Au Japon, ces prières sont devenues des symboles d'espoir

Dans les temples et les sanctuaires du Japon il est coutume d’accrocher des ema, de petites plaques de bois dédicacées qu’on suspend entre la terre et le ciel afin d’apaiser les âmes tourmentées.

De Ronan O’Connell
Publication 18 janv. 2022, 14:30 CET
Jishu-jinja Shrine

Au sanctuaire Jishu-jinja de Kyoto, comme dans de nombreux autres lieux de culte au Japon, on peut suspendre un ema sur lequel on inscrit un vœu ayant trait à des sujets divers et variés comme la pandémie ou bien l’amour.

PHOTOGRAPHIE DE coward_lion, Alamy Stock Photo

C’est au jour de l’an que les requêtes aux divinités s’accumulent le plus dans les sanctuaires shinto et les temples bouddhistes du Japon. Inscrits sur des ema (des plaques de bois) ces vœux sont censés s’élever jusqu’aux cieux.

« Trouve-moi. Aime-moi. Épouse-moi », peut-on lire sur une plaque signée « TXQ » et adressée à « Mister Right » au sanctuaire Jishu-jinja de Kyoto, qui est dédié à Ōkuninushi-no-mikoto, la divinité shinto de l’entremise.

« Prions pour qu’un bébé heureux et en bonne santé arrive bientôt dans notre famille », ont inscrit Andy et Suri sur un ema au temple Hōzen-ji d’Osaka, qui rend hommage à Fudō Myōō, un des cinq gardiens du bouddhisme au Japon.

Depuis plus de mille ans, les Japonais se servent de ces plaques pour que les divinités leur accordent amour, richesse, longue vie et réussite aux examens. Ces deux dernières années, un nouveau souhait a fait son apparition sur les ema : être protégé du Covid-19.

Désormais, beaucoup d’ema comportent un message ayant trait à la pandémie ou bien une image d’Amabie, un être surnaturel du folklore japonais chargé d’éloigner les pestes. Le temple Kasuga-taisha, dans la ville de Nara, propose même des ema anti-coronavirus décorés de personnages d’animation.

Des lanternes illuminent le sanctuaire Kasuga-taisha, à Nara, lors du festival Chugen Mantoro qui s’est tenu en 2020. Cet événement annuel a pour thème la santé et la sécurité, des sujets particulièrement pressants en ces temps de pandémie.

PHOTOGRAPHIE DE The Yomiuri Shimbun, AP Images

La pandémie a renforcé le rôle crucial des ema, selon Jennifer Robertson, anthropologue et professeure émérite d’anthropologie et d’histoire de l’art de l’Université du Michigan qui étudie ces plaques depuis 40 ans. Les ema servent d’exutoire aux peurs et aux angoisses ; plus de 1,7 millions de personnes ont contracté le Covid-19 dans le pays depuis janvier 2020. Ces plaques de bois permettent d’égayer l’âme et d’abandonner un vœu à la brise, non sans rappeler les drapeaux de prière tibétains, les ex-voto bouddhistes et les lanternes flottantes.

Chaque ema coûte environ 3,50 euros et permet de financer les temples et les sanctuaires. Lorsqu’ils se rendent dans ces lieux sacrés, les visiteurs sont invités à accrocher une de ces plaques en l’air et à la recouvrir de leurs espoirs et de leurs ambitions.

 

TOUT SAVOIR SUR LES EMA

D’après Jennifer Robertson, des chevaux étaient à l’origine représentés sur les tout premiers ema (mot qui signifie littéralement « image de cheval »). Cela servait de substitut à la pratique rituelle plus ancienne du sacrifice d’un animal vivant à des divinités ou à des dirigeants décédés.

De nos jours, ces plaques mettent en avant aussi bien des créatures, des fleurs, des geishas, des cœurs, des arbres que des cascades. Elles sont suspendues à des portiques prévus à cet effet. Certains supportent des milliers d’ema. On peut les acheter pré-décorés ou bien vierges et les personnaliser avec des images dessinées à la main avant d’y inscrire son propre message sur la face vierge.

Ces vœux sont ensuite inspectés par le prêtre en chef du temple ou du sanctuaire qui prie pour qu’ils soient exaucés. « La plupart des ema sont brûlés à intervalles réguliers dans les sanctuaires et les temples lors de rites appelés ema kuyō, explique Jennifer Robertson. La combustion libérerait le message ou la prière ou le vœu vers le royaume des Kami [les esprits et divinités du Japon] pour qu’il y soit exaucé. » Elle ajoute que lorsque leur requête est exaucée, certaines personnes viennent accrocher un autre ema en guise de remerciement.

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    Gauche: Supérieur:

    Des ema suspendus à des portiques au sanctuaire Kitano Tenman-gū de Kyoto.

    PHOTOGRAPHIE DE Didier ZYLBERYNG, Alamy Stock Photo
    Droite: Fond:

    Ema signifie « image de cheval ». Ce nom est un reliquat des premières plaques de bois sur lesquelles on représentait des chevaux afin de ne pas avoir à les donner réellement en offrande. De nos jours, les ema sont ornées de bien des manières et on y inscrit des vœux ayant trait à des sujets comme la réussite aux examens ou des désirs de grossesse.

