Dans la banlieue d'Athènes, cet atelier reproduit les chefs-d'œuvre antiques à la perfection

Dans cet atelier athénien, on promeut la culture grecque et on lutte contre les faux... en produisant des imitations légales de chefs-d'œuvre antiques.

De DEMETRIOS IOANNOU
Publication 12 nov. 2021, 10:56 CET
Sappho Replicas

Un atelier de la banlieue d’Athènes réalise des moules en plâtre d’un buste de la poétesse Sappho. Ces imitations seront vendues dans les boutiques des musées du pays.

PHOTOGRAPHIE DE Demetrios Ioannou

Si l’imitation est la forme la plus sincère de compliment, alors l’atelier d’Agios Ioannis Rentis regorge de compliments à l’art grec ancien. Dans cette ville de la banlieue sud d’Athènes, des artisans produisent des copies fidèles de statues antiques comme celle de la Vénus de Milo ou du dieu de l’Artémision. (D’ailleurs les spécialistes ne sont toujours pas d’accord, s’agit-il de Zeus ou de Poséidon ?)

Ces statues atterrissent dans des boutiques de souvenirs comme celle de l’Acropole d’Athènes ou du musée archéologique de Sparte. Les répliques sont également exposées dans des musées en Grèce et dans le monde entier ainsi que dans des lieux publics, dans une station de métro au Qatar notamment, où les voyageurs sont accueillis par un sosie de l’aurige de Delphes à qui il manque un bras.

 

Le dieu de l’Artémision original est exposé au musée national archéologique d’Athènes. On ne sait pas s’il s’agit de Zeus ou de Poséidon.

PHOTOGRAPHIE DE Peter Horree, Alamy

Les statues de marbre et de bronze sont les vestiges glorieux d’une civilisation puissante ayant existé du 12e siècle av. J.-C. à 600 ap. J.-C. et dont l’influence nous parvient encore. Chaque année, des touristes se rendent en Grèce pour admirer les cariatides du Parthénon, à Athènes, ou la terrasse des Lions à Délos. Grâce à cet atelier créé par le ministère grec de la culture, les visiteurs repartent souvent avec un objet inspiré par l’histoire pour décorer leur vestibule ou leur bureau. Mais les spécialistes se servent également de ces copies pour leurs recherches.

L’atelier a été créé dans les années 1970 pour à la fois promouvoir l’héritage antique de la Grèce et faire en sorte que les amateurs de souvenirs aient quelque chose d’autre à acheter que des mauvaises copies ou même des faux passant pour l’œuvre originale. « Notre travail voyage dans le monde entier », affirme Maria Zafeiri, mouleuse à l’atelier depuis trente ans. « C’est génial quand nos statues finissent dans un musée et que des milliers de regards les admirent. Cela fait venir encore plus de touristes en Grèce. »

Bien que l’atelier situé à Agios Ioannis Rentis ne soit pas ouvert au public, j’ai eu la chance inestimable de pouvoir le visiter et d’apprendre comment (et pourquoi) ces contrefaçons légales sont fabriquées.

 

REPRODUIRE DES CHEFS-D'ŒUVRE

À l’étage de l’atelier, au milieu des bégonias et des répliques de dieux, de monstres et de communs mortels, une équipe de quinze peintres, sculpteurs et restaurateurs produit des dizaines de moulages chaque semaine. Ils travaillent à partir de copies de maître des originaux antiques réalisées dans des musées ou sur des sites archéologiques. Les artisans enduisent les statues d’origine de savon ou les enveloppent d’une feuille d’aluminium avant de les recouvrir de plusieurs couches de plâtre ou d’argile.

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    Diamanto Sfetsa verse du plâtre et de l’eau dans le moule d’une statue cycladique.

    PHOTOGRAPHIE DE Demetrios Ioannou

    Quand ils arrivent à l’atelier, les moulages qui en résultent sont utilisés pour créer des moules en silicone qu’on remplit ensuite d’un mélange de plâtre et de fibres de chanvre. Les œuvres plus grandes (comme cette sculpture grandeur nature du dieu de l’Artémision) sont moulées en plusieurs fois et assemblées partie par partie.

    Après être sortis de leur moule en silicone, les Aphrodite, les Hermès et les sphinx sèchent à l’air libre pendant une semaine. Puis des ouvriers les nettoient et les lissent, brossent les éraflures, poncent les bulles d’air et bouchent des fissures avec du plâtre. Les statues sont peintes (à la brosse ou au spray) pour prendre l’allure du marbre ou du bronze et sont embellies par « oxydation et avec de la patine qui les fait ressembler aux originaux comme deux gouttes d’eau », explique Stelios Gavalas, sculpteur et directeur de l’atelier. « Créer une copie d’une ancienne œuvre d’art, c’est de la magie véritable, et c’est une fièvre qui ne passe pas. »

    Moulage tout juste achevé de la déesse Hygie. L’original est exposé au musée national d’archéologie d’Athènes.

