Au Costa-Rica, on revend les œufs de tortue pour protéger l'espèce

Les activités humaines mettent en danger les tortues marines. Faux œufs équipés de GPS, collaboration avec les populations locales… Au Costa Rica, plusieurs stratégies sont mises en œuvre pour sauver ces reptiles.

De Craig Welch, Rédaction National Geographic
Photographies de Thomas P Peschak
Publication 11 oct. 2019, 11:30 CEST
Les tortues sillonnent les océans depuis 100 millions d'années. Mais les activités humaines mettent ces reptiles ...
Les tortues sillonnent les océans depuis 100 millions d'années. Mais les activités humaines mettent ces reptiles à rude épreuve.
PHOTOGRAPHIE DE Thomas P Peschak

Il fait nuit noire au Costa Rica. La pluie se met à tomber tandiq qu’Helen Pheasey coupe à travers une plage, en s’éclairant à la lampe de poche. Pheasey, doctorante, étudie le trafic de reptiles. Elle a apporté un faux œuf de tortue contenant un émetteur GPS. Nous recherchons une maman. Helen Pheasey agite la main en direction d’une petite tortue olivâtre, solitaire, qui projette du sable dans l’obscurité. La tortue gravide laisse tomber ses œufs. Helen Pheasey rampe vers sa queue, s’approche du monticule d’œufs et place le leurre au milieu. Elle espère que des braconniers, dans leur hâte, emporteront le faux œuf avec leur butin. Car les œufs de tortue sont des denrées très prisées dans certaines régions d’Asie et d’Amérique latine.

L’espoir est que les faux œufs aideront à démanteler les filières de trafiquants. Il y a peu, un samedi, près de Guanacaste, au Costa Rica, des voleurs ont pillé vingt-huit nids, emportant au passage l’un des faux œufs de Pheasey. Dès le lundi, à 7 heures du matin, Pheasey a suivi le trajet du leurre grâce à des applications de son smartphone. Il quittait la péninsule pour l’arrière-pays. Plus tard, le faux œuf s’est remis en route vers un quartier de San Ramón, à 137 km de sa plage d’origine. Il est arrivé dans l’entrepôt d’un supermarché. Là, il a sans doute changé de mains, avant de finir chez un particulier. Même si les faux œufs se révèlent prometteurs dans la lutte contre le trafic, celui-ci n’est que l’un des nombreux problèmes qu’affrontent les tortues.

Nous détruisons les plages de nidification en bétonnant les bords de mer. Nous avons éclairé les côtes avec des lampadaires qui désorientent les tortues. La pollution – des produits toxiques huileux aux plastiques – envahit les eaux côtières. Les pailles et les fourchettes en plastique restent coincées dans leur nez. Les tortues luths affamées confondent les sacs en plastique avec les méduses.

De nouvelles recherches ont établi que 9 millions de tortues imbriquées ont été massacrées lors des 150 dernières années, la plupart pour leur superbe carapace rouge et or, dont on a tiré des broches à cheveux, des montures de lunettes, des boîtes à bijoux ou du mobilier.

Une amélioration a été constatée là où les habitants ont adhéré à la protection des tortues. Un matin, au Costa Rica, me voici dans un camion de livraison, d’où je vois l’océan scintiller à travers les palmiers royaux. Notre cargaison : 80 grands sacs contenant 96 000 œufs de tortue. Ceux-ci seront bientôt reconditionnés et vendus à des restaurants et à des bars, jusqu’à San José, la capitale. Ici, tout cela est parfaitement légal – et peut même aider les tortues.

Chaque mois, la plage d’Ostional, dans la péninsule supérieure de la côte Pacifique du Costa Rica, est le théâtre de l’arribada, l’une des plus grandes pontes de masse du monde.

Celle-ci débute en général dans le noir, comme ce matin-là. Des milliers de femelles tortues olivâtres se rassemblent au large des côtes, leur silhouette se dessinant à la lueur du ciel étoilé.

Puis, à un mystérieux signal, elles commencent à aborder. C’est une succession de vagues, les animaux se cognant et se bousculant, inconscients des menaces qui les guettent : vautours friands d’œufs, chiens sauvages, ratons laveurs affamés. Ensuite, elles se mettent à creuser, découvrant et écrasant les œufs des autres, remplissant les nouveaux trous avec les futurs petits avant de retourner à la mer. L’aube voit l’arrivée des humains. Pieds nus, des hommes exécutent une étrange danse, avançant par petits bonds délicats, un pied collé à l’autre, à la recherche d’un coin de terre meuble. Quand ils la trouvent, ils s’accroupissent et creusent jusqu’à ce qu’ils atteignent les œufs. Puis les adolescents et les femmes remplissent des sacs.

Dans les années 1970, le Costa Rica a tenté d’interdire la récolte des œufs. Mais l’application de la loi était laxiste. Les chercheurs ont fini par recommander un compromis : un commerce réglementé et local. Tant de tortues apparaissent lors d’une arribada qu’elles creusent beaucoup plus de nids que la plage n’en peut accueillir. Même sans braconnage, près de la moitié des œufs sont détruits, surtout par d’autres tortues.

Le gouvernement costaricain a donc autorisé les quelques centaines d’habitants d’Ostional à ramasser une partie des œufs. Aujourd’hui, le ramassage des œufs à Ostional est considéré par beaucoup comme un succès. Les habitants prélèvent une petite quantité d’œufs, et des biologistes estiment que débarrasser la plage de l’excès empêche les microbes d’en détruire davantage. Le produit de la vente finance les patrouilles qui interdisent l’accès de la plage aux braconniers. Chaque vente est dûment authentifiée par un reçu, de sorte que les acheteurs savent qu’ils ont acquis un produit légal. Des habitants s’investissent dans la chasse aux prédateurs, afin que les bébés tortues survivants puissent gagner la mer. « Nous effectuons du bon travail », se félicite Maria Ruiz Avilés, qui étiquette des œufs.

Cela ne signifie pas que ce modèle puisse être exporté. La demande pour les œufs dans cette région ne représente qu’une petite partie de ce qu’elle est au Mexique, par exemple. À Ostional, la pléthore d’œufs lors des arribadas fait qu’en prélever certains peut contribuer à la survie d’un plus grand nombre de bébés tortues. « Selon moi, Ostional ne devrait jamais servir de modèle pour gérer la préservation ailleurs, jamais ! », affirme Roldán Valverde, professeur costaricain à l’université du Sud-Est de la Louisiane. Certains experts suggèrent que le ramassage légal contribue à diminuer le ramassage illégal. Mais d’autres craignent que la légitimation d’un tel commerce favorise la perpétuation du marché noir.

 

Extraits de l’article de Craig Welch « Les résistantes » dans le numéro 241 de National Geographic Magazine.

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