La science aurait-elle résolu la mystérieuse affaire du col Dyatlov ?

D’innombrables théories du complot entourent la mort suspecte de 9 randonneurs dans le col Dyatlov. Ce drame était-il le résultat d'expériences militaires soviétiques, de yétis ou même d'extraterrestres ? Ou existe-il une explication plus rationnelle ?

De Robin George Andrews
Publication 1 févr. 2021, 16:45 CET

Des enquêteurs soviétiques examinent la tente appartenant à l’équipe d'Igor Dyatlov le 26 février 1959. La tente avait été découpée de l’intérieur et la plupart des membres de l’équipe s’étaient enfuis en chaussettes ou pieds nus.

PHOTOGRAPHIE DE the Dyatlov Memorial Foundation

Depuis 62 ans, un mystère alpin alimente de nombreuses théories du complot. Les coupables présumés: des militaires soviétiques, des yétis ou même des extraterrestres. Mais une série de simulations d’avalanche fondées en partie sur des crashs-tests et des animations utilisées dans le film La Reine des Neiges aurait permis de formuler l'hypothèse la plus raisonnable et vraisemblable pour expliquer ce drame.

Deux chercheurs ont présenté dans un article publié par la revue Communications Earth and Environnment, des données qui semblent indiquer qu’une étrange petite avalanche retardée aurait causé d’horribles blessures et la mort de neuf randonneurs expérimentés. Partis dans les montagnes russes de l’Oural au cours de l’hiver 1959 pour une expédition de 320 km, ils ne sont jamais rentrés.

Une pellicule retrouvée sur les lieux contient la dernière photographie prise par l’équipe de Dyatlov. On y voit les membres du groupe déblayer la neige d’une pente pour y monter leur tente.

PHOTOGRAPHIE DE the Dyatlov Memorial Foundation

Le 23 janvier 1959, dix membres de l’Institut polytechnique de l’Oural d’Iekaterinbourg (neuf étudiants et un professeur de sport qui avait combattu pendant la Seconde Guerre mondiale) prirent la direction d’une région sauvage glaciale dans le cadre d’une expédition d’alpinisme et à skis. Celle-ci deviendra par la suite connue sous le nom de l’affaire du col Dyatlov.

Au cours de l’expédition, l’un des étudiants, souffrant de douleurs articulaires, rebroussa chemin. Le reste de la troupe, menée par Igor Dyatlov, étudiant en ingénierie de 23 ans, poursuivit sa route. Selon la pellicule photographique et les journaux intimes découverts sur place par les enquêteurs, l’équipe établit son camp et monta sa tente le 1er février sur les pentes enneigées de la Kholat Saykhl, la « montagne morte » dans la langue des Mansis, peuple autochtone de la région.

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    Plus personne n’entendit parler des neuf membres de l’équipe, sept hommes et deux femmes.

    Une équipe de recherche fut dépêchée dans la Kholat Saykhl quelques semaines plus tard. Elle retrouva la tente à peine visible sous la neige, qui semblait avoir été découpée de l’intérieur. Le jour suivant, un premier corps fut trouvé à proximité d’un cèdre. Avec la fonte des neiges, l’équipe de recherche fit d’autres découvertes macabres dans les mois qui suivirent. Les corps des neuf membres de l’expédition furent retrouvés tout autour de la pente montagneuse. Certains étaient étonnamment dévêtus, d’autres avaient le crâne et la poitrine brisés ou les orbites vides. L’un des individus n’avait plus de langue.

    Chaque corps constituait une pièce d’un sinistre puzzle, mais aucune d’entre elles ne semblait s’assembler avec les autres. L’enquête criminelle menée à l’époque conclut à une mort causée par une « force naturelle inconnue » et l’administration soviétique passa l’affaire sous silence. L’absence d’informations sur cet événement choquant, un massacre apparent entouré de secrets, alimenta des dizaines de théories du complot allant de tests militaires clandestins aux attaques perpétrées par des yétis.