    PHOTOGRAPHIE DE Demetrios Ioannou

    L’atelier réalise actuellement des fac-similés de 800 artéfacts différents. Ces copies finissent pour la plupart dans des boutiques de souvenirs du pays. Une petite figurine cycladique coûte 20 euros mais les prix peuvent monter jusqu’à 10 000 euros pour une copie de l’Hermès de Praxitèle.

    L’atelier reçoit également des commandes de musées. Il a notamment réalisé une copie du dieu de l’Artémision pour le parc de sculptures de Changchun, en Chine. Les jumelles et les jumeaux de la Vénus de Milo et d’autres statues iconiques tiennent le rôle principal au musée tactile d’Athènes, où les malvoyants peuvent découvrir l’art classique par le toucher.

     

    LA CONTREFAÇON, UNE HISTOIRE ANCIENNE

    La réalisation de copies de statues grecques ne date pas d’hier. Les Romains, qui idolâtraient la civilisation hellénique qu’ils avaient conquise, ont sculpté de nombreuses répliques de statues grecques, qu’ils tiraient généralement en bronze.

    Maria Zafeiri examine une série de tanagras avant de les emballer pour les expédier. Ces petites figurines sont l’exacte copie des originaux en terre cuite découverts dans des tombes au nord d’Athènes.

    PHOTOGRAPHIE DE Demetrios Ioannou

    Archéologues et artisans se sont mis à faire des moules en plâtre de statues grecques classiques peu après l’ouverture du musée national archéologique d’Athènes en 1829. « Les premiers moules n’ont pas été créés pour des raisons commerciales mais scientifiques. Les universitaires voulaient étudier les anciens, explique Stelios Gavalas. Ensuite, tout le monde a voulu des statues pour décorer son chez-soi. »

    « Il y a eu une production énorme d’artéfacts de contrefaçon à partir du milieu du 19e siècle », commente Anna Mykoniati, historienne de l’art grecque et autrice du livre Fake Antiquities.

    Prenez les tanagras, que l’atelier s’attèle à reproduire en ce moment. Après la découverte de ces petites figurines en terre cuite à l’effigie de femmes et de créatures mythiques dans des tombes au nord d’Athènes en 1860, on s’est mis à vendre des originaux pillés autant que des faux réalisés sans soin à des touristes. « Ce sont des femmes élégantes avec de beaux habits qu’on appelle ‘les Parisiennes de l’Antiquité’, poursuit Anna Mykoniati. Tout le monde voulait une tanagra pour mettre chez soi, au-dessus de la cheminée. On les trouvait dans tous les salons européens. »

    Certaines reproductions de statues anciennes étaient calamiteuses mais d’autres contrefaçons étaient si précises qu’elles se sont retrouvées dans des endroits comme le Getty Museum, à Los Angeles. En 2018, les conservateurs du Getty ont établi que le kouros qui faisait leur fierté (sculpté entre 650 et 480 av. J.-C. et acquis pour 5,2 millions d’euros) était vraisemblablement un faux et l’ont retiré de la salle d’exposition. « Il existe des méthodes pour se jouer des experts. Vous pouvez vieillir de l’argile, du marbre, presque n’importe quoi », assure Anna Mykoniati.

    Des moulages de statues anciennes sont fabriqués dans un atelier près d’Athènes. Les répliques de 800 œuvres d’art y sont réalisées et vendues dans les musées de toute la Grèce.

    PHOTOGRAPHIE DE Demetrios Ioannou

    Elle et d’autres chercheurs avancent que les contrefaçons de ce type ont un impact négatif sur la réputation de la culture grecque. « Les faux créent une fausse image du passé, affirme-t-elle. Ils entravent la recherche scientifique et la déforment. »

     

    FAUX ET RÉPLIQUES

    Mais Stelios Gavalas et son atelier ne produisent-ils pas eux aussi des faux ? « Je pense que la différence entre un faux et une réplique, c’est l’intention », commente Nancy Moses, autrice de Fakes, Forgeries and Frauds. « Il y a des imitations de chemisiers Chanel et de sacs de créateurs mais cela devient une imposture [quand] quelqu’un vous dit que ce sont des vrais. »

    Les peintres, les mouleurs et les autres artisans de l’atelier ne font « rien de plus que de copier, de la meilleure manière qui soit, la désirabilité, la beauté et la créativité qu’on observe sur les œuvres des Grecs anciens », affirme Stelios Gavalas.

    L’atelier d’Athènes donne envie aux touristes d’acheter un objet élégant, de rapporter (ou d’expédier chez eux) un souvenir de leur visite dans leur environnement quotidien. « Une bonne reproduction peut prolonger votre voyage, affirme Nancy Moses. C’est comme une photo de vous en vacances, cela vous replonge dans cette magnifique journée à l’Acropole. »

    Demetrios Iaonnou est photojournaliste et vit en Grèce et en Turquie. Retrouvez-le sur Instagram et sur Twitter.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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