Pourquoi les bonnes idées viennent sous la douche : ce que dit la science

Bien souvent, les bonnes idées ne viennent que quand nous ne les cherchons pas : un phénomène certes frustrant, mais qui n'est pas dû au hasard.

De Stacey Colino
Publication 16 août 2022, 18:45 CEST
Lorsque vous êtes sous la douche, « vous n’avez pas grand-chose à faire, vous ne voyez pas ...

Lorsque vous êtes sous la douche, « vous n’avez pas grand-chose à faire, vous ne voyez pas grand-chose et il y a un bruit blanc. Votre cerveau pense de manière plus chaotique. Vos processus exécutifs diminuent et les processus associatifs s’amplifient. Les idées se mélangent, et différentes pensées peuvent se heurter et se connecter », selon John Kounios, neuroscientifique cognitif et directeur du Creativity Research Lab à l’université Drexel de Philadelphie.

PHOTOGRAPHIE DE Elizabeth Cecil, The New York Times via Redux

Il vous est probablement arrivé de sortir de la douche ou de rentrer d’une promenade avec votre chien avec une idée géniale ou une solution à un problème dont vous n’arriviez pas à vous défaire. Et ce n’est peut-être pas dû au hasard.

Plutôt que de s’acharner sur un problème ou de rechercher désespérément une lueur d’inspiration, des études menées au cours des quinze dernières années suggèrent que nous sommes plus susceptibles d’avoir des percées créatives ou des « illuminations » lorsque nous effectuons une tâche habituelle qui ne demande pas de réflexion ; autrement dit, une activité dans laquelle nous sommes presque en pilote automatique. Cela permet à l’esprit de vagabonder ou de s’engager dans une cognition spontanée ou une réflexion de type « flux de conscience » qui, selon les experts, aiderait à retrouver des souvenirs inhabituels et à générer de nouvelles idées.

« Les gens sont toujours surpris lorsqu’ils réalisent qu’ils ont des idées intéressantes et nouvelles à des moments inattendus, car notre récit culturel nous dit que nous devrions y parvenir en travaillant dur », explique Kalina Christoff, neuroscientifique cognitive à l’université de Colombie-Britannique, à Vancouver. « C'est une expérience humaine assez universelle. »

Nous commençons à comprendre les raisons pour lesquelles ces idées surviennent lors d’activités plus passives, et ce qu’il se passe dans le cerveau à ce moment-là, poursuit Christoff. La clé, selon les dernières recherches, est un modèle d’activité cérébrale, dans ce que l’on appelle le réseau du mode par défaut, qui se produit lorsqu’une personne se repose ou effectue des tâches habituelles qui ne requièrent pas beaucoup d’attention.

Les chercheurs ont montré que le réseau du mode par défaut (RMD), qui relie plus d’une dizaine de régions du cerveau, est plus actif lorsque l’esprit vagabonde ou que l’on effectue des tâches passives, que lorsque l’on fait une activité qui demande de la concentration. En d’autres termes, le RMD est « l’état dans lequel le cerveau revient lorsque l’on n’est pas impliqué de manière active », explique Roger Beaty, neuroscientifique cognitif et directeur du Laboratoire de neuroscience cognitive de la créativité à l’Université d’État de Pennsylvanie. À l’inverse, lorsque l’on est impliqué dans une tâche exigeante, les systèmes de contrôle exécutif du cerveau vous permettent de rester concentré, analytique et logique.

Cependant, si le réseau du mode par défaut joue un rôle clé dans le processus créatif, « ce n’est pas le seul réseau important », précise Beaty. « D’autres réseaux entrent en jeu pour modifier, rejeter ou mettre en œuvre des idées. » Il n’est donc pas judicieux d’accorder une confiance aveugle aux idées qui naissent sous la douche ou lors de tout autre épisode de vagabondage de l’esprit.

 

LE RÉSEAU DU MODE PAR DÉFAUT

C’est Marcus Raichle, neurologue à la faculté de médecine de l’université Washington à Saint-Louis, qui, avec ses collègues, a découvert en 2001 le réseau du mode par défaut de manière fortuite, alors qu’ils utilisaient la tomographie par émission de positons (TEP) pour observer le fonctionnement du cerveau de volontaires pendant qu’ils effectuaient des tâches nouvelles exigeant de l’attention. L’équipe a ensuite comparé ces images à celles prises lorsque le cerveau était au repos, et a remarqué que certaines régions du cerveau étaient plus actives pendant les tâches passives que pendant les tâches actives.

Cependant, les fonctions de chaque région du cerveau ne sont pas bien caractérisées, et les activités d’une même région cérébrale peuvent varier selon les circonstances. C’est pourquoi les neuroscientifiques préfèrent parler de « réseaux de zones cérébrales », tels que le réseau du mode par défaut, qui collaborent entre eux pour réaliser certaines activités, selon John Kounios, neuroscientifique cognitif et directeur du Creativity Research Lab à l’université Drexel de Philadelphie.

