Quand le ciel s’embrase : les éclairs les plus surnaturels jamais capturés

Notre atmosphère est comme un circuit électrique géant. Les orages sont les batteries qui le chargent, et les éclairs sont le courant qui y circule. Depuis le sol, nous observons des traces de ce circuit lorsque le tonnerre gronde et les éclairs frappent la terre, ou lorsque les nuages s’illuminent. Mais loin au-dessus des nuages se trouve un paysage électrique plein de farfadets, d’elfes et de jets.

Ces termes fantastiques renvoient aux spectacles de lumières que l’on appelle événements lumineux transitoires, ou TLE (pour Transitory Luminous Event), qui se produisent dans la haute atmosphère lors de tempêtes. « Les TLE sont mystérieux, magnifiques et uniques, différents des éclairs conventionnels, et pourtant ils relient la météo, l’espace et l’électricité en un moment spectaculaire. Ils se produisent loin au-dessus des nuages, presque en silence et la plupart sont invisibles aux yeux du commun des mortels. Mais ils reflètent des procédés puissants qui se déroulent au cœur des orages. » C’est l’explication de Hailiang Huang, une étudiante en doctorat de l’université des sciences et de technologie de Chine, qui se spécialise dans les TLE.

Les premières observations photographiques de ces événements, en 1989, étaient celles de flashs rouges qui traversaient le ciel en un clin d’œil. Ces spectacles de lumières ont été baptisés « farfadets », une inspiration qui vient de la pièce de Shakespeare Le Songe d’une nuit d’été et toute une floppée d’autres noms de contes de fée ont suivi à mesure que les chercheurs découvraient d’autres TLE. Aujourd’hui, les scientifiques travaillent toujours à comprendre ces phénomènes curieux, leur cause, leur fréquence d’apparition, et ce qu’ils peuvent dire de l’atmosphère de la Terre.

LA CHASSE AUX FARFADETS

Tout comme certains photographes sont des chasseurs de tempêtes, d’autres ont commencé à chasser les farfadets, tournant leurs objectifs vers le ciel la nuit au-dessus des tempêtes, espérant apercevoir des TLE.

Les farfadets ont été observés au large des côtes européennes et au-dessus des Grandes Plaines des États-Unis, mais en 2022, les astrophotographes Angel An et Shuchang Dong en ont capturés 105 au cours d’une tempête en Asie du Sud. Il s’agit du plus grand nombre de farfadets jamais photographiés. Des chercheurs en ont récemment discuté dans la revue scientifique Advances in Atmospheric Science.

« Les farfadets sont les plus iconiques des TLE », confie Hailiang Huang, autrice principale de l’article.

Ils apparaissent en seulement une fraction de secondes en un flash rouge et ressemblent à un réseau de racines grêles de flammèches de la même couleur. Ce phénomène est provoqué par des éclairs positifs qui frappent le sol, créant un champ électrique qui atteint notre atmosphère, à environ 50 à 90 kilomètres au-dessus de la surface de la planète.

Sur le plateau tibétain, au nord de l’Himalaya, les tempêtes d’éclairs sont très communes. Les changements brusques d’élévation produisent d’intenses convections atmosphériques et les mouvements de l’air humide créent des nuages. C’est un laboratoire parfait pour étudier les TLE. Cependant, avant les images prises en 2022 par Angel An et Suchang Dong, aucun n’avait encore été observé dans cette région.

Hailiang Huang et son collègue, Gaopeng Lu, physicien atmosphérique de l’université des sciences et de technologie de Chine, ont développé une méthode pour synchroniser les vidéos et les photos que les deux photographes ont prises sur le plateau tibétain. En se servant des données satellite et des cartes du ciel afin d’horodater chaque image des vidéos, l’équipe a pu relier 70 % des farfadets avérés à l’éclair qui les avait engendrés.

Pour Hailiang Huang, les résultats démontrent la valeur scientifique des observations des astronomes amateurs. « C’est exaltant de voir que ce domaine rassemble des scientifiques professionnels et des amateurs passionnés qui travaillent côte à côte pour comprendre un phénomène si éphémère et pourtant si profond. »

Non seulement les photographes ont capturé des clichés d’un grand nombre de farfadets mais la tempête himalayenne a également vu la formation de TLE encore plus rares, que l’on appelle jets et fantômes. L’équipe a découvert seize jets secondaires, de puissantes colonnes de lumières souvent bleues, parfois violettes, qui montent en flèche dans le ciel, et au moins quatre fantômes, des halos troubles verts qui peuvent parfois apparaître au-dessus des farfadets.

