États-Unis : à la découverte des patinoires sauvages

Pour retrouver un sentiment de liberté, les amateurs d’activités de plein air enfilent leurs patins et investissent les rivières et lacs gelés des États-Unis.

De Jen Rose Smith
Publication 23 févr. 2021, 19:08 CET
Une femme fait du patin à glace devant le glacier Sheridan, en périphérie de la ville ...

Une femme fait du patin à glace devant le glacier Sheridan, en périphérie de la ville de Cordova, au Centre-Sud de l’Alaska. Pendant la pandémie, le « patinage sauvage » a gagné de nombreux adeptes.

PHOTOGRAPHIE DE Design Pics Inc., Alamy Stock Photo

Matthew Baxley faisait du patin à glace par une nuit froide et silencieuse dans la réserve naturelle de Boundary Waters Canoe, forêt boréale du Minnesota parsemée de vastes lacs, lorsqu’il a aperçu un poisson endormi sous la glace noire. Sous ses pieds, un monde aquatique se dévoilait en détails.

Chacun de ses mouvements faisait vibrer la surface solide du lac. Le poids d’un seul patineur peut déclencher des grognements et des bruits secs, voire des détonations dignes d’un fusil à rayons de bande dessinée, renforçant ainsi le sentiment que vous glissez dans l’espace. Avec l’arrivée anticipée de l’hiver et l’absence de neige, Boundary Waters s’est transformée en une cour de récréation naturelle et parfaitement lisse.

« Il n’y a aucune résistance, vous avez l’impression de voler », confie Matthew Baxley, qui raconte ses aventures à la découverte des espaces sauvages du Minnesota dans son podcast dédié à Boundary Waters.

Les Hommes glissent sur l’eau gelée depuis des millénaires. La plus ancienne paire de patins à glace jamais découverte, fabriquée à partir d’ossements d’animaux, date de 1800 av. J.-C. La plupart de ces objets ont été mis au jour en Scandinavie, dans les Pays-Bas et en Finlande. Dans ces contrées gelées où l’eau est omniprésente, les patins s’avèrent très utiles pour se déplacer en hiver. Là où les marcheurs progressent péniblement, les patineurs glissent eux avec aisance.

Aujourd’hui encore, le « patinage sauvage », c’est-à-dire la pratique du patin à glace sur des lacs et rivières non entretenus, permet de se déplacer et de s’évader. En pleine pandémie, cette activité de plein air a gagné de nombreux adeptes dans les régions froides des États-Unis grâce au sentiment de liberté qu’elle offre.

Selon Dan Riegelman, propriétaire de Riedell Skates, un fabricant de patins à glace basé dans le Minnesota, les ventes ont fortement reculé avec la fermeture des patinoires intérieures pour cause de COVID-19 au printemps dernier. Elles sont néanmoins reparties à la hausse dans le nord des États-Unis, où il est possible de faire du patinage en extérieur. Cet engouement a permis de maintenir l’entreprise à flot.

« Ce sport a vu sa popularité exploser », indique Paxson Woelber, un adepte du patinage à glace sauvage qui vit à Anchorage, en Alaska. Il explique que tous les magasins du coin étaient en rupture de stock de patins en octobre, les habitants passant l’hiver à la recherche de la glace parfaite.

« Trouver de la bonne glace est quelque chose de vraiment spécial », confie-t-il. « La plupart du temps, vous ne trouvez rien. Mais, lorsque vous découvrez cet incroyable miroir, cette couche de glace qui s’étend entre les montagnes, c’est tout simplement incroyable ».

Lorsqu’il glisse sur une patinoire sauvage de l’Alaska, Paxson Woelber n’est pas chaussé de patins de hockey sur glace ou de patinage artistique, mais de patins à glace nordiques. Grâce aux charnières fixées sur leurs lames en acier, ces derniers permettent aux patineurs de lever leurs talons et de donner une impulsion à chaque mouvement.

« Vous avez une plus grande stabilité sur la glace irrégulière », explique Ben Prime, propriétaire du magasin Nordic Skater à Newbury, dans le New Hampshire. La longueur des lames, qui peut mesurer entre 38 et 53 cm, permet de parcourir plus facilement de longues distances. Les patineurs peuvent compléter leur panoplie avec des bâtons pointus pour gagner en équilibre et en puissance, un sac de sauvetage contenant une corde à jeter à une personne tombée dans l’eau et des pics à glace de poche pour remonter sur la glace.

Le besoin d’acquérir de tels équipements et d’apprendre à les utiliser souligne les dangers inhérents au patinage sauvage. Pour éviter la glace trop fine et les trous difficiles à repérer, les patineurs doivent tester la surface au fil de leur progression en y plantant leurs bâtons, en y tournant une broche à glace, voire même en lançant une grosse pierre. Nombreux sont les pratiquants de longue date à être tombés à l’eau ou à avoir vu la glace céder sous le poids d’un camarade. Si la plupart des patineurs privilégient les zones où la glace est la plus épaisse et donc la plus sûre, certains passionnés préfèrent rechercher de fines couches de glace immaculée.