Raichle a appelé ce réseau le réseau du mode « par défaut » en raison de son activité accrue pendant les périodes d’inactivité, raconte Randy L. Buckner, neuroscientifique à l’université de Harvard. Cependant, cette appellation est quelque peu erronée, le RMD étant également actif dans la réalisation d’autres tâches mentales, comme les souvenirs du passé ou les réflexions sur soi-même.

Le réseau est également « impliqué dans les premières phases de la génération des idées, puisant dans les expériences passées et les connaissances sur le monde », explique Beaty. « Lorsque vous ne travaillez pas activement sur un problème, le cerveau continue de tourner et peut restructurer certains des éléments du problème : les pièces sont remaniées, et quelque chose fait tilt. » Ainsi, le RMD « aide à combiner les informations de différentes manières et à simuler des possibilités ».

Les chercheurs ont découvert que, en ce qui concerne les mesures de la créativité, une corrélation positive existe entre les performances créatives et le volume de matière grise du RMD. En d’autres termes, la créativité dépend de la taille du RMD.

Pour étudier les modifications dans l’activation cérébrale et la connectivité entre les différentes régions du RMD, des chercheurs ont demandé à des volontaires d’alterner entre des activités impliquant un effort cognitif élevé (nommer des couleurs), un effort cognitif faible (lire des mots) et un effort cognitif nul (se reposer). Ils ont constaté que l’activité du RMD était la plus élevée lorsque les participants étaient au repos, et qu’il était plus actif pendant la tâche impliquant un effort faible que pendant celle impliquant un effort élevé, selon l’étude publiée dans Scientific Reports en avril 2022. Ces observations suggèrent que l’activité du RMD peut augmenter et baisser, en s’arrêtant peut-être à des points intermédiaires en cours de route, en fonction du niveau de défi cognitif requis.

Le lien avec la pensée créative a été démontré dans une étude publiée en janvier dernier. Des patients sont restés éveillés pendant une opération du cerveau, permettant aux chirurgiens de cartographier l’aire corticale des fonctions du langage. Une stimulation électrique directe était appliquée dans leur RMD ou dans une autre zone de leur cerveau, et les patients devaient effectuer une « tâche d’utilisation alternative » consistant à inventer des utilisations inhabituelles pour un objet du quotidien : dans ce cas, un trombone. Cette méthode est efficace pour évaluer les capacités de pensée divergente. Les chercheurs ont constaté que la capacité des patients à réussir la tâche dépendait de la force des connexions entre les nœuds du RMD.

« Le réseau du mode par défaut semble être une source importante de créativité, et il est résolument associé à l’errance de l’esprit », affirme Jonathan Schooler, chercheur en psychologie à l’université de Californie à Santa Barbara. En effet, une étude publiée dans Human Brain Mapping en février 2022 a révélé que le phénomène qui consiste à rêvasser de manière positive et constructive, « caractérisé par la planification, des pensées agréables, des images vives et fantaisistes, et la curiosité », est associé à l’activité du RMD et à la créativité.

 

LES AVANTAGES DE L’ERRANCE MENTALE 

Consciemment ou non, selon Beaty, nos esprits divaguent de manière régulière et de différentes façons : d’un côté, il y a l’errance mentale délibérée, pendant laquelle nous essayons d’exercer un certain niveau de contrôle ou de direction sur notre pensée, et d’un autre, l’errance mentale spontanée, qui se produit dans le cerveau sans que nous la contrôlions. Dans le cadre d’une étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences en 2020, des chercheurs ont utilisé des électroencéphalogrammes pour suivre l’activité cérébrale et ont constaté que, 47 % du temps, l’errance mentale était spontanée.

C’est la forme spontanée qui permet tout particulièrement de créer de nouvelles combinaisons d’idées et d’informations. « Lorsque notre esprit s’éloigne d’une situation pour se plonger dans une rêverie intérieure, c’est là que nous pouvons avoir des idées créatives », décrit Schooler. « Dans cet état agréable, nous permettons aux pensées de traverser notre esprit librement. » Il faut toutefois garder à l’esprit que « parfois, nous devons faire le travail nécessaire pour créer un espace de problème qui pose les bases de l’émergence d’idées spontanées », ajoute-t-il.

C’est ce que l’on appelle « l’incubation », un processus qui se produit lorsque l’on s’éloigne d’un problème ou d’un défi particulier, et que notre esprit a la possibilité de vagabonder et de générer des idées nouvelles par des processus inconscients d’associations.

Pour découvrir à quel moment les idées les plus innovantes sont obtenues, Schooler et ses collègues ont demandé à des écrivains et à des physiciens professionnels de tenir un journal pendant deux semaines. L’objectif était d’indiquer leur idée la plus créative du jour, ce qu’ils faisaient au moment où ils l’ont trouvée, et s’il s’agissait d’une solution à un problème qu’ils n’arrivaient pas à résoudre jusqu’alors. Selon l’étude, publiée en 2019 dans Psychological Science, environ 20 % de leurs idées les plus significatives sont survenues alors qu’ils se livraient à une activité autre que le travail, ou qu’ils pensaient à quelque chose sans rapport avec l’idée créative. Plus important encore, les idées trouvées pendant les moments d’errance mentale étaient plus susceptibles d’être liées à la solution d’un problème contrariant.

