Bhoutan, le bien-être comme devise nationale

Dans l’Himalaya, un petit royaume niché entre l’Inde et la Chine prône le bonheur comme art de vivre.

De Boyd Matson

Il était une fois un pays du bout du monde où vivait un roi ne ressemblant à aucun autre. Un jour, il décréta que, dans son minuscule royaume himalayen, « le bonheur national brut (était) plus important que le produit national brut ». La plupart d’entre nous font mine de croire à l’adage « l’argent ne fait pas le bonheur ».

Mais, dans notre for intérieur, une liasse de billets représente toujours un beau cadeau et réussit, au minimum, à nous décrocher un sourire. Que le développement économique d’un pays ne soit pas mesuré en monnaie sonnante et trébuchante n’a pas de sens pour nous.

Dans ces conditions, l’exemple du Bhoutan et de son souverain engagé en faveur du bonheur national brut (BNB) ressemble à un conte de fées.

Même les surnoms du Bhoutan – pays du Dragon Tonnerre, royaume des nuages, dernier Shangri-La – évoquent une contrée imaginaire. Je me suis rendu sur place pour voir si les contes peuvent devenir réalité, et si les gens vivent vraiment heureux et ont beaucoup d’enfants.

PHOTOGRAPHIE DE Carte National Geographic

Cette nation montagneuse enclavée, dont la superficie équivaut environ à celle du Centre de la France, avec moins d’un tiers de sa population, vit en équilibre précaire, encadrée par deux mastodontes, l’Inde et la Chine (ou plutôt le Tibet, contrôlé par les Chinois). Comme me l’a résumé un autochtone, avec qui je discutais de politique, « si l’Inde éternue ou si la Chine pète, nous sommes emportés ».

Bien qu’on ne soit pas dimanche, je suis à l’église, ou plutôt dans un temple bouddhiste à l’intérieur de mon hôtel, dans la ville de Paro. Le moine qui préside à une cérémonie de la pûjâ nous offre sa bénédiction pour faire bonne route ainsi que des paquets de drapeaux de prière.

Je comprends leur signification quelques jours plus tard, quand j’arrive au col de Dochu-La, à un peu plus de 3 000 m d’altitude, sur une autoroute étroite enveloppée de brouillard et dépourvue de bas-côté. 

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    Monastère de Taktshang. Accroché à une falaise, à 3 120 m d’altitude, c’est le plus célèbre monastère bouddhiste du Bhoutan. Son nom signifie « Nid du tigre », la légende affirmant que Padmasambhava (Guru Rinpoche) vola jusqu’au monastère sur le dos d’un tigre.
    PHOTOGRAPHIE DE Christophe Migeon

    Les virages aveugles et les ravins abrupts sont bordés de drapeaux de prière. Des glissières de sécurité spirituelles, en quelque sorte. Le bouddhisme est intégré à la vie quotidienne des Bhoutanais, il est à la base de leur culture. Ce sont des idéaux bouddhistes que le roi Jigme Singye Wangchuk (le Quatrième Roi, comme on l’appelle couramment) a voulu institutionnaliser avec sa déclaration sur le BNB.

    L’isolement du reste du monde protégeait autrefois l’héritage unique du Bhoutan, mais cela est en train de changer. Un soir, à Wangdu Phodrang, trois aînés du village de Sha parcourent plusieurs kilomètres pour venir nous voir, dans notre hôtel. Ils souhaitent nous livrer leur point de vue sur l’évolution rapide et spectaculaire du Bhoutan au XXIe siècle.

    Lama Shatu, 94 ans, a été conseiller des Deuxième et Troisième Rois, avant de devenir juge, puis de consacrer le reste de sa vie à l’étude du bouddhisme. Il me raconte : « Quand j’étais plus jeune, j’entendais sans cesse parler de grosses machines puissantes appelées trains, qui pouvaient transporter les gens rapidement, sur de longues distances. Comme je voulais en voir un par moi-même, j’ai marché six jours jusqu’à la frontière indienne. Ensuite, j’ai été pris en stop par un camion, le premier véhicule motorisé que je voyais de ma vie. Et j’ai fait dix heures de route pour apercevoir enfin un train. »

    Le Bhoutan n’a toujours pas de train, mais il a construit sa première route en 1962 et son premier (et unique) aéroport international en 1983. Je fais partie des quelque 25 000 touristes qui s’y rendent chaque année.

