Lion contre porc-épic : le vainqueur n'est pas celui qu'on croit

Première du genre, une étude portant sur les interactions lions /porcs-épics a montré que ces créatures épineuses pouvaient tuer ou blesser grièvement les grands félins, avec des conséquences surprenantes pour l'Homme.

De Douglas Main
Un lion blessé par des piquants de porc-épic plantés dans sa gueule et son cou dans ...
Un lion blessé par des piquants de porc-épic plantés dans sa gueule et son cou dans le parc transfrontalier de Kgalagadi, en Afrique du Sud.
PHOTOGRAPHIE DE Tony Heald, Minden Pictures

En 1965, le « mangeur d'hommes de Darajani » devenait célèbre après que son attaque sur un chasseur kenyan a fait l'objet d'un article dans la revue Outdoor Life. Cette année là, ce n'était pas la seule attaque, les lions étaient désespérés par l'absence de proies en raison d'une intense sécheresse et avaient donc fini par s'en prendre à l'Homme à plusieurs reprises dans le sud du Kenya. Mais il y avait quelque chose d'étrange avec le lion de Darajani. Après l'avoir rattrapé puis tué, ses assaillants avaient découvert que le museau du lion était transpercé par un piquant de porc-épic.

Dans le cadre d'une enquête dirigée par Julian Kerbis Peterhans, chercheur à l'université Roosevelt à Chicago, des scientifiques ont examiné la carcasse du lion et découvert que le piquant était enfoncé de plus de 15 cm dans le museau du félin, si loin qu'il transperçait presque son cerveau. Ce piquant est quasi-certainement la raison pour laquelle le lion était devenu un mangeur d'hommes, affirme Kerbis Peterhans. À cause de cette blessure au museau, le lion avait des difficultés pour chasser, il était devenu émacié et s'attaquait aux Hommes par désespoir, avance-t-il.

Ce n'est qu'une des conclusions tirées dans le rapport de Kerbis Peterhans et ses collègues, le premier à s'intéresser à grande échelle aux interactions entre lions et porcs-épics. Publié en mai dans la revue Journal of East African Natural History, l'étude suggère que les lions évitent généralement les porcs-épics sauf lorsqu'une pénurie de proies les force à reconsidérer leur intérêt pour ces animaux recouverts d'épines. Ces interactions peuvent provoquer la mort des lions ou les blesser grièvement, ce qui peut ensuite inciter les lions à s'en prendre à l'Homme, au bétail ou aux chevaux.

 

Il est par ailleurs plus probable que les lions adoptent ce comportement en période de sécheresse, comme celle de 1965, qui était anormalement sévère pour le Kenya. L'équipe de chercheurs a par ailleurs examiné un autre lion tué cet même année qui avait tué au moins une personne. Il avait un piquant de porc-épic coincé dans l'un de ses crocs fracturé.

« Une chose est sûre, les porcs-épics ne sont pas leur proie préférée, » indique Kerbis Peterhans. Ni les Hommes d'ailleurs, ajoute-t-il, bien qu'il soit logique qu'un lion blessé se tourne vers ces derniers. « L'humain est lent. »

Les résultats de l'étude sont importants pour la conservation des lions, explique Kerbis Peterhans. Par exemple, il devient primordial pour les unités mobiles vétérinaires de soigner un lion blessé par un piquant de porc-épic. Le rapport montre également le rôle des porcs-épics comme cause de mort potentielle, un phénomène qui pourrait s'aggraver dans les régions où les sécheresses sont de plus en plus sévères ou courantes.

Sur cette photographie du « mangeur d'hommes de Darajani », un lion qui a tué un chasseur kenyan en 1965, on distingue clairement le piquant de porc-épic planté dans son museau.
PHOTOGRAPHIE DE John Perrott

CHASSÉ PUIS TUÉ

Près de 70 ans avant l'attaque du mangeur d'hommes de Darajani, deux lions encore plus célèbres avaient semé la terreur dans la région du Tsavo, à quelques dizaines de kilomètres. Sur une brève période, les deux prédateurs auraient tué plus de 100 personnes, ce qui leur a valu d'être immortalisés dans un livre et plus tard dans un film, L'Ombre et la Proie. Tous deux avaient des fragments de piquants de porcs-épics coincés dans leurs dents fracturées, indique Kerbis Peterhans. L'année1898, était également une année de sécheresse et bien que la blessure infligée par les créatures à piquants ne semble pas avoir poussé les lions à chasser l'Homme, cela suggère que les animaux étaient plus désespérés qu'à leur habitude.

