Australie : des milliers de renards volants meurent sous la chaleur écrasante

En l’espace de trois jours juste avant Noël, des milliers de ces mammifères sont morts sous la chaleur accablante par plus de 43 °C dans un parc de Melbourne.

De Natasha Daly
Photographies de Doug Gimesy
Publication 13 janv. 2020, 10:14 CET
À bout de souffle à cause du manque d'air, des dizaines de renards volants à tête ...
À bout de souffle à cause du manque d'air, des dizaines de renards volants à tête grise s'agglutinent les uns aux autres dans l'espoir de survivre aux températures dépassant les 40 °C dans le parc Yarra Bend en périphérie de Melbourne, à la fin du mois de décembre. Environ 4 500 renards volants, dont bon nombre des animaux de cette photo, sont morts dans le parc en l'espace de trois jours.
PHOTOGRAPHIE DE Doug Gimesy

En bordure du centre-ville de Melbourne, les 30 000 renards volants ou roussettes à tête grise du parc Yarra Bend profitaient des premiers jours d'un printemps relativement banal.

Cette saison, plus particulièrement les mois de septembre et octobre, est également celle des naissances pour ces chauves-souris géantes dont la taille dépasse allègrement les 20 cm. Bon nombre de renards volants ont alors regagné le parc après leur migration hivernale sur les côtes australiennes. Les femelles ont ensuite donné naissance à leurs petits comme à leur habitude, rapporte le biologiste Stephen Brend, chargé de la surveillance des renards volants à tête grise pour la province de Victoria, notamment ceux du parc Yarra Bend qui abrite une importante colonie de cette espèce de chauves-souris. Tout se déroulait normalement.

« Et puis, le cauchemar est arrivé, » raconte Brend. « Il a fait trop chaud, trop rapidement. »

Tamsyn Hogarth tient dans ses bras un jeune renard volant à tête grise secouru dans le parc Yarra Bend. Hogarth dirige la Fly By Night, une clinique de secours et de réhabilitation des renards volants. Aidée par d'autres volontaires, elle a secouru 255 jeunes roussettes dans le parc au mois de décembre.
PHOTOGRAPHIE DE Doug Gimesy

Incapables de survivre à la vague de chaleur extrême et implacable qui a frappé Melbourne en décembre, les renards volants sont morts les uns après les autres. En l'espace de trois jours juste avant Noël, les températures ont dépassé les 40 °C et 4 500 renards volants à tête grise établis dans le parc ont trouvé la mort, soit 15 % de la colonie.

La tragédie qui touche les renards volants de ce parc fait écho aux nombreuses scènes de souffrance de la vie sauvage à travers le pays et attire l'attention sur les dangers de la chaleur extrême qui, pour certaines espèces, se révèle parfois aussi mortelle que les incendies. Qu'ils soient grands, petits, lents ou rapides, les animaux endémiques de l'Australie tombent sous le coup des vagues de chaleur et des feux de forêt qui font rage dans le pays à une échelle sans précédent. C'est l'été le plus chaud et le plus sec en Australie depuis le début des relevés. À mesure que la planète se réchauffe, les incendies de grande envergure deviennent plus fréquents et la saison des feux de brousse s'allonge.

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    Fin décembre, les pompiers de la Metropolitan Fire Brigade de Melbourne aspergent d'eau les chauves-souris regroupées dans les arbres du parc Yarra Bend dans l'espoir de les rafraîchir.
    PHOTOGRAPHIE DE Doug Gimesy

    Pour les renards volants à tête grise, une espèce considérée comme vulnérable à l'extinction par l'Union internationale pour la conservation de la nature, le drame du parc Yarra Bend n'est pas un cas isolé. « La colonie établie à Adélaïde a encore plus souffert, » rapporte Brend. Plusieurs milliers de jeunes renards volants sont morts en raison de la chaleur extrême entre novembre et janvier, indique Justin Welbergen, maître de conférences d'écologie animale à l'université occidentale de Sydney et président de l'Australian Bat Society. Le 4 janvier, des milliers de renards volants juvéniles ont trouvé la mort dans plusieurs nids de la région de Sydney et ses alentours en Nouvelles-Galles du Sud, où les températures ont dépassé les 50 °C, du jamais vu. Responsable de la surveillance des conditions de stress thermique pour les renards volants, l'équipe de Welbergen calcule actuellement le bilan des décès.