« La glace fine est plus lisse que celle travaillée par une surfaceuse », explique Laura Kottlowski, une patineuse originaire du Colorado qui arpente les montagnes Rocheuses à la recherche de lacs alpins ayant rapidement gelé. Selon elle, la glace est parfaite lorsqu’elle mesure entre 5 et 7 cm d’épaisseur et qu’elle présente un éclat noir obsidienne sans imperfection.

En tant que patineuse artistique, la jeune femme trouve que cette glace brillante constitue un support idéal pour s’adonner à une forme d’art vieille de plusieurs siècles : lorsque ce sport a vu le jour, les patineurs ne sautaient ni ne tournoyaient comme ils le font aujourd’hui aux Jeux olympiques, explique-t-elle. À la place, ils gravaient des formes complexes dans la couche de glace, chose que la jeune femme a appris à aimer. 

Si vous débutez ou que vous êtes en famille, le patinage sauvage est à éviter, indique Laura Kottlowski. Le mieux est de vous rendre sur l’un des nombreux lacs et rivières gelés entretenus, à la surface moins piégeuse et présentant un risque moindre de tomber à l’eau.

Situé dans le Colorado, aux pieds des sommets boisés, le lac Evergreen est l’un des favoris de la patineuse. Avec sa superficie de plus de 34 000 m², il figure parmi les plus grandes patinoires extérieures surfacées au monde. Vous parviendrez cependant à trouver un peu partout des coins où patiner en famille dès lors qu’il fait suffisamment froid.

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    Sur ce cliché pris en février 1981, des familles investissent la glace du lac Evergreen dans le Colorado. Il s’agit d’un des plus grands sites de patinage sur glace surfacés en extérieur au monde.

    PHOTOGRAPHIE DE Denver Post, Getty Images

    Dans le Vermont, les patineurs investissent le lac Morey et son sentier de patinage de 7 km, le plus long des États-Unis. Cet hiver, des voisins de la ville de Warroad, dans le Minnesota, ont créé ensemble le sentier de patinage Riverbend : pour ce faire, ils ont transformé la sinueuse rivière Warroad en une piste de patinage naturelle longue de 4 km, qui relie une série de patinoires extérieures. À Anchorage, les patineurs tournoient à deux pas du centre-ville sur le lagon Westchester, où ils peuvent apercevoir des élans et des renards déambuler le long du rivage gelé.

    Ces sites entretenus contribuent à allonger la brève saison du patinage sur glace naturelle. Un lac de campagne, par exemple, peut bénéficier de conditions favorables pendant quelques jours avant que sa surface ne soit obscurcie par la neige. C’est ce caractère éphémère du patinage sauvage qui attire en partie certains patineurs. Laura Kottlowski peut ainsi marcher pendant des heures dans l’arrière-pays du Colorado à la recherche d’une bonne glace tout en sachant qu’elle ne la trouvera peut-être pas.

    Bien que la pratique de ce sport ait toujours été un plaisir éphémère, le réchauffement climatique commence à raccourcir encore plus cette saison très appréciée des patineurs.

    « Les températures très froides arrivent bien plus tard », remarque Robert McLeman, professeur de géographie et d’études environnementales à l’université Wilfried Laurier de Waterloo, au Canada. Dans le même temps, le dégel printanier survient plus tôt. « Il y a beaucoup plus de fluctuations, et cela diminue le nombre de jours idéaux pour la pratique du patinage ».

    Cette situation a poussé le professeur à fonder RinkWatch, une initiative de science citoyenne qui permet aux scientifiques citoyens de surveiller leurs patinoires extérieures locales afin de rendre compte des effets à long terme du réchauffement climatique. Son but n’est pas simplement d’obtenir des données, indique Robert McLeman. Il espère que cette initiative permettra de rendre la science plus personnelle aux yeux des amoureux des sports d’hiver.

    « La manière dont le réchauffement climatique est susceptible d’avoir une influence sur le patinage en extérieur touche une corde sensible chez ces personnes », souligne le professeur. « Ce lien direct est sans doute absent de ce qu’ils entendent ou lisent sur le réchauffement climatique. »

    À chaque contribution effectuée sur le site de RinkWatch, un petit patineur apparaît sur une carte du monde. Les saisies datées renseignent l’état de la glace de l’Alaska jusqu’à la Russie et fournissent des rapports précis sur les conditions météorologiques hivernales. Avant d’envoyer leur contribution, les participants peuvent choisir entre l’option « praticable » ou « non praticable » depuis un menu déroulant.

    Celui-ci ne comporte toutefois pas d’options permettant d’enregistrer la beauté des lignes nettes tracées par les lames acérées ou le rire étonné d’un patineur qui voit un poisson sous ses pieds. Il n’y a peut-être pas de temps pour cela. La bonne glace ne dure pas longtemps après tout.

     

    Journaliste de voyage basée dans le Vermont, Jen Rose Smith écrit sur les activités de plein air, les lieux hors des sentiers battus et la cuisine traditionnelle. Suivez-la sur Twitter.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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