« Bien que les farfadets [et d’autres TLE] puissent sembler délicats et discrets dans la haute atmosphère, ils sont souvent liés à des systèmes météoroligiques puissants et parfois dévastateurs », explique Hailiang Huang. « Les comprendre satisfait non seulement notre curiosité sur la haute atmosphère mais nous aide également à en apprendre plus sur les tempêtes auxquelles nous faisons face sur Terre. »

UNE BASE DE DONNÉES DE TLE

Les différents types de TLE varient selon l’altitude, les éclairs qui surviennent et les éléments chimiques présents dans cette partie de l’atmosphère mais les causes exactes de chaque TLE doivent encore être confirmées. Depuis 2022, le projet Spritacular de la NASA tente de capturer ce type de TLE, en se reposant également sur les données partagées par des amateurs, dans l'esprit des projets de science citoyenne.

« Je voyais des images prises par un public des quatre coins du monde et partagées sporadiquement sur Internet, et la communauté scientifique dans sa grande majorité ignorait leur existence », explique Burcu Kosar, physicienne atmosphérique au sein du Centre de vol spatial Goddard de la NASA, à la tête du projet. « Spritacular est né pour palier cela, pour lier le public à la communauté scientifique en créant la première base de données de farfadets et d’autres TLE alimentée par tous. »

Spritacular invite les volontaires à soumettre les clichés de TLE qu’ils ont capturé tout autour du monde, et le projet a collecté plus de 700 soumissions de la part de 900 utilisateurs provenant de vingt pays différents. Les participants peuvent également aider à trier la base de données, en identifiant les phénomènes sur les images des autres utilisateurs ou sur celles prises depuis la Station spatiale internationale.

Le projet vise à collecter un large éventail de données des TLE enregistrés car la plupart des événements précédemment documentés n’étaient qu’exceptionnels. S’ils parviennent à réunir suffisamment de données d’observation, alors Bucur Kosar et son équipe pourront commencer à identifier des schémas et des tendances dans les données, et également étudier les TLE plus rares, tels que les fantômes et les jets.

En outre, comprendre les TLE sur la Terre pourrait nous aider à étudier d’autres planètes. Les données récoltées par la mission Juno de la NASA suggèrent que les farfadets et les elfes, des anneaux de lumière mystérieux, se produisent également dans l’atmosphère de Jupiter.

À cause de la nature fugace des TLE, Bucur Kosar et son collaborateur József Bór, chercheur spécialisé en TLE de l’Institut hongrois de physique terrestre et sciences spatiales, s’accordent à dire que la force du projet repose dans la contribution des citoyens à Spritacular. « Je pense que c’est le pouvoir de la communauté qui donne sa force à Spritacular et permet les avancées du travail scientifique », déclare József Bór.

L’INFLUENCE DU CLIMAT SUR LES TLE

Les efforts mis en place par la communauté et qui sont le moteur de la recherche sur les TLE pourraient aider à répondre à l’une des questions les plus pressantes qui entourent les farfadets et les autres TLE : l’influence du climat sur leur fréquence d’apparition.

« L’augmentation globale des températures due au changement climatique aura une influence sur la fréquence et l’intensité des orages, qui conduira également à des éclairs plus puissants. Tous sont des précurseurs pour une activité de TLE », explique Bucur Kosar. « Les détails sont encore en cours de recherches, mais l’étude des TLE pourrait devenir encore plus importante pour suivre les changements de notre atmosphère. »

Le travail avec des scientifiques du climat et de l’espace afin de comprendre comment les changements dans les schémas des tempêtes pourraient influencer l’activité mondiale de TLE est également un projet pour l’équipe chinoise. Aux yeux de Hailiang Huang, il s’agit d’un domaine d’étude auquel il est exaltant d’appartenir : « On a l’impression d’explorer une frontière atmosphérique. Chaque observation revient à capturer un signal rare et fugace depuis les abords de l’espace. C’est tout aussi impressionnant visuellement qu’impactant du point de vue de la physique. »