Mory Sacko, porteur d'une cuisine "qui n’existe nulle part ailleurs"

Dans son restaurant parisien, MoSuke, le chef Mory Sacko s’inspire de son héritage ouest-africain, de son éducation française et de sa passion pour le Japon pour créer un univers culinaire unique.

De Kyra Alessandrini
Publication 28 mars 2024, 17:52 CET
Bien qu’il soit né à Paris, c’est l’amour de Mory Sacko pour la cuisine et la ...

Bien qu’il soit né à Paris, c’est l’amour de Mory Sacko pour la cuisine et la culture japonaises qui l’a inspiré pour l’ouverture de son premier restaurant : MoSuke.

PHOTOGRAPHIE DE Virginie Garnier

Mory Sacko a banni le mot « fusion » de son vocabulaire. « Nous ne mélangeons pas les gastronomies, il s’agit plutôt d’un dialogue entre différentes cultures », explique-t-il à propos de MoSuke, son premier restaurant qui a ouvert ses portes à Paris en 2020. Les cuisines française, africaine et japonaise y sont au menu et chaque plat est une œuvre d’art à trois volets avec ses propres ingrédients, saveurs et textures.  

« C’est une cuisine qui n’existe nulle part ailleurs, parce qu’à travers elle, je raconte ma propre histoire », poursuit Mory Sacko. Cette dernière, il l’illustre également avec sa tenue. Au travail, il porte la veste de cuisine blanche dont sont traditionnellement vêtus les chefs mais il a fait personnaliser celle-ci : elle est ornée de tissu wax africain et, au lieu d’un double boutonnage classique, elle enveloppe son corps comme un kimono japonais.

Mory Sacko est le premier d’une fratrie de huit enfants nés en France. Son père, d’origine malienne, travaillait dans le bâtiment, tandis que sa mère, élevée au Sénégal, était femme de ménage. Il a grandi en Seine-et-Marne, dans la banlieue parisienne. Ses parents parlaient deux langues à la maison, le soninké et le bambara, et cuisinaient essentiellement des plats d’Afrique de l’Ouest. Parallèlement, le jeune Mory Sacko a nourri une passion pour les mangas et les animés japonais. Des bols de ramen et des onigiris étaient constamment consommés dans les œuvres comme Naruto, Pokémon et One Piece, et il ne pouvait s’empêcher de se demander si les plats de ces programmes diffusés à la télévision étaient aussi bons dans la vraie vie qu’ils le semblaient à l’écran. 

Au milieu de son adolescence, Mory Sacko s’est inscrit dans un établissement d’enseignement secondaire spécialisé dans l’hôtellerie et la restauration, avant de commencer sa carrière en cuisine. C’est en travaillant avec le chef Hans Zahner dans un restaurant de l’hôtel cinq étoiles le Royal Monceau – Raffles Paris, et en étant mis au défi de créer un nouveau plat, qu’une étincelle s’est animée en lui et qu’il a vraiment pris goût à la cuisine. « J’ai commencé à penser à la gastronomie et à m’endormir en imaginant des plats », raconte-t-il.

Inspiré par sa passion d’enfance pour le Japon, il a commencé à faire des expérimentations avec des ingrédients tels que le miso, le yuzu et le shichimi togarashi, un mélange d’épices, en complément de sa formation en cuisine française classique. Il a également puisé dans son héritage africain en tentant à plusieurs reprises, en vain, de recréer le mafé, un ragoût à base d’arachides, de sa mère. « Je me suis dit : "au lieu de rechercher cette saveur spécifique, crée ta propre recette" », se souvient-il. Mory Sacko a donc décidé d’utiliser de la pâte miso pour épicer, ce qui a permis de réinventer ce plat typique, conservant ainsi le côté réconfortant du mafé tout en l’alliant à la complexité de l’umami, la cinquième saveur japonaise. 

Désireux de consacrer plus de temps à l’expérimentation et au développement de son propre style de cuisine, Mory Sacko a ouvert MoSuke. Le nom du restaurant est une combinaison de son prénom et de Yasuke, un Africain du 16ᵉ siècle, probablement originaire du Mozambique, qui a échappé à l’esclavage en devenant samouraï dans le Japon féodal. Yasuke est estimé comme avoir été le seul samouraï noir de l’histoire. Mory Sacko a voulu intégrer ce récit historique à l’âme de son établissement pour symboliser le rapprochement des cultures africaine et japonaise. Cette vision s’est avérée très populaire : les tables sont prises d’assaut dès que les réservations sont ouvertes, des mois à l’avance.

