Un robot a ramené à la vie le dernier ancêtre commun des reptiles, des dinosaures et des oiseaux

Grâce aux empreintes et aux squelettes fossilisés d'Orobates pabsti, les scientifiques ont reproduit la démarche singulière de l'animal.

De Jason Bittel
Ce fossile étonnamment complet d’un Orobates pabsti a été mis au jour en Allemagne.
Ce fossile étonnamment complet d’un Orobates pabsti a été mis au jour en Allemagne.
PHOTOGRAPHIE DE Phil Degginger / Alamy Stock Photo

Il y a trois cents millions d’années, une étrange créature de la taille d’un chien, baptisée Orobates pabsti, vivait sur Terre. Si son nom est inconnu à la plupart d’entre nous, les scientifiques considèrent que cet animal est un cousin proche du dernier ancêtre commun des reptiles, des dinosaures, des oiseaux et mêmes des mammifères.

Désormais, les chercheurs savent non seulement qu’Orobates pabsti a marché sur Terre, mais aussi comment il se déplaçait.

Orobates pabsti est spécial : il s’agit de la créature la plus ancienne pour laquelle nous avons mis au jour des squelettes et des empreintes fossilisés bien conservés. Seuls, ils ne fournissent pas assez d’indices, mais mis bout à bout, ils ont permis aux scientifiques de recréer la démarche de cet animal ancien, d’abord grâce à une simulation par ordinateur, puis en ayant recours à un robot.

Grâce à ce travail, les biologistes sont parvenus à mieux comprendre quand et pourquoi la locomotion a évolué comme elle l’a fait. Il pourrait constituer une première étape dans la découverte de la façon dont nos ancêtres ont quitté l’eau pour la terre ferme.

Les scientifiques pensent par exemple qu'Orobates pabsti devait beaucoup ressembler à un caïman lorsqu’il arpentait l’Allemagne actuelle. Pour John Nyakatura, biologiste de l’évolution à l’Université Humboldt de Berlin et auteur principal de l’étude publiée le 16 janvier dans la revue Nature, cela est surprenant. Les chercheurs pensaient jusqu’alors que les animaux de l’époque se déplaçaient plutôt comme des salamandres, avec les pattes écartées et le corps près du sol.

Les caïmans, quant à eux, élèvent leur tronc dans les airs lorsqu’ils se meuvent. Il s’agit là d’une forme de locomotion avancée qui ne se serait développée que plusieurs millions d’années plus tard, pensaient de nombreux scientifiques, lorsque les créatures pondant des œufs, les amniotes, sont entrées en scène.

« Si le dernier ancêtre commun du groupe auquel appartiennent Orobates et les amniotes présentait déjà cette démarche avancée, alors celle-ci ne serait pas liée à l’évolution de l’œuf », explique John Nyakatura.

 

MODÈLE NUMÉRIQUE ET SIMULATIONS PAR ORDINATEUR

Pour mieux comprendre comment Orobates pabsti roulait des mécaniques, les scientifiques ont dans un premier temps créé un modèle numérique en 3D du squelette de l’animal. Ils ont ensuite effectué des simulations par ordinateur pour voir ce que cela donnait à partir des empreintes fossilisées d’O. pabsti et en essayant différentes démarches.

De nombreuses espèces animales auraient pu marcher dans ces empreintes, mais chacune d’entre elles l’aurait fait en se déplaçant d’une manière légèrement différente, précise Kamilo Melo, co-auteur de l’étude et bio-roboticien à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne en Suisse. Par exemple, les scincidés gardent leurs quatre membres au ras du sol, tandis que les iguanes soulèvent la moitié antérieure de leur corps lorsqu’ils se déplacent.

Après 512 simulations, il était clair que certaines démarches auraient été impossibles d’un point de vue anatomique, a indiqué John Nyakatura, forçant les os d’O. pabsti à s’entrechoquer entre eux ou faisant céder les articulations de ses poignets.

 

LA DÉMARCHE D’UN CAÏMAN

Mais comme l’indique Kamilo Melo, certains facteurs tels que la gravité, la friction et l’équilibre, ne peuvent être représentés fidèlement avec des simulations par ordinateur. L’équipe a alors voulu voir ce que cela donnait en vrai. Pour ce faire, elle s’est tournée vers OroBOT, un robot biomimétique.

En ajustant certains paramètres, comme le degré d’inclinaison de la colonne vertébrale de l’animal lorsqu’il se déplaçait, l’écartement de ses pattes et l’amplitude de mouvement des articulations de ses épaules, OroBOT a permis d’exclure encore plus de démarches potentielles. Le robot a également trébuché et s’est renversé sur le dos lorsqu’il testait quelques façons de se déplacer, confie Kamilo Melo. Et ce n’est pas le pire.

« Nous avons cassé une de ses côtes », confie-t-il.

Finalement, l’équipe s’est mise d’accord pour dire que la démarche semblable à celle d’un caïman correspondait le plus. Toutefois, pour s’assurer que leur méthodologie était solide, les scientifiques ont reproduit l’expérience pour des espèces vivantes de caïmans et de salamandres, afin de vérifier s’ils pouvaient prédire comment ces animaux se déplaceraient en utilisant uniquement les empreintes et les modèles numériques de squelette. Les démarches obtenues lors de ces tests correspondaient à celles vues dans la nature et les chercheurs ont donc su qu’ils tenaient là quelque chose.

 

COMPRENDRE COMMENT NOS ANCÊTRES LOINTAINS SONT VENUS VIVRE SUR LA TERRE FERME

John Nyakatura insiste sur le fait que toutes ces techniques ont précédemment été essayées mais que jusqu’alors, personne ne les avait toutes mises à profit dans le cadre d’une seule étude exhaustive. « Je pense que nous pouvons être fiers de notre idée », a-t-il déclaré.

Julia Molnar, chercheuse dans le domaine de l’anatomie comparée à l’Institut de technologie de New York, est d’accord avec cette déclaration. Selon elle, cette étude établit une nouvelle norme pour le domaine.

« Ils lancent vraiment un défi en termes de recherche sur la locomotion d’animaux aujourd’hui disparus », explique Julia Molnar. Quant à l’étude dans son ensemble, la chercheuse confie que les créatures moins connues, à l’instar d’O. pabsti sont très intéressantes, car elles peuvent nous aider à mieux comprendre comment nos ancêtres lointains sont venus vivre sur la terre ferme.

« Je pense qu’il s’agit du premier chapitre d’une super histoire », a ajouté la scientifique.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com

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