Les profondeurs de la Terre cachent un gigantesque "océan solide"

La récente découverte d’un diamant contenant de la ringwoodite, un minéral rare qui présente des traces d’eau, confirmerait l’existence d’un immense réservoir d’eau à des centaines de kilomètres sous terre.

De Marie Zekri
Publication 23 mai 2023, 17:20 CEST
Inclusion contenant de la ringwoodite, emprisonnée dans un diamant découvert dans la mine de Karowe au ...

Inclusion contenant de la ringwoodite, emprisonnée dans un diamant découvert dans la mine de Karowe au Botswana par l’équipe de Tingting Gu en 2022.

PHOTOGRAPHIE DE Nathan D. Renfro et Tingting Gu du GIA Carlsbad

« Les mots de la langue humaine ne peuvent suffire à qui se hasarde dans les abîmes du globe » :  il y a plus de 150 ans, Jules Vernes imaginait au cœur de la Terre un gigantesque océan, inconnu de tous. Jusqu’à la fin du siècle dernier, les géologues considéraient qu’il était improbable que l’eau puisse subsister, passée une certaine profondeur dans le manteau terrestre, car elle y était, supposait-on, exposée à des pressions et températures trop importantes. Or les quinze dernières années ont été marquées par la découverte de diamants tout à fait uniques, véritables fenêtres sur les secrets que renferment les entrailles de notre planète. 

 

D'IMPORTANTES QUANTITÉS D'EAU DANS LE MANTEAU TERRESTRE

En 2009, au Brésil, l’équipe du Dr. Graham Pearson, directeur de recherche sur l’exploration des diamants à l’Université d’Alberta, a fait une découverte fortuite : un diamant tout à fait singulier. Issu d’une zone de transition entre le manteau supérieur et le manteau inférieur, ce diamant s’est formé sous d’importantes pressions et températures, à une profondeur située entre 410 et 660 km, quand la majorité des diamants prennent forme à environ 150 km sous la surface. 

Cette pierre, seul exemplaire naturel dont on disposait jusqu’à récemment, présente une inclusion dans laquelle est logé un minéral hydraté : la ringwoodite. Il s’agit d’un minéral qu’on ne retrouvait jusqu’alors que dans les météorites, ou par le biais d’expériences en laboratoire. On peut en effet l’obtenir à partir d’olivine, une roche très commune, en la soumettant à des températures et pressions très importantes, à la condition d’exposer l’échantillon a de l’eau. 

Ce fragment minéral, capable d’absorber des radicaux hydroxyle, en d’autres termes des molécules d’eau fragmentées, en était composé à hauteur de 1,4 % de son poids total. Cette découverte vient appuyer une théorie scientifique selon laquelle le manteau terrestre pourrait être gorgé d’eau au niveau de la transition des couches du manteau. 

Diamant brun contenant une inclusion de ringwoodite découvert au Brésil par l’équipe de Graham Pearson en 2009.

PHOTOGRAPHIE DE Richard Siemens / Université de l’Alberta

Les diamants, en géologie, apparaissent comme de formidables capsules temporelles des temps géologiques. « Lorsque les diamants se forment » explique Graham Pearson, « ils piègent de très petites inclusions des matériaux qui composent le manteau en profondeur. […] C’est à l’intérieur des inclusions du diamant que nous avons trouvé la ringwoodite qui contient cette molécule OH- attachée à elle, et qui correspond à une liaison de molécule d’eau structurellement modifiée ». 

Le minéral est alors hydraté sous une forme solide. « Nous devons poursuivre notre travail pour déterminer si cela signifie que l’ensemble de la zone de transition contient de grandes quantités d'eau. Si c’est le cas [si la zone de transition du manteau terrestre est uniformément composée de minéraux comme celui retrouvé au Brésil, ndlr] ce qui est fort probable, alors, il y a l’équivalent d’un à deux océans mondiaux sous nos pieds » précise Graham Pearson.

