On la pensait éteinte depuis 30 ans, la grenouille arlequin nuit étoilée signe son grand retour

En Colombie, cet amphibien moucheté de blanc est considéré comme un animal sacré par une tribu indigène qui a récemment permis au monde sa redécouverte.

De Jason Bittel
Publication 18 déc. 2019, 12:29 CET
Son nom anglais, la « grenouille arlequin nuit étoilée » (Atelopus aryescue) le doit au ciel ...
Son nom anglais, la « grenouille arlequin nuit étoilée » (Atelopus aryescue) le doit au ciel constellé d'étoiles des montagnes colombiennes où elle a élu domicile.
PHOTOGRAPHIE DE Fundacion Atelopus

Mesdames et messieurs, sous vos yeux ébahis, la grenouille arlequin nuit étoilée ; une espèce que l'on croyait éteinte depuis plus de 30 ans dont le grand retour vient d'être annoncé par une équipe de scientifiques.

Avec moins de cinq centimètres de longueur et une éblouissante robe noire mouchetée de blanc, vous ne pourrez rencontrer cette merveilleuse petite créature qu'à un seul endroit sur Terre : la sierra Nevada de Santa Marta en Colombie, l'une des plus grandes chaînes de montagnes côtières au monde et parmi les plus isolées. Le nom commun de cet amphibien est d'ailleurs un hommage au ciel étoilé qui recouvre cette région.

Lorsque les scientifiques ont « posé les yeux sur 30 spécimens noir et blanc de cette grenouille arlequin se reposant un rocher, ils ont immédiatement pensé, "Mon Dieu, on dirait la nuit étoilée ! » se souvient  Lina Valencia, agent de conservation pour la Global Wildlife Conservation en Colombie, une organisation à but non lucratif américaine impliquée dans cette redécouverte en collaboration avec la Fundación Atelopus, un organisme de conservation colombien. La communauté indigène des Arhuacos de Sogrome, qui partage son territoire avec la grenouille, a pris l'initiative d'inviter les scientifiques pour étudier l'espèce et a organisé sa réintroduction au monde de la science.

Depuis plusieurs dizaines d'années, les biologistes craignaient que cette espèce en danger critique d'extinction ne soit perdue, une victime de plus de la propagation d'un champignon tueur d'amphibiens connu sous le nom de chytride. Malheureusement, les scientifiques ont constaté que ce champignon était particulièrement fatal pour les grenouilles arlequin. Sur les 96 espèces du genre Atelopus, environ 80 sont considérées en danger, en danger critique ou éteintes à l'état sauvage, un chiffre alarmant.

« Nous pensons que si rien n'est fait, la grenouille arlequin sera le premier genre de vertébrés à disparaître, » affirme Valencia.

Malgré tout, cette histoire reste fascinante, observe Cori Richards-Zawacki, scientifique spécialiste des amphibiens à l'université de Pittsburgh, qui a longuement étudié les grenouilles arlequins, mais n'a pas participé aux recherches de « nuit étoilée ».

Tout d'abord, les biologistes ont « redécouvert » plusieurs autres espèces arlequin ces dernières années, notamment Atelopus varius en 2013, une grenouille arlequin du Costa Rica ; Atelopus bomolochos en 2015 ; et Atelopus longirostris en 2016.

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    Bien entendu, une partie de ces redécouvertes peut s'expliquer par l'intensification des efforts liés à la recherche d'amphibiens, précise Richards-Zawacki, mais des preuves montrent que certaines populations ont survécu au cauchemar des chytrides et commencent à présent à rebondir.

    « C'est vraiment captivant, » ajoute-t-elle. « C'est un peu les débuts de ce qui semble être une série de bonnes nouvelles pour les amphibiens après cette maladie. »

     

    « LEUR ENVIRONNEMENT EST COMME UN TEMPLE »

    L'acte II de l'histoire de la grenouille arlequin « nuit étoilée » commence avec un homme prénommé Ruperto Chaparro Villafaña.

    Chaparro Villafaña vit à Sogrome, une communauté qui dépend des mêmes cours d'eau de montagne où se sont installées les grenouilles. En tant que conservationniste autoproclamé, Chaparro Villafaña a suivi les efforts de la Fundación Atelopus pour sauver les autres espèces de grenouilles arlequin et il savait que les ruisseaux qui s'écoulent sur les terres de sa communauté abritaient toujours des grenouilles arlequin « nuit étoilée ».

    Cependant, la décision de partager cette information avec le monde n'a pas été facile à prendre : la communauté de Sogrome entretient une relation spéciale avec ces amphibiens qu'ils appellent gouna.

    « Leur environnement est comme un temple, un lieu sacré, » déclare Chaparro Villafaña via un message WhatsApp traduit par Valencia. « Nous sommes en dialogue permanent avec elles, comme si elles faisaient partie de notre communauté. »

    La connexion est à la fois spirituelle et littérale. Depuis des générations, les Arhuacos se fient au chant des grenouilles pour déterminer quand ensemencer la terre ou organiser des cérémonies spirituelles. Ils considèrent également cette espèce comme une « autorité » en matière de conditions environnementales, une idée soutenue par les scientifiques qui voient les amphibiens comme indicateurs de la bonne santé d'un écosystème.

    « Si nous ne voyons pas gouna, cela signifie que nous disparaissons également, » déclare Chaparro Villafaña.

     

    TOUS POUR LES GRENOUILLES

    Après réflexion, les chefs spirituels de la communauté, les mamos, ont finalement accepté de collaborer avec le monde extérieur, après quoi Chaparro Villafaña a pu envoyer quelques photos de la grenouille « nuit étoilée » à la Fundación Atelopus en 2016. Et même après cet échange, il aura fallu près de quatre ans de négociations pour que la communauté de Sogrome autorise des scientifiques à venir voir les grenouilles de leurs propres yeux. (Les Arhuacos ont également invité National Geographic à les rejoindre dans une expédition rare que vous pouvez découvrir ici.)

    Afin de montrer qu'ils étaient dignes de confiance, les scientifiques ont dû laisser leurs appareils photo chez eux pour leur première visite.

    « Lorsque nous avons vu les grenouilles arlequins "nuit étoilée" pour la première fois, nous étions si heureux et pleins d'espoir de voir que cette espèce était en vie, » témoigne via WhatsApp Jefferson Villalba, co-fondateur et président de la Fundación Atelopus.

    Au fur et à mesure que la relation avec Sogrome se consolidait, les chercheurs ont pu prendre en photo les grenouilles et lancer une campagne autour de sa redécouverte.

    Parallèlement, les organismes de conservation travaillent main dans la main avec les Arhuacos, ils leur apprennent par exemple à surveiller l'espèce en recueillant des données sur des éléments comme la dynamique ou la morphologie de leur population. La grenouille arlequin « nuit étoilée » est même utilisée comme espèce de référence dans le cadre d'un projet de conservation communautaire de plus grande envergure, baptisé Amas la Sierra.

    « Notre objectif est d'associer les connaissances scientifiques au savoir ancestral et culturel du peuple Arhuaco afin d'assurer la conservation de cette espèce, » indique Villalba.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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