Vous voulez sauver les phares ? Dormez dedans !

Autrefois repères essentiels dans les eaux agitées, ces structures historiques ont aujourd'hui un avenir incertain.

De Anna Fiorentino
Publication 9 avr. 2021, 12:25 CEST
Lighthouses 4

Oregon : la nuit tombe autour du Heceta Head Lighthouse Bed & Breakfast. De nombreux propriétaires de phares se tournent vers l’industrie hôtelière pour poursuivre leurs activités.

PHOTOGRAPHIE DE Edwin Remsburg, VW Pics/Getty Images

Lorsque la Lune se lève, Lorraine Coyle aime monter les cinq étages du Borden Flats Lighthome pour atteindre la galerie de la salle des lanternes, perchée à 457 mètres au large des côtes du Massachusetts. « On entend le drapeau qui flotte au vent, les mouettes virevoltent à hauteur d’yeux et rien ne vaut le chant d’une corne de brume », explique Mme Coyle. Elle est new-yorkaise mais habituée à se rendre dans ce phare situé à l’embouchure de la rivière Taunton.

Construit en 1881, le Borden Flats guidait autrefois les bateaux à vapeur vers le port animé qui desservait les usines textiles de Fall River. Aujourd’hui, il fait partie des quarante auberges qui proposent un logement dans un phare aux États-Unis. C’est le parfait repère pour les voyageurs en quête d’un séjour unique et reculé dans un cadre historique.

« Dès que nous avons appris qu’il était possible de séjourner dans un phare, plus rien ne pouvait nous arrêter », se souvient-elle. Elle en a déjà visité quatre. Elle n’est pas la seule à être enthousiaste [face à cette possibilité]. La popularité de ces hébergements signifie que certains de ces lieux tels que le Borden Flats peuvent déjà être totalement réservés pour toute la saison 2021, d’autant plus en temps de distanciation sociale due à la COVID-19.

Un grand nombre de ces auberges est le fruit d’un travail acharné de la part de passionnés qui ont parfois acheté un phare aux enchères. L'initiative peut également venir de groupes publics ou privés, qui en ont eux la jouissance gratuite. C’est une des options qui s’offrent aux passionnés pour sauver les phares. Ces structures parfois abandonnées souffrent d’érosion, des conséquences des intempéries mais aussi de leur propre obsolescence, puisque les marins utilisent aujourd’hui d’autres outils d'aide à la navigation.

« Les couchers et les levers de Soleil sont magnifiques dans les phares et leurs emplacements uniques aussi », explique Nick Korstad. Il en a acheté cinq afin de les rénover, dont le Borden Flats. « Mais pour moi, le charme [de ces lieux], c’est de faire en sorte que l’histoire des gardiens qui ont sacrifié leur vie ne soit pas oubliée. La personne qui aime le phare réside dans son âme. C’est ce qui brille au travers de sa lumière. »

Récompensé pour ses efforts de restauration, M. Korstad est en quelque sorte l’un des derniers gardiens de phare.

Le salon du Borden Flats forme un coin confortable pour les voyageurs qui y passent la nuit.

PHOTOGRAPHIE DE Barry Chin, The Boston Globe/Getty Images

 

GUIDÉ PAR LA LUMIÈRE

Le plus beau geste de bienvenue qu’un pays pouvait faire à ses visiteurs et ses marins, c’était de les accueillir avec un littoral bien éclairé. Cette pratique était signe de commerce fructueux. Les gardiens de phare étaient romantisés pour leur indépendance et leur héroïsme.

Le phare le plus célèbre du monde antique a été construit au 3e siècle avant J.-C. à Alexandrie en Égypte. Au 19e siècle, l’ingénieur civil écossais Robert Stevenson, grand-père du romancier Robert Louis Stevenson, a défini des normes pour la construction des phares. Il a notamment inventé les signaux lumineux intermittents et clignotants. En 1810, il a construit le phare de Bell Rock, aujourd’hui considéré comme le plus vieux phare de mer du monde toujours en activité.

Au cours des deux siècles suivants, lui et sa famille ont construit plus de quatre-vingt-dix phares autour du monde. Nombre d’entre eux sont toujours debout aujourd’hui. « Je pourrais bien écrire des livres jusqu’en 1900, je ne servirais pas l’humanité aussi bien », a écrit Robert Louis Stevenson à propos des innovations légendaires de sa famille.

Grâce à l’adoption de la lentille de Fresnel, qui permet d’amplifier le faisceau lumineux sur des kilomètres, des milliers de phares ont été érigés dans les années 1800 afin d’avertir les bateaux des dangers et de les guider vers un port sûr.