L'étude consigne ainsi un grand nombre d'interactions entre lions et porcs-épics. Elle décrit en tout 40 situations dans lesquelles les lions étaient gravement blessés par les piquants de l'animal et 10 autres où les prédateurs ont perdu la vie. Cela peut se produire lorsque les épines transpercent le cœur ou des artères majeures, nous informe Kerbis Peterhans.

Les lions ont par ailleurs tendance à s'en prendre aux porcs-épics pendant les périodes de sécheresse sévère et dans les zones arides où les proies plus grandes sont moins abondantes. Dans les régions à faible pluviométrie par exemple, les porcs-épics comptent en moyenne pour 28 % du régime alimentaire des grands félins alors que dans des régions plus humides, cette proportion ne dépasse généralement pas les 4 %, selon les chiffres avancés par l'étude.

Les lions peuvent réussir à chasser puis tuer des porcs-épics, comme c'est le cas sur cette photographie prise dans le Delta de l'Okavango, au Botswana.
PHOTOGRAPHIE DE Roy Toft, Nat Geo Image Collection

 

JEUNES MÂLES IMPRUDENTS

Les jeunes mâles ciblent les porcs-épics plus souvent que les autres lions. Les jeunes solitaires ont d'ailleurs plus de chances d'être blessés par ces créatures étant donné qu'ils ne sont pas accompagnés par un clan dont les membres pourraient retirer les piquants. En effet, au sein d'un clan les lions témoignent d'une certaine solidarité, ils se font mutuellement la toilette et se retirent les piquants ou autres éléments gênants.

Ces jeunes mâles sont souvent ceux qui viennent d'être éjectés de leur clan par leurs parents et qui apprennent encore à chasser en solitaire. « C'est difficile d'être un jeune animal et de ne plus être nourri par ses parents, » déclare Laurence Frank, spécialiste des lions au Museum of Vertebrate Zoology de l'université de Californie à Berkeley. Il ajoute que ce type d'interactions devrait être étudié plus en détails « car c'est une cause courante de blessures graves, voire même de mort, et plus particulièrement chez les jeunes lions mâles. »

Autrefois, James Stevenson-Hamilton était garde-chasse pour la réserve animalière Sabi en Afrique du Sud, une réserve devenue sous sa direction le parc national Kruger après avoir été étendue. Il avait été lui aussi témoin de ces interactions au début du 20e siècle. Il avait remarqué que les vieux mâles étaient rarement blessés par les piquants des porcs-épics mais « qu'à l'opposé, ce type de blessure touchait une bonne partie des lions plus jeunes ou dans la fleur de l'âge, les privant parfois de leurs capacités, » écrivait-il. « Il apparaît cependant que les femelles ne commettent que très rarement cette erreur. »

Les lions qui attaquent les porcs-épics sont souvent de jeunes mâles, comme c'est le cas ici avec ce jeune lion chassant un porc-épic à crête au Kenya, dans la réserve nationale du Masai Mara.
PHOTOGRAPHIE DE Michel et Christine Denis-Huot, Minden Pictures

 

DÉFENSE DES PORCS-ÉPICS

Les porcs-épics d'Afrique connus sous le nom de porcs-épics à crêtes sont équipés d'épines non aiguisées mais dont la longueur peut dépasser les 30 cm. En plus de la fonction évidente de défense qu'occupent ces épines, les animaux peuvent également les utiliser dans une stratégie de « défense active », par exemple en s'arrêtant volontairement alors qu'ils sont poursuivis pour empaler leur potentiel prédateur ou en sautant en arrière, épines les premières.

Chercheur à l'université du Minnesota, Craig Packer a déjà vu des porcs-épics se servir de leurs piquants de façon agressive.

« J'ai déjà vu plusieurs fois des porcs-épics s'avancer vers un groupe de lions au repos puis réaliser un spectaculaire demi-tour sauté avant d'avancer en marche arrière et forcer l'ensemble du groupe à dégager le chemin afin qu'il puisse poursuivre tranquillement son voyage, » raconte Packer. « Les adultes ne se faisaient pas prier alors que certains subadultes confrontaient la créature en la frappant avec leurs pattes, apprenant rapidement au passage que ce n'était pas une bonne idée. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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