MOSUGO, le restaurant de Mory Sacko, qui propose de la street food, vise à rendre la gastronomie plus accessible.

PHOTOGRAPHIE DE Virginie Garnier

Mory Sacko fait partie d’une nouvelle génération qui introduit la diversité culturelle dans la gastronomie française. Il est l’un des rares chefs de couleur à être sous les feux des projecteurs en France. Il a participé à l’édition 2020 de Top Chef et anime sur France 3 sa propre émission de cuisine, Cuisine ouverte. En 2022, lorsqu’il a fallu sélectionner le chef qui cuisinerait pour le président Emmanuel Macron lors d’un Sommet Afrique-France, c’est Mory Sacko qui a été choisi. 

Toute la reconnaissance qui lui est aujourd’hui montrée est bien loin de l’image que donnait la scène gastronomique française à ses débuts, lorsqu’il cherchait en vain des chefs à la peau noire comme modèles. « S’il y a une chose que je peux faire, c’est inspirer les autres et montrer qu’être un chef noir et viser une étoile Michelin n’est pas quelque chose d’extraordinaire », déclare-t-il. Le restaurant de Mory Sacko a reçu son étoile en 2021. Aujourd’hui, le chef est inspiré par ses confrères noirs tels que Marcel Ravin, dont le restaurant Blue Bay de Monte-Carlo a reçu la première de ses deux étoiles Michelin en 2015, ou encore son amie Georgiana Viou, dont le restaurant Rouge de Nîmes en a reçu une au début de l’année.

Outre la promotion de la diversité raciale, Mory Sacko s’engage également en faveur du développement durable. « Si nous voulons continuer à exercer ce métier dans les trente prochaines années, nous devons trouver des solutions », affirme-t-il. Si Mory Sacko tire son inspiration d’autres continents, celui-ci tient néanmoins à importer le moins d’ingrédients possible. Il expérimente par exemple la fabrication de son propre miso, plutôt que de le commander au Japon. Au lieu d’utiliser le traditionnel koji de haricots, son équipe travaille sur la fermentation de niébés, originaires d’Afrique. Le processus dure deux mois et fournira au restaurant suffisamment de miso pour un an. Pour les agrumes japonais tels que le yuzu et le sudachi, Mory Sacko travaille avec un agriculteur situé aux alentours de Carcassonne. Lorsque certains produits doivent être importés, il s’assure que ceux-ci sont de saison et conservés de manière à durer le plus longtemps possible. C’est le cas des piments de Côte d’Ivoire, qui sont séchés, puis fermentés.

Bien qu’il soit à la tête d’un établissement gastronomique et qu’il ait même été accueilli en résidence au restaurant de la marque de luxe Louis Vuitton à Saint-Tropez l’été dernier, Mory Sacko tient à ce que sa cuisine soit aussi accessible que possible. « Il y a vingt ans, les restaurants étoilés étaient réservés à une élite. Aujourd’hui, la bonne cuisine se partage beaucoup plus facilement », explique-t-il. « Les réseaux sociaux ont démocratisé la gastronomie. »

En effet, certains de ses followers l’ont contacté pour lui dire qu’ils désiraient goûter sa cuisine mais qu’ils n’avaient pas les moyens d’aller dîner chez MoSuke. C’est ce qui l’a incité à lancer MOSUGO, un restaurant qui propose de la street food et pour lequel des pop-up stores ont également vu le jour dans tout Paris. Le concept consiste à réimaginer de manière gastronomique la nourriture classique de fast food, comme un hamburger au poulet frit avec de la mayonnaise au miso, des pickles de concombre et de l’emmental. « Je ne veux pas être perçu comme un chef gastronomique perché dans sa tour d’ivoire proposant un menu à 200 euros », déclare Mory Sacko. « Je veux que ma cuisine soit accessible au plus grand nombre, pour que tout le monde puisse y goûter. »

Cet automne, le chef a ouvert un nouveau restaurant au centre de Paris, le Lafayette’s, qui sert des plats d’inspiration française et américaine dans un décor de brasserie. Dans le même temps, il continue à cuisiner au MoSuke, fermant même l’établissement lorsqu’il est absent. Malgré un dévouement évident à son métier, il se détache de ses plats une fois ceux-ci présentés à ses clients. « Dès que le plat est servi, il ne m’appartient plus », en convient-il. « Il appartient au client, qui y trouvera ce qui résonnera en lui. »

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    Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Traveller en langue anglaise.

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