    PHOTOGRAPHIE DE Engelhorn, Laif, Redux

    La tradition de l’ema reste un aspect central de la culture japonaise. C’est une pratique qui représente le lien profond qu’entretient le pays avec ses deux religions principales, le shintoïsme et le bouddhisme, qui sont intrinsèquement liées quoique distinctes. D’ailleurs, les Japonais pratiquent bien souvent les deux à la fois.

    Mais Jennifer Robertson ne saurait que trop insister sur le fait que les ema ne sont pas destinés qu’aux divinités. Beaucoup ont en fait pour objectif de provoquer une réaction émotionnelle chez d’autres êtres humains. En y inscrivant un nom, un âge et une adresse, les requérants espèrent que le destinataire absorbera leur message et qu’il y réagira avec compassion ou avec empathie.

    « Quand elles lisent les ema des autres, beaucoup de personnes s’aperçoivent qu’elles ne les seules dépositaires de leur problème ; nous sommes tous dans le même bateau », commente Jennifer Robertson. C’est « un peu comme aller sur Internet pour se renseigner sur un problème, un conflit familial, un patron égocentrique, des crampes ou des douleurs, et découvrir qu’il y a littéralement des milliers de personnes, voire des millions, qui souffrent de la même chose. »

    Selon Donald Saucier, professeur de psychologie de l’Université d’État du Kansas, les ema, les drapeaux de prière, les lanternes flottantes et les ex-voto sont autant de moyens d’apporter une forme de rassurance cruciale aux croyants lorsqu’ils rencontrent de l’adversité. Ces objets sont d’une part une voie vers les divinités, et d’autre part ils rappellent à ceux qui les accrochent qu’ils sont entourés d’un réseau de soutien humain. « Des objets comme les amulettes et les talismans peuvent nous permettre de nous souvenir [qu’il existe] des liens sociaux durables capables de nous réconforter lorsque cela va mal », ajoute-t-il.

    La pandémie de Covid-19 n’est que la dernière catastrophe en date à être mentionnée sur les ema. « De tous temps, on a déposé des ema après des épisodes de peste, des famines, des épidémies et d’autres épreuve collectives », précise Jennifer Robertson.

     

    COMMENT SUSPENDRE SON EMA ?

    Cette tradition japonaise millénaire n’est pas inaccessible aux touristes, loin de là. En effet, comme le rappelle Takakazu Machi, guide touristique au Japon depuis 18 ans, les voyageurs sont invités à suspendre des ema dans un certain nombre de lieux de culte à travers le pays. Avant la pandémie, il emmenait régulièrement des touristes admirer ou déposer des ema au sanctuaire Kitano Tenman-gū de Kyoto. Il indique qu’on peut tout à fait accrocher sa propre plaque en suivant les instructions placardées près des portiques afin de le faire de manière respectueuse.

    Des femmes vêtues de kimonos prennent un selfie devant des portiques à ema au temple Kiyomizu-dera de Kyoto, le 24 avril 2017. Chacun est libre de suspendre un ema, de manière respectueuse, en suivant les instructions qui sont placardées dans la plupart des temples et sanctuaires du Japon.

    PHOTOGRAPHIE DE Benny Marty, Alamy Stock Photo

    C’est au sanctuaire Meiji-jingū de Tokyo, au temple Shi Tennō-ji d’Osaka et au sanctuaire Fushimi Inari de Kyoto que les touristes suspendent le plus d’ema. On peut également opter pour un sanctuaire ou un temple en lien avec un domaine spécifique. Les parents endeuillés à la suite d’une fausse couche vont traditionnellement suspendre un ema au temple Zōjō-ji de Tokyo, où se trouve le Jardins des enfants défunts. Les étudiants qui veulent à tout prix réussir leurs examens se rendent plutôt au Yushima Tenjin, le sanctuaire de l’érudition. Ceux qui espèrent obtenir des grâces romantiques laissent une plaque au sanctuaire Tsuyu no Tenjinja (ou Ohatsu Tenjin), théâtre d’une célèbre histoire d’amour.

    D’après Naoki Doi, guide touristique de Kyoto, certaines personnes y inscrivent même des messages à visée politique. Juste avant l’élection présidentielle américaine de 2012, un de ses clients du Texas s’est rendu à Fushimi Inari et y a accroché un ema sur lequel il avait écrit : « Obama, ça suffit ». Un vœu que les dieux ont ignoré, donc.

    Naoki Doi affirme avoir eu bien plus de chance avec les ema. Âgé de 76 ans, il se souvient comme si c’était hier de deux vœux envoyés aux divinités dans sa jeunesse. Accablé par le stress et désireux d’un avenir prospère, il suspendait des plaques leur demandant de l’aide pour obtenir les meilleurs résultats au lycée et à l’université. « Ça a très bien fonctionné pour moi », déclare-t-il. Comme des millions de Japonais avant lui, Naoki Doi a placé ses espoirs dans cette tradition millénaire. Aujourd’hui, en plein milieu d’une pandémie qui semble n’en pas finir, nombreux sont ceux qui font de même. Les ema sont plus importants que jamais.

    Ronan O’Connell est un journaliste et photographe indépendant australien. Il vit entre l’Irlande et la Thaïlande. Vous pouvez le retrouver sur Twitter.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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