     

    UN MYSTÈRE FASCINANT

    Alors que les médias s’intéressaient à nouveau à l’affaire et que surgissaient de nouvelles hypothèses excentriques, les autorités russes réexaminèrent le dossier et conclurent en 2019 qu’une avalanche était la principale responsable des neuf décès. Certains éléments scientifiques clés ne figuraient cependant pas dans le rapport, comme une explication claire des circonstances de l’avalanche. De plus, aucune preuve documentée d’un tel événement n’avait été découverte sur place. En dépit de l’explication banale avancée par un gouvernement connu pour son manque de transparence, les doutes persistèrent.

    Pour beaucoup, la théorie de l’avalanche, proposée pour la première fois en 1959, ne tenait pas debout. La pente sur laquelle l’équipe avait installé son campement n’était pas assez abrupte pour qu’une avalanche puisse se former. En outre, aucune chute de neige ne tomba dans la nuit du 1er février ; si tel avait été le cas, le poids du manteau neigeux sur la pente aurait augmenté, ce qui aurait pu provoquer une avalanche. La plupart des blessures dues à un traumatisme contondant et certaines lésions des tissus mous étaient atypiques par rapport à ceux provoqués par ces phénomènes, les victimes étant généralement asphyxiées. Enfin, si une avalanche avait bien eu lieu, pourquoi, selon les données médico-légales, neuf heures la séparaient-elles du moment où l’équipe avait déblayé la pente pour y installer son camp ?

    Ce curieux décalage temporel intrigua Alexander Puzrin, ingénieur en géotechnique à l’ETH Zürich, l’un des instituts fédéraux suisses de technologie. Le scientifique a récemment publié une étude dans laquelle il démontre, aussi étrange que cela puisse paraître, qu’un tremblement de terre peut provoquer une avalanche et que plusieurs minutes, voire plusieurs heures, peuvent s’écouler entre les deux événements. Puzrin a grandi en Russie, mais a entendu parler de l’affaire du col Dyatlov il y a seulement 10 ans. Si l’incident et sa cause le fascinaient, il redoutait de s’attaquer seul à ce mystère.

    Johan Gaume est le directeur du Snow Avalanche Simulation Laboratory (Laboratoire de simulation des avalanches) de l’EPFL, un autre institut fédéral suisse de technologie basé à Lausanne. Il rencontra Puzrin en 2019, au moment où les Russes rouvraient l’enquête sur l’affaire du col Dyatlov. Soupçonnant qu’un retard d’avalanche détenait l’une des clés permettant de résoudre le mystère, les deux hommes ont fait équipe pour créer des modèles analytiques et des simulations informatiques, tentant ainsi de reproduire les événements flous qui aboutirent au décès des alpinistes.

    L’enquête scientifique s’accompagna d’une agréable surprise pour Puzrin, dont l’épouse est d’origine russe. « Lorsque je lui ai annoncé que je travaillais sur le mystère Dyatlov, elle m’a regardé avec un immense respect », se souvient-il.

     

    LA THÉORIE DE L’AVALANCHE RETARDÉE

    Les deux scientifiques s’attaquèrent en premier à l’argument selon lequel la pente présentait une inclinaison trop faible pour qu’une avalanche s’y déclenche. La topographie vallonnée de la Kholat Saykhl, recouverte de neige, donnait l’impression d’une légère inclinaison. En réalité, elle avoisinait les 30°, soit le minimum requis pour de nombreuses avalanches. Les rapports de l’enquête initiale menée sur le site décrivaient également une couche de neige sous-jacente qui ne s’était pas agglomérée, formant une base fragile sur laquelle une grande quantité de neige pouvait facilement glisser.

    « Ils se sont fait piéger par la topographie locale », indique Alexander Puzrin.

    Les deux hommes s’intéressèrent ensuite à la question de la masse de neige. En déblayant cette dernière pour installer sa tente, l’équipe déstabilisa la pente. Mais pour qu’une avalanche se produise, de la neige doit s’accumuler. Les bulletins météo n’en prévoyaient pas le soir de l’incident, mais un vent violent soufflait, comme l’indiquent les notes écrites dans les journaux de l’équipe de Dyatlov. Il s’agissait certainement de vents catabatiques, de fortes bourrasques d’air glacial qui transportèrent de grandes quantités de neige depuis les hauteurs vers le camp. Ce phénomène aurait ainsi augmenté la charge exercée sur la pente fragile et explique les neuf heures écoulées entre le déblayage de la neige et l’avalanche.

