinocéros géants « auraient pu manger les fleurs suspendues au troisième ou quatrième étage d’un immeuble », assure Pierre-Olivier Antoine, explorateur National Geographic et paléontologue spécialiste des rhinocéros à l’université de Montpellier.

P. linxiaense faisait partie des derniers géants de ce genre, appelé Paraceratherium. Parmi les nouveaux fossiles, un crâne complet, une mandibule et trois vertèbres ont été retrouvés. Grâce à leur datation et leur localisation, ils permettent de compléter l’arbre généalogique des Paraceratherium. Ainsi, ils viennent éclairer l’histoire de l’évolution et de la répartition de ces rhinocéros sur le continent que forme aujourd’hui l’Asie.

 

UN GÉANT PRÉHISTORIQUE

Les fossiles de Paraceratherium sont rares et généralement fragmentés. Il est alors difficile de représenter l’évolution et la répartition de ce genre. Ils semblent avoir longtemps prospéré en Asie centrale mais la première espèce de Paraceratherium jamais découverte, P. bugtiense, vivait dans ce qui est aujourd’hui l’ouest du Pakistan. La question reste maintenant de savoir comment ce rhinocéros géant a pu se déplacer jusqu’au sous-continent indien.

Une équipe de chercheurs menée par Tao Deng, paléontologue spécialiste des mammifères à l’Institut de paléontologie des vertébrés et de paléoanthropologie de Chine, a déterminé que la nouvelle espèce était proche de celle qui peuplait le Pakistan. Cette découverte permet de formuler de premières suppositions quant aux origines du rhinocéros pakistanais.

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Les fossiles ont été excavés dans les grès bruns du bassin de Linxia, en Chine centrale. Dans cette région, les sédiments s’empilent sur près de 1,9 km. Ils racontent l’histoire des trente derniers millions d’années de la Terre et renferment les fossiles des créatures antiques qui peuplaient autrefois la région.

Dans les années 1950, des fermiers des environs ont déclaré avoir trouvé des « os de dragon ». À une époque, ces vestiges étaient vendus à des entreprises pharmaceutiques et utilisés dans les remèdes traditionnels chinois. Dans les années 1980, les paléontologues ont reconnu que la région renfermait des fossiles d’une grande valeur scientifiques datés de la fin de l’Oligocène, une ère qui s’est étendue il y a 23 à 28 millions d’années.

Depuis, les paléontologues de l’Institut de paléontologie des vertébrés et de paléoanthropologie étudient les roches du bassin de Linxia et les riches collections de fossiles qu’elles contiennent.

En mai 2015, M. Deng et ses collègues ont fait une rare découverte près du village de Wangjiachuan. Ils ont mis au jour un crâne complet et une mandibule d’un rhinocéros géant, ainsi que trois vertèbres d’un autre individu. Lorsque les chercheurs ont mis au jour ces os vieux de 26,5 millions d’années, et notamment sur le crâne de 1,15 mètre de long, leur état de conservation et leur taille ont été « une grande surprise », déclare M. Deng.

Compte tenu des similitudes avec le rhinocéros géant du Pakistan, les nouvelles découvertes suggèrent que les rhinocéros géants se déplaçaient librement sur des milliers de kilomètres entre l’Asie centrale et le sous-continent indien il y a 30 à 35 millions d’années. Les conditions tropicales de l’époque « ont permis au rhinocéros géant de retourner vers le nord de l’Asie centrale, ce qui implique que cette région tibétaine ne formait pas encore un plateau de haute altitude », explique M. Deng par e-mail. Cette hypothèse est appuyée par des indices géologiques qui attestent de la présence de parties basses dans la région jusqu’à il y a environ 25 millions d’années.

 

LES MYSTÈRES DU RHINOCÉROS GÉANT

M. Antoine a affirmé que la nouvelle étude permet de révéler des schémas géographiques qui ont régi les déplacements des rhinocéros géants. Par exemple, une partie des fossiles retrouvés suggère que les animaux ne sont jamais sortis de l’Asie vers l’Europe en passant par les monts Oural, indiquant que cette chaîne de montagnes aurait pu faire office de frontière.

La découverte pourrait également contribuer à expliquer comment ces immenses créatures sont arrivées dans ce qu’est aujourd’hui la Turquie, où des fossiles de rhinocéros ont également été retrouvés. Selon M. Antoine, certains des fossiles qui n’ont pas encore été décrits semblent indiquer qu’après l’arrivée de ces géants au Pakistan, ils ont pris la direction de la Turquie en passant par les actuels Afghanistan et Iran.

Toutefois, certains des vestiges qui auraient permis de révéler cette histoire sont désormais perdus à jamais. Une collection de trois-cents fossiles, dont certains de rhinocéros géants, que M. Antoine avait aidé à collecter au Pakistan a été détruite en 2006, lorsque l’armée pakistanaise a bombardé Dera Bugti au cours d’un conflit civil. Cette même année, Nawab Akbar Bugti, un puissant chef tribal et dirigeant baloutche, est mort dans une explosion lors d’un affrontement avec l’armée pakistanaise. Il était un contact clé et une source de protection pour les paléontologues qui travaillaient dans la région.

Dans le cas de P. linxiaense, les fossiles sont en sécurité au Hezheng Paleozoological Museum dans la province du Gansu en Chine. M. Deng place beaucoup d’espoir dans les prochaines études des vestiges, notamment pour la reconstruction de la musculature de la créature ainsi qu’une estimation plus précise de sa masse corporelle.

Puisque les chercheurs ont maintenant la preuve que des rhinocéros géants ont traversé l’actuel plateau tibétain, il se peut que d’autres fossiles soient trouvés dans la région, ajoute-t-il. Ironiquement, il s’agirait d’un animal de la taille d’un gratte-ciel enterré dans ce qui est aujourd’hui le toit du monde.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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