Rencontre avec Gianni Crea, le gardien des clefs du Vatican

Chaque matin, c'est le même rituel : Gianni Crea, le gardien des clefs en chef du Vatican ouvre les portes qui mènent à l'Histoire.

De Gulnaz Khan
Photographies de Alberto Bernasconi
Gianni Crea, le gardien des clefs du Vatican.
Gianni Crea, le gardien des clefs du Vatican.
PHOTOGRAPHIE DE Alberto Bernasconi, Musei Vaticani

Depuis six ans, Gianni Crea ouvre les portes des musées du Vatican presque tous les matins. Il a vu la Chapelle Sixtine à l'aurore, enveloppée dans le silence ; les ombres de Caravage n'ont plus aucun secret pour lui, tout comme l'Égypte antique.

« Oui, je suis le gardien des clefs en chef, mais je suis toujours le portier qui ouvre le musée », a déclaré Gianni Crea, un catholique très pieux. « Sauf que j'ouvre les portes qui mènent à l'histoire de l'art et l'histoire de la chrétienté, la plus belle et plus grande histoire au monde ».

Cela fait 20 ans que Gianni Crea travaille pour le Vatican mais il n'est « clavigero » en chef que depuis six ans. « Lorsque je tiens ces clefs marquées par le temps qui passe, je sens le poids des responsabilités qui pèse sur mes épaules ».

Il commence ses journées à 5 h 30 du matin, dans le local sécurisé où sont rangées les 2 797 clefs des lieux. Chaque jour, Gianni Crea et son équipe de 10 clavigeri, cinq le matin et cinq le soir, ouvrent et ferment les 300 portes d'un itinéraire de 7,5 km. 700 autres employés travaillent avec eux aux musées du Vatican, qui accueillent jusqu'à 28 000 visiteurs par jour.

« Lorsque j'ouvre la première porte, je sais que l'odeur qui m'attend est celle de l'histoire, et l'air que je respire est celui que d'autres hommes ont respiré avant nous ». Sur ce sol qu'ils ont foulé, ils ont aussi aimé et pleuré, a-t-il ajouté.

 

PROGRAMMÉS POUR ÊTRE ÉMUS PAR L'ART ?

Les musées du Vatican abritent des dizaines de milliers d'œuvres d'art d'une valeur inestimable qu'ils protègent et restaurent. Ces œuvres datent de l'Antiquité jusqu'à l'époque moderne. L'objet le plus iconique est sans doute le siège du conclave. Gianni Crea se souvient à quel point il fut submergé par l'émotion lorsqu'il ouvrit en 1999 la Chapelle Sixtine pour la première fois, accompagné d'un ancien gardien des clés.

« Les corps sont représentés avec un tel détail : leurs mouvements, leur torsion, leur musculature », souligne Gianni. « Il y a quelque chose de si spécial, de tellement magique ici ».

Les époustouflantes fresques de Michel-Ange recouvrent l'ensemble des murs et le plafond de la chapelle. Des scènes du Livre de la Genèse sont représentées, aux côtés de 300 sujets qui révèlent les complexités du corps humain. Gianni confie avoir vu des gens de toutes les religions émus par tant de beauté.

Certains scientifiques avancent d'ailleurs que nous sommes « programmés » pour être émus par l'art, un principe que les philosophes se sont efforcés de comprendre depuis des siècles.

« Une personne qui admire une peinture sera émue si cette dernière dépeint le mouvement de l'âme de celui qui la regarde », a écrit en 1435 Léon Battista Alberti, un artiste florentin. C'était un siècle avant que la Chapelle Sixtine ne soit achevée. « Nous pleurons avec ceux qui pleurent, nous rions avec ceux qui rient, nous faisons le deuil avec les endeuillés ».

Les neuroscientifiques s'intéressent aujourd'hui à l'origine biologique de cette réponse, un domaine plutôt jeune connu sous le nom de la neuroesthétique.

Peu de recherches en imagerie cérébrale ont été menées, mais elles ont tout de même permis de découvrir que lorsque nous regardons des corps en mouvement ou que nous percevons les mouvements des coups de pinceaux, notre système des neurones miroirs, qui est impliqué dans la communication sociale, l'empathie et l'imitation, est activé. D'autres études ont découvert que les régions du cerveau impliquées dans le traitement des émotions fonctionnent lorsque nous regardons un tableau. Cela suggère l'existence d'un lien inné entre le jugement esthétique et l'émotion.

 

L'ART, UNE LANGUE UNIVERSELLE

Léon Tolstoï suggérait déjà, bien avant l'avènement des techniques d'imagerie cérébrale, que l'art « permet d'unir les Hommes qui se rassemblent lorsqu'ils partagent les mêmes émotions », quelque chose qui se ressent souvent avant d'être compris. Comme Tolstoï, Gianni Crea croit au pouvoir de l'art pour unir les peuples, qui est cette expression de notre condition humaine partagée.

« Nous pouvons tous voir quelque chose de beau, d'émouvant », a-t-il déclaré. « Je pense qu'il faut visiter les musées du Vatican car ils vous font comprendre l'art et l'histoire, peu importe votre religion ». Quant aux jardins du Vatican, Gianni indique qu'ils sont un modèle de tolérance, où des plantes du monde entier fleurissent et prospèrent en un seul lieu.

Dans son livre La mia idea di Arte, publié en 2015, qui souligne le rôle de l'art dans l'évangélisation, le pape François partage des sentiments similaires. « Les musées du Vatican doivent de plus en plus devenir un lieu d'accueil et de beauté. Ils doivent accueillir de nouvelles formes d'art », a-t-il écrit. « Ils doivent ouvrir leurs portes aux gens du monde entier pour servir d'instrument de dialogue et d'outil pour la paix entre les cultures et les religions ». Le pape François estime que l'art devrait être accessible à tous, indépendamment de leur éducation ou de leurs revenus.

« J'ai les clefs qui ouvrent les portes de l'histoire de l'art et l'histoire de la chrétienté, la plus belle et plus grande histoire au monde ».
PHOTOGRAPHIE DE Alberto Bernasconi, Musei Vaticani

C'est dans cet esprit que le Vatican a récemment ouvert ses portes à de petits groupes qui ont le privilège d'accompagner Gianni Crea lors de son trajet matinal quotidien. « J'ai vu des gens submergés par l'émotion en entrant dans la Chapelle Sixtine, qui ont même le souffle coupé lorsque l'on allume la lumière dans la Salle des Cartes Géographiques », confie Gianni Crea. « Je voulais donner aux visiteurs du Vatican l'opportunité de découvrir les émotions que je ressens chaque jour depuis 20 ans et les partager avec eux ».

Le gardien en chef des clefs confie que finalement, c'est l'art qui nous unit à travers la culture, l'histoire et l'humanité que nous partageons. « Je ne suis qu'un simple gardien, mais la beauté de ce travail repose sur ma capacité à conserver et à veiller sur les clés de l'histoire ».

 

          Alberto Bernasconi est un photographe italien basé à Milan. Suivez-le sur Instagram.

Cette interview a été réalisée en italien grâce à l'intermède d'un interprète.
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