    Selon les simulations informatiques des chercheurs, l’avalanche qui se serait produite dans la Kholat Saykhl aurait été de petite taille, impliquant un bloc de matière gelée d’à peine cinq mètres soit la taille d’un SUV. C’est pour cette raison qu’aucune preuve étayant cette théorie ne fut découverte lors de l’enquête initiale. La neige entrainée par l’avalanche aurait comblé l’espace dégagé pour le camp, avant d’être rapidement ensevelie sous une couche de neige fraîche. Mais comment un phénomène de cette taille a-t-il pu causer des blessures aussi graves ?

     

    DES SOURCES D’INFORMATION INHABITUELLES

    Pour répondre à cette question, les scientifiques se sont basés sur des sources d’inspiration et d’information peu orthodoxes. Johan Gaume explique comment, quelques années auparavant, il fut impressionné par la manière dont le mouvement de la neige avait été représenté dans le dessin animé de Disney La Reine des Neiges. À tel point qu’il demanda aux animateurs quel était leur secret. (La Walt Disney Company est l’actionnaire majoritaire de National Geographic Partners.)

    Après s’être rendu à Hollywood pour rencontrer le spécialiste qui avait travaillé sur les effets spéciaux de la neige du film, Johan Gaume modifia le code d’animation de la neige pour ses modèles de simulation d’avalanche avec un objectif bien moins divertissant : simuler l’impact de ces coulées de neige sur le corps humain.

    Une fois le code maîtrisé, les deux scientifiques avaient besoin de valeurs réalistes relatives aux forces et aux pressions exercées par l’avalanche sur le corps humain. Cette fois, ils se tournèrent vers le secteur automobile pour obtenir les informations qu’ils recherchaient.

    « Nous avons découvert que dans les années 1970, General Motors (GM) avait obtenu 100 cadavres et leur avait brisé les côtes en les soumettant à différentes pressions exercées à plusieurs vitesses » pour voir ce qu’il se passerait en cas d’accident de voiture, explique Alexander Puzrin. Les données collectées servirent ensuite à l’étalonnage du degré de sécurité des ceintures.

    Certains des cadavres utilisés pour les tests de GM étaient renforcés avec des supports rigides. Cette variable était un cadeau inespéré pour Alexander Puzrin et Johan Gaume. Sur les pentes de la Kholat Saykhl, les membres de l’équipe avaient installé leur lit sur leurs skis. Par conséquent, lorsque l’avalanche les frappa dans leur sommeil, celle-ci heurta une cible exceptionnellement rigide. Les expériences de GM menées sur les cadavres dans les années 1970 pouvaient servir à étalonner les modèles d’impact avec une grande précision.

    Les modèles informatiques des chercheurs ont démontré qu’un bloc de neige lourde mesurant presque cinq mètres de long pouvait, dans cette situation, facilement briser les côtes et le crâne d’individus dormant dans un lit rigide. Les blessures, bien que graves, ne se seraient pas immédiatement avérées mortelles pour les victimes, précise Alexander Puzrin.

    Jordy Hendrikx, directeur du Snow and Avalanche Lab de l’université d’État du Montana, n’a pas pris part à l’étude, mais soupçonnait depuis longtemps qu’une avalanche était la cause la plus plausible de l’incident survenu dans le col Dyatlov. Savoir que la Kholat Saykhl était un terrain propice aux avalanches n’était cependant pas évident. Selon lui, les simulations de l’équipe ont reconstitué cette nuit meurtrière avec une grande fidélité.

    « Ils ont prouvé cela dans leurs équations d’une manière empirique qui semble tenir parfaitement la route », confie Jordy Hendrikx. « C’est passionnant de voir qu’il est possible de faire la lumière sur ces puzzles historiques grâce aux progrès scientifiques ».

    Qu’une petite avalanche inflige des blessures aussi graves est surprenant, admet Jim McElwaine, spécialiste des géorisques à l’université de Durham, au Royaume-Uni, qui n’a pas pris part à l’étude. Selon lui, le bloc de neige devait être incroyablement dur et se déplacer à une certaine vitesse.