 

SURPLOMBER LES MARÉES MONTANTES

Il y a cent ans, les États-Unis disposaient d’à peu près un millier de phares en activité. Aujourd’hui, il en reste huit-cent-cinquante. Le gouvernement a cessé de faire des phares une priorité avec l’arrivée des lumières automatisées par énergie solaire aux alentours du 20e siècle. Avec la généralisation du système GPS, nombre d’entre eux se dégradent. « On va perdre de nombreux phares dans les prochaines décennies, en particulier ceux en mer et qui ne sont pas accessibles aux touristes », déplore Jeremy D’Entremont, un historien spécialiste des phares. « Ils seront de moins en moins importants à cause des GPS et des autres outils électroniques. »

Ils ne servent désormais que de repère visuel pour les plaisanciers. L’avenir de ces tours majestueuses est donc en péril. « Beaucoup ont encore leur madrier, leur corniche et leurs gouttières d’origine. Si vous remplacez [ces éléments] par des revêtements épais en vinyle ou en PVC, [les phares] se verraient comme le nez au milieu de la figure », déclare M. Korstad. Il a dépensé près de quatre-vingt-quatre mille euros pour entretenir sa maison d’hôte au phare de Big Bay Point, la première auberge du pays à proposer un séjour dans un phare. Niché sur une péninsule en grès de 6 mètres de long, Big Bay Point règne sur les eaux émeraude du lac Supérieur. Il est l’un des cent-vingt-quatre phares encore érigés au Michigan sur les deux-cent-quarante-sept à l’origine. C’est l’État qui compte le plus grand nombre de ces structures.

La plus grande concentration de ces constructions de lumière se trouve le long des côtes rocailleuses de Nouvelle-Angleterre où l’on peut en trouver près de deux-cents. Il est possible de séjourner au phare de Goose Rocks, situé en pleine mer, dans l’État du Maine. La baie de Chesapeake abrite près de trente-trois phares, les derniers à ne pas avoir été déplacés, submergés ou remplacés par des lumières fixes. Là-bas, le niveau des eaux augmente plus rapidement que la moyenne du globe.

D’autres parsèment la Panhandle de Floride et la côte ouest escarpée du pays. On peut notamment citer le Heceta Head Lighthouse Bed & Breakfast ou encore le phare de New Dungeness, tous deux situés dans l’état de l’Oregon. Au sujet de ce dernier, les voyageurs ont la chance de dormir dans le National Wildlife Refuge, à l’extrémité de la plus longue flèche de sable d’Amérique du Nord.

En 2000, le National Historic Lighthouse Preservation Act a permis de transformer le rôle de nombreux phares tout en les gardant en activité. Leur responsabilité peut désormais être transférée gratuitement de la Garde côtière des États-Unis aux municipalités des États ou à des associations par le biais du National Park Service. Si aucun de ces deux organismes ne souhaite les récupérer, ils sont vendus aux enchères à des particuliers.

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    Le phare de Big Sable Point se dresse au-dessus de la côte est du lac Michigan. C’est l’État qui compte le plus de phares du pays.

    PHOTOGRAPHIE DE Alan Majchrowicz, DanitaDelimont.com

    Après le transfert ou la vente des phares, la Garde côtière se réserve le droit de les maintenir en activité mais elle n’a plus l’obligation de les entretenir. À tout moment, la Garde côtière peut décider de reprendre la responsabilité d’un phare sans frais. Les nouveaux gardiens doivent suivre une longue liste d’exigences quant à la conservation de ces bâtiments.

    « Avec des fonds limités et l’accumulation de plusieurs décennies de négligences, qui s'ajoutent aux caprices de la mer et à sa fougue, cela risque de s’avérer insurmontable pour de nombreux phares balayés par les flots ainsi que pour ceux perchés sur les côtes », prévient Bob Trapani. Il supervise les activités de la American Lighthouse Association, une organisation qui vise à sauver les phares.

    Ces associations se sont regroupées afin de restaurer ces structures. En les transformant en auberges ou en musées, ils compensent les coûts de la restauration. Dans certains cas, on choisit de les déplacer pour les éloigner du littoral. Peuvent notamment être cités le phare du cap Hatteras, le plus haut du pays, en Caroline du Nord ou encore le phare de Gay Head dans le Massachusetts.

    « On a parcouru un long chemin. Chaque restauration de phare bénéficie d’une plus grande couverture médiatique », se réjouit Jeff Gales. Il se consacre à la sensibilisation autour de ces structures ainsi qu’à leur restauration pour la U.S. Lighthouse Society.

    Pour certains phares toutefois, il est déjà trop tard. En 2009, le phare de Kauhola Point à Hawaï a été abattu pour éviter qu’il ne s’écroule de sa falaise et qu’il ne fasse des blessés. Le phare de East Point au New Jersey et celui de Tillamook Rock dans l’Oregon manquent de se décrocher de terre.

    Des dizaines d’autres attendent à l’abandon et se voient vandalisés en attendant le nettoyage de la peinture au plomb, un traitement très coûteux, pour pouvoir être transférés ou restaurés. La ville de Chicago prévoit de restituer le phare de Chicago au gouvernement après qu’il a été laissé à l’abandon pendant douze ans. Il avait été prévu de le transformer en hôtel de luxe, projet qui a échoué.

    « C’est super quand quelqu’un veut récupérer un de ces phares. Mais souvent, lorsqu’une association ou une ville voit quelque chose de gratuit, en l’occurrence un phare, ils le voient comme une poule aux œufs d'or. Ils évaluent les coûts et réalisent que c’est un gouffre financier, alors ils abandonnent. », dénonce M. Korstad.

    À l’instar de l’éclat de leur faisceau, une chose est claire : ces phares méritent de faire office de gîte pour une nuit ou deux tant que c’est possible. « [Leurs hôtes] se retrouvent liés à leur passé », s’émerveille Nick Korstad, « dans un lieu qui leur est totalement inconnu. »

     

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    Basée en Nouvelle-Angleterre, Anna Fiorentino est une écrivaine scientifique mais traite également des voyages et de la culture. Retrouvez-la sur Instagram.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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