La révolution du verre : bientôt, il se pliera et rebondira

Les humains fabriquent du verre depuis 4 000 ans. Mais aujourd’hui, les scientifiques développent des techniques qui révolutionneront tous les domaines, de la médecine à la façon dont nous percevons l’univers.

De Jay Bennett, Photographies de Christopher Payne
Publication 28 févr. 2024, 11:12 CET
Dans le nord de l’État de New York, des chercheurs de la société Corning testent des ...

Dans le nord de l’État de New York, des chercheurs de la société Corning testent des formules pour améliorer la résistance, la couleur et la clarté optique du verre.

PHOTOGRAPHIE DE CHRISTOPHER PAYNE

Retrouvez cet article dans le numéro 293 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

Par une fraîche journée de mars, Kazuhiko Akiba et l’un de ses collègues se tenaient dans la cour de la verrerie Chiba Kogaku, au Japon, prêts à dévoiler leur dernière création. Un chariot élévateur apporta un pot en argile de la taille d’un jacuzzi et le déposa devant eux. Les deux hommes s’équipèrent de lunettes de sécurité et de gants. Puis, armés d’un marteau, ils se mirent à frapper les bords du pot, brisant de gros morceaux de céramique pour en révéler le précieux contenu : une substance dure et lumineuse qui, sous les rayons du soleil de l’après-midi, brillait dans des teintes céruléennes de glace arctique. Kazuhiko Akiba, le directeur de l’usine, recula, admiratif. «Kirei», s’exclama-t-il. Magnifique. Il s’agissait du dernier lot d’un des verres optiques les plus purs du monde, connu sous le nom d’E6.

Située à l’est de Tokyo, Chiba Kogaku fabrique du verre dans des pots en argile de façon artisanale depuis plus de cinquante ans. La technique remonte au début du XIXe  siècle, lorsque le fabricant suisse de lentilles Pierre-Louis Guinand devint le pionnier de la méthode consistant à utiliser des bras en céramique réfractaire pour brasser le verre fondu. Elle permettait d’obtenir un produit sans bulles ni contaminants, idéal pour l’optique. En 1965, la firme japonaise Ohara Glass perfectionna le procédé et développa l’E6, un verre à faible dilatation, désormais uniquement fabriqué pour elle à Chiba Kogaku.

La fabrication d’un pot d’environ 800 l prend à peu près quatre mois. D’abord, un récipient en argile est façonné à la main. Puis des ouvriers y versent un mélange fait, entre autres, de silice, d’oxyde de bore et d’oxyde d’aluminium, et chauffent le tout à 1 500 °C. Le verre en fusion doit être brassé à intervalles réguliers pendant plus de deux jours, avant que le pot soit placé dans une chambre à température contrôlée, où il refroidira durant deux semaines.

Briser le pot en argile permet d’enlever la couche extérieure de verre et de ne garder qu’une substance pure pouvant être refondue et moulée dans des formes précises et résistantes à des températures extrêmes. Une telle stabilité s’avère cruciale dès lors qu’il s’agit de fabriquer des miroirs pour les grands télescopes.

Le marché pour des instruments aussi coûteux est si restreint que la totalité de l’E6 fabriqué ces quarante-deux dernières années n’a été livrée qu’à un seul client. Une part importante de cette production (122 t) est spécialement destinée à un projet qui, en cas de succès, changera notre façon de concevoir l’Univers. 

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    Gauche: Supérieur:

    Une fois le verre E6 retiré du pot en argile, un ouvrier en marque la surface à l’aide d’une pointe à tracer en carbure de tungstène, avant de chauffer la fissure avec un chalumeau jusqu’à ce que le verre se fende en deux.

    Droite: Fond:

    Puis il est découpé en petits blocs, dont les moindres défauts seront détectés par une lentille polarisante. Ils seront ensuite expédiés dans un laboratoire de l’université de l’Arizona, où ils seront refondus pour fabriquer les miroirs du télescope géant Magellan.

    Photographies de CHRISTOPHER PAYNE

    L’E6 n’est qu’un exemple de la manière dont le verre est aujourd’hui réinventé pour explorer toutes sortes de frontières. Ce matériau a fait l’objet de plus de progrès technologiques et industriels au cours des cinquante dernières années qu’au cours du précédent millénaire, ce qui a incité l’ONU, en  2022, à le reconnaître comme l’élément 100% recyclable le plus susceptible d’aider les pays à atteindre leurs objectifs de développement durable d’ici à 2030. Autrement dit, nous sommes entrés dans une nouvelle ère du verre, une ère dans laquelle les scientifiques utiliseront ce matériau ancien pour améliorer radicalement nos vies.

    Il existe un mème populaire sur Internet montrant le moment où des tout-petits reçoivent leur première paire de lunettes. Dans chaque vidéo, un enfant braillard ou désorienté prend tout à coup l’air abasourdi, les yeux écarquillés, alors que, pour la première fois, il peut nettement voir ses parents, et cela grâce à une technologie conçue il y a plus de sept cents ans et utilisée par des milliards de personnes depuis.

    De nos jours, porter des lunettes est devenu si banal que nous avons pratiquement oublié l’impact de l’invention des lentilles optiques sur la civilisation. Cela vaut pour la plupart des domaines que le verre a profondément bouleversés. Essayez d’imaginer la vie sans bouteilles ni plats allant au four, sans miroirs ni fenêtres, sans ampoules électriques ni téléviseurs. Si vous lisez cet article sur votre smartphone, c’est que vous avez appuyé sur un écran tactile en verre, et ces mots sont apparus via des données circulant dans des câbles à fibre optique en verre.

    Un technicien montre la flexibilité d’une feuille de verre. Ce produit, signé Corning, permet de fabriquer des écrans de téléphone pliables et des vitres ultralégères.

    PHOTOGRAPHIE DE CHRISTOPHER PAYNE

    Les êtres humains ont intégré peu à peu ce matériau dans leur vie depuis qu’ils ont découvert comment le produire, il y a 4500 ans environ. Bien que l’on ne sache pas exactement où il a été créé, quelques-unes des plus anciennes perles et autres ornements en verre ont été retrouvés en Mésopotamie. Les historiens supposent qu’il pourrait être apparu comme un sous-produit accidentel de la fabrication de céramique ou de métal. Quoi qu’il en soit, l’homme a rapidement appréhendé le procédé pour le créer, comme en témoigne une tablette d’argile babylonienne découverte dans l’actuel Irak, et qui consigne en caractères cunéiformes l’une des premières recettes connues du verre.

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