« Nous avons besoin de cet aspect "d’exploration" de la génération d’idées pour être créatifs », explique Rex Jung, neuropsychologue à l’université du Nouveau-Mexique à Albuquerque. Cependant, d’autres parties du cerveau sont également nécessaires pour sélectionner une idée, évaluer sa viabilité et la mettre en œuvre dans le monde réel. « C’est une interaction, ou une danse, entre le réseau du mode par défaut et le réseau de contrôle cognitif, qui permet de générer une idée créative puis de la mettre en œuvre efficacement. »

 

COMMENT OPTIMISER SA CRÉATIVITÉ ?

Outre une meilleure connaissance de notre fonctionnement, la compréhension du processus créatif peut nous aider à maximiser notre puissance cérébrale. Toutefois, comme le souligne Jung, il ne faut pas oublier que « nous n’en sommes qu’au début, et qu’il y a encore beaucoup à apprendre sur la façon dont le cerveau parvient à créer ».

Dans un premier temps, un sommeil suffisant et de qualité doit rester une priorité ; il peut améliorer l’humeur et favoriser la mémoire, conseille Kounios, co-auteur de l’ouvrage The Eureka Factor: Aha Moments, Creative Insight, and the Brain. Pendant le sommeil, « les informations que vous absorbez pendant la journée passent d’un état fragile à un état plus durable qui peut donner lieu à des solutions ».

Dès le réveil d’une nuit complète ou même d’une sieste de vingt minutes, Christoff recommande de prêter attention aux pensées et aux idées qui viennent à l’esprit dans cet état liminal entre le sommeil profond et le réveil complet. C’est un moment pendant lequel les idées sont « souvent très libres », ajoute-t-elle. Vous pouvez donc exploiter tout votre potentiel créatif.

Pour activer consciemment votre RMD et vos idées créatives pendant la journée, autorisez-vous à faire des activités qui ne sont pas exigeantes sur le plan cognitif, telles qu’une promenade, un bain chaud ou du jardinage, sans écouter de musique ou de podcast. Laissez simplement votre esprit vagabonder. Faites-le lorsque vous êtes « dans un état de sécurité psychologique, où il n’y a aucun danger à avoir une pensée inhabituelle et aucune tâche immédiate à accomplir », ajoute Kounios. Autrement dit, ne le faites pas lorsque vous êtes au volant.

Pendant la journée, faire quelque chose de facile et de familier, impliquant souvent un certain type de mouvement, est susceptible de faciliter le flux de pensées spontanées. Lorsque vous êtes sous la douche, par exemple, « vous n’avez pas grand-chose à faire, vous ne voyez pas grand-chose et il y a un bruit blanc. Votre cerveau pense de manière plus chaotique. Vos processus exécutifs diminuent et les processus associatifs s’amplifient. Les idées se mélangent, et différentes pensées peuvent se heurter et se connecter », raconte Kounios.

Certaines recherches suggèrent que passer du temps dans la nature, ce qui peut évoquer un sentiment d’émerveillement et de relaxation, est propice à l’errance de l’esprit, car cela permet « à votre attention de s’étendre pour remplir l’espace. […] Une promenade dans la nature peut améliorer votre humeur et élargir le cadre de vos pensées pour y inclure des idées et des associations lointaines ».

C’est pourquoi, si vous essayez de trouver une nouvelle idée ou de résoudre un problème, il peut être bon de commencer par travailler dessus, puis de faire une pause et d’aller vous promener si vous êtes dans une impasse. « Cela permet à votre esprit de travailler inconsciemment sur un sujet sur lequel vous travailliez consciemment juste avant », selon Christoff.

Un élément clé est que l’activité doit durer suffisamment longtemps « pour offrir la possibilité d’entrer dans un mode de pensée différent, que nous avons généralement tendance à éviter par culpabilité », ajoute la neuroscientifique. « Nous devons être suffisamment détendus mentalement pour ne pas essayer d’être productifs ou d’atteindre un objectif quelconque. Avec les activités habituelles que nous pratiquons avec une certaine régularité, nous ne nous sentons pas coupables de laisser notre esprit vagabonder : c’est alors que l’esprit peut atteindre de nouvelles contrées. »

Ainsi, n’ayez pas peur de vous déconnecter et de vous réserver du temps pour vagabonder et réfléchir. « L’une des conséquences du monde [ultra-connecté] dans lequel nous vivons est que nous ne nous laissons pas assez de temps pour rêvasser », déplore Schooler. Donner à votre esprit la possibilité de vagabonder, c’est investir dans votre créativité.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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