    L’alpiniste et guide professionnel Freddie Wilkinson, qui n’a pas pris part à l’étude, estime qu’il est raisonnable de croire que des blocs de neige en apparence anodins peuvent provoquer de telles blessures corporelles. « Certains blocs peuvent être très durs ; il est tout à fait plausible qu’ils infligent des traumatismes contondants », remarque-t-il.

    « Je suis convaincu à 100 % que cette tragédie était le fruit du vent, de l’accumulation de neige et du fait qu’ils avaient établi leur camp dans une crête soufflée par le vent », ajoute Freddie Wilkinson. « J’ai commis cette erreur à plusieurs reprises au cours de ma carrière d’alpiniste ». En 2012, lors d’une expédition en Antarctique, l’équipe de Wilkinson avait formé un cercle de murs de neige qui déviait le vent, au sein duquel elle planta ses tentes. À son retour sur le camp trois jours plus tard, l’équipe retrouva deux tentes complètement ensevelies, nichées dans le mur protégé du vent.

    L’avalanche qui semble s’être produite le 1er février 1959 dans la Kholat Saykhl était un événement rare, mais possible. Il a eu lieu à cet endroit spécifique, à ce moment précis et au cours de cette nuit d’hiver particulière.

     

    UNE VERSION RAISONNABLE DES ÉVÉNEMENTS

    Ce qui se passa après l’avalanche relève purement de la spéculation, mais les scientifiques pensent que les membres de l’équipe sont sortis de la tente recouverte de neige en la découpant. Pris de panique, ils se seraient alors mis en quête d’un abri temporaire au niveau de la limite des arbres, à plus d’un kilomètre de là, après avoir descendu la pente. Trois d’entre eux étaient gravement blessés, mais aucun corps n’a été retrouvé autour de la tente. Il est donc probable que les survivants physiquement aptes aient sorti les blessés pour tenter de les sauver. « C’est une histoire de courage et d’amitié », confie Alexander Puzrin.

    Neuf personnes moururent dans la Kholat Saykhl, d’hypothermie principalement. Quelques membres de l’équipe succombèrent à leurs blessures. Certains éléments entourant leur mort sont toutefois déconcertants, comme le fait que plusieurs individus étaient dévêtus (le déshabillage paradoxal pourrait constituer une explication à cela) ou que plusieurs corps étaient radioactifs (possible conséquence de la présence de thorium dans les lanternes de camping). Quant aux yeux et à la langue manquants, ce serait l’œuvre de charognards qui se seraient attaqués aux morts, mais cela reste à confirmer.

    Johan Gaume précise que cette nouvelle étude n’essaie pas d’expliquer l’intégralité des événements qui se sont déroulés en 1959 et que l’affaire du col Dyatlov ne sera certainement jamais classée. Elle constitue simplement une version raisonnable des événements mortels qui se sont produits dans la Kholat Saykhl.

    Cela a son importance, en partie parce que cette mystérieuse tragédie reste douloureuse pour les proches des victimes. En Russie, des voix se sont élevées pour dénoncer la stupidité ou les risques inutiles pris par les randonneurs, qui ont entraîné leur mort. « Cela salit leur mémoire », déclare Alexander Puzrin, dont l’étude révèle que même des alpinistes chevronnés auraient pu être surpris par cette étrange avalanche. Selon le chercheur, les membres de l’équipe de Dyatlov étaient des personnes très compétentes qui n’auraient jamais pu imaginer que déblayer la neige pour installer leur tente sur ce qui semblait être une pente faiblement inclinée présentait un danger.

    Johan Gaume craint cependant que l’explication avancée par leur étude soit trop simple pour être acceptée par une grande partie de l’opinion publique. « Ils ne veulent pas que ce soit une avalanche. C’est trop normal », dit-il. Ce scepticisme indéfectible et la nature troublante de l’incident du col Dyatlov continueront d’alimenter les théories du complot.

    « Cette histoire est puissante, profonde et poignante d’une manière unique, car il s’agissait d’un groupe de jeunes parti à la découverte d’une région sauvage qui n’est jamais revenu », confie Freddie Wilkinson.

    « Nous adorons inventer des scénarios invraisemblables en cas de mort dans la nature, car nous ne sommes jamais sûrs et certains de ce qu’il s’est passé ».

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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