Il ne fallait plus qu’une autre preuve, loin du Brésil, pour valider la théorie d’un océan solide enfoui dans la zone de transition. Une récente publication, parue fin 2022 dans la revue Nature, expose la découverte d’une pierre similaire au Botswana dans la mine de Karowe. Une analyse réalisée par les équipes de Tingting Gu, physicienne des minéraux au Gemological Institute of America de New York, apporte une preuve que la partie transitoire du manteau est probablement un réservoir d’eau géant. Retrouver un autre diamant comportant des inclusions de ringwoodite dans une autre zone géographique, qui plus est éloignée, pourrait en effet indiquer que cette caractéristique d’hydratation à ce niveau de profondeur se retrouve partout sur notre planète.

 

UN SYSTÈME HYDRIQUE PLANÉTAIRE

Deux questions majeures demeurent. La première concerne la provenance de cette eau : « l’eau est-elle recyclée lors du processus de subduction au niveau du plateau océanique ou est-elle primordiale, autrement dit, issue des roches qui ont formé la Terre ? » s'interroge le Dr Pearson.

La Terre s’est formée il y a 4,5 milliards d’années, au cours d’un processus d’accrétion d’astéroïdes et de météorites. Ces corps rocheux sont responsables de la présence d’eau sur Terre. Une partie des scientifiques envisagent que les profondeurs pourraient bien contenir cette eau originelle. D’un autre côté, il est également probable que cette eau se soit retrouvée piégée lors du processus de subduction de la croûte océanique, qui pourrait entraîner de façon cyclique l’eau des océans dans les profondeurs de la Terre. Le docteur Tingting Gu indique qu’afin « de répondre à cette question, nous devons analyser les rapports isotopiques de l’hydrogène des minéraux hydratés et les comparer aux rapports isotopiques des météorites, ainsi qu’aux rapports isotopiques de surface, afin de déterminer si potentiellement cette eau contient de l’hydrogène provenant de la surface ou de l’intérieur. »

Si l’eau correspond à une donnée de la surface terrestre, il serait possible d'envisager un phénomène de subduction en domaine océanique. Si cela correspond à une donnée qui coïncide avec l’isotope des minéraux contenus dans les météorites, alors l'hypothèse d'une « eau primordiale », enfermée dans les profondeurs, serait privilégiée.

La deuxième question concerne le rôle que ce réservoir pourrait jouer dans le fonctionnement hydrique de notre planète, ainsi que dans sa géologie. « Je pense que cet océan souterrain pourrait être la source d’un cycle d’eau profonde, qui est en fait crucial pour le fonctionnement de notre planète », estime le Dr. Gu. Pour elle, l’eau en profondeur pourrait également jouer un rôle dans la distribution globale de l’eau sur Terre, influencer le volcanisme, le climat, ainsi que les propriétés physiques et chimiques de la roche du manteau terrestre. 

Graham Pearson établit quant à lui un lien entre la présence d’eau dans la zone de transition - dont les diamants sont les témoins, et la naissance des tremblements de terre dont le foyer est situé entre 300 et 660 km. « Il se peut qu'ils se forment au cours d’un processus appelé affaiblissement hydrolytique », un processus géologique au cours duquel l’eau provoque un affaiblissement des liaisons intermoléculaires qui composent la roche, pouvant causer l’effondrement de structures rocheuses profondes. Cette zone hydratée pourrait donc jouer un rôle essentiel dans la géologie terrestre, en ayant un effet direct sur l’activité tectonique des plaques.

Les réponses à ces questions pourraient être obtenues grâce à des travaux inter-disciplinaires mêlant sismologie, chimie, physique des minéraux, dans un effort d’étude de ces roches rares, témoins d’un fonctionnement intime de la Terre, auquel l’Homme n’aura jamais directement accès. « Nous, les êtres humains, sommes si petits » conclut Tingting Gu, « que nous n’avions pas réalisé à quel point la Terre est immense. »

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