    Mais des influences extérieures bien plus importantes arrivent ici, dans le torrent d’électrons déversé via les paraboles satellite et les ordinateurs, depuis que le Quatrième Roi a levé l’interdiction de la télévision et de l’Internet en 1999.

    Cette nouvelle connectivité et la technologie moderne vont-elles « améliorer la vie », comme le promet un slogan publicitaire ? Je peux juste dire une chose : j’ai passé trente minutes à observer des gens devant un petit écran et ils étaient en transe devant la « Nouvelle Star » bhoutanaise.

    À l’intérieur du dzong (monastère-forteresse bouddhiste) de Jakar, les dévôts de tous âges se succèdent pour recevoir la bénédiction des divinités.
    PHOTOGRAPHIE DE Christophe Migeon

    À plus d’un titre, le Quatrième Roi est un dirigeant hors norme. Il a déclaré que le pouvoir absolu d’un monarque non élu n’était pas dans l’intérêt du pays. Il a établi une Assemblée nationale, insisté pour que le Bhoutan organise des élections démocratiques et se dote ainsi d’un Premier ministre et d’un Parlement.

    Et enfin, à 50 ans, affirmant qu’il était temps de passer la main à la génération suivante, il a volontairement abdiqué et transmis le pouvoir au Cinquième Roi, Jigme Khesar Namgyel Wangchuk, son fils sorti d’Oxford.

    Je sillonne le pays et passe par le village de Kingathang, où un fermier m’invite à goûter de l’alcool artisanal fraîchement brassé, l’ara. Il me fait visiter sa maison et me présente les douze membres de sa famille, soit quatre générations vivant ensemble sous le même toit.

    C’est un scénario qui se répétera à de nombreuses reprises – les anciens s’occupent des jeunes, les jeunes aident les vieux, et tous considèrent cela dans l’ordre des choses. Les moments passés au domicile des habitants sont entrecoupés de détours par des monastères et des temples, pour tenter d’appréhender la philosophie qui façonne cette culture et inspire la politique nationale du BNB.

    Je garde le plus beau temple pour la fin : le monastère du « Nid du tigre » est niché à plus de 3100 m, à flanc de falaise. Selon la légende, Guru Rinpoche, qui aurait introduit le bouddhisme tantrique au Bhoutan, est arrivé ici sur le dos d’une tigresse ailée.

    Le monastère a été créé en 1692 pour célébrer l’un des sites les plus sacrés du pays. Par chance, étant donné la pénurie actuelle de félins volants, je peux marcher le long d’un petit sentier jusqu’au sommet. J’avais prévu de poser une question « cosmique » sur le sens de la vie à un moine.

    Mais, à mon arrivée, j’ai des préoccupations plus urgentes et l’implore de me fournir une nouvelle paire de genoux pour pouvoir redescendre de la montagne. Je ne suis pas sûr d’être plus avancé sur le secret du bonheur national brut, malgré la beauté du panorama.

    Dans la région de Bumthang, des fillettes assistent aux danses rituelles et aux pitreries des atsaras, des bouffons affublés d’un masque grimaçant.
    PHOTOGRAPHIE DE Christophe Migeon

    Finalement, un Bhoutanais m’éclaire : « Dans nos plus beaux endroits, nous construisons des temples et des monastères, où tout le monde se rend. Dans vos plus beaux endroits, vous construisez des hôtels cinq étoiles, où seuls les plus riches peuvent se rendre. »

    C’est peut-être la clé du BNB – tout le monde a la possibilité de s’épanouir. Qui sait si les habitants du royaume du Bhoutan vivront heureux jusqu’à la fin des temps ? Œuvrer dans ce sens est en tout cas l’objectif officiel de leur gouvernement.

    Et, au dire de ceux qui mesurent ces données intangibles, les Bhoutanais sont bien les habitants les plus heureux du continent asiatique, et parmi les plus heureux du monde.

    Un conseil : allez visiter ce pays avant qu’il ne change. Il reste peu d’endroits comme cela. Le contentement de ces gens peut être contagieux. Il a même un peu déteint sur un vieux cynique comme moi – du moins pendant mon séjour au Bhoutan. 

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