    La chaleur extrême et les violents incendies de cette saison estivale qui ont ravagé l'ensemble de la côte est australienne, un habitat essentiel des renards volants, « risquent d'anéantir la génération 2019 » des chauves-souris, explique Brend. Environ 80 % des juvéniles sont nés en octobre. Ils étaient encore jeunes et vulnérables lorsque les vagues de chaleur et les incendies se sont abattus sur la région l'année dernière.

    La secouriste pour animaux Kate Chamberlain abreuve un renard volant à tête grise déshydraté dans le parc Yarra Bend.
    PHOTOGRAPHIE DE Doug Gimesy

    UNE JOURNÉE CANICULAIRE

    Voici la journée type d'un renard volant sous une chaleur accablante. À 5 h 30, aux premières lueurs du soleil, les chauves-souris ont regagné leur arbre après une nuit passée à se nourrir de nectar et de fruit. À 8 h, poursuit Brend, la chaleur s'empare de leurs nids. Les chauves-souris éventent leurs ailes pour se rafraîchir, mais elles ne peuvent le faire que pendant un certain temps, jusqu'à ce qu'elles commencent à fatiguer. À midi, elles sont épuisées et les températures continuent de grimper. Haletantes, leur déshydratation s'accélère.

    À ce stade, elles pourraient voler jusqu'à la rivière pour s'abreuver (le fleuve Yarra traverse le parc qui s'étend sur près de 260 hectares), « mais c'est un peu comme si l'on devait se précipiter à l'épicerie en pleine canicule, » illustre Brend. Le vol consomme de l'énergie et lorsqu'elles sont épuisées et déshydratées, elles préfèrent rester immobiles.

    Dans leur détresse, elles commencent à paniquer et tentent de trouver un emplacement plus frais. Les mères laissent leur bébé sur une branche et partent seules à la recherche d'un tronc d'arbre aux températures plus douces. Les chauves-souris se suivent et lorsque l'une d'entre elles se pose sur un arbre, les autres semblent considérer celui-ci comme un refuge. Elles commencent à s'agglutiner. « C'est un peu comme une mêlée de chauves-souris, » illustre Brend. « Pour l'observateur, cela paraît absurde. » Celles qui étaient là les premières sont désormais entourées et asphyxiées par des dizaines d'autres individus.

    « À ce moment de la journée, rien ne va plus, » témoigne Brend. C'est là que son équipe constituée d'agents du parc et de bénévoles entre en jeu et tente de séparer les groupes en les aspergeant d'eau, ce qui rafraîchit les chauves souris et étanche leur soif.

    Le ranger du parc Yarra Bend Stephen Brend pousse une brouette remplie de roussettes décédées que son équipe et lui ont recueillies à même le sol. Responsable du programme de surveillance des renards volants à tête grise pour la province de Victoria, Brent affirme que ces trois journées ont été un réel « carnage. »
    PHOTOGRAPHIE DE Doug Gimesy

    LE PARC DE L'HORREUR

    Le 20 décembre, la journée la plus chaude de ces trois jours de canicule infernale qui ont causé la mort de 4 500 renards volants, « les températures n'ont jamais baissé, » rapporte Brend. À 21 h, l'équipe de secouristes était toujours dehors en train d’asperger les arbres. Mais il faisait nuit noire, les arbres perdaient leurs branches et des serpents venimeux vivent dans les broussailles. « Nous avons dû arrêter. On ne voyait plus rien. Il faisait 38 °C. C'était bouleversant, » se souvient-il. « Un réel carnage. »

    « Il y en a une qui tombe puis le reste s'effondre au sol, écrasant et asphyxiant leurs congénères. Des dizaines, sinon des centaines de chauves-souris mortes ou mourantes étalées au pied de l'arbre, » rapporte Douglas Gimesy, un photojournaliste basé à Melbourne qui a documenté les efforts de secours du mois de décembre. « Vous posez les yeux sur elles et elles lèvent les leurs vers vous, à bout de souffle. Elles ont trop chaud et étouffent. Les bénévoles interviennent et démêlent les cadavres, ils découvrent que certaines d'entre elles sont toujours vivantes. Mais il n'y a que 20 ou 30 secouristes pour 4 500 chauves-souris. C'est une zone de guerre. C'est triste, bouleversant, douloureux et vous savez pertinemment que cela se reproduira encore et encore et encore. »

    « Pour certaines, nous arrivons à temps, » témoigne Tamsyn Hogarth, l'une des secouristes. « D'autres meurent dans vos bras. » Au troisième jour, le 20 décembre, il régnait une « odeur de mort » dans l'air, lâche-t-elle gravement. Hogarth dirige le centre Fly By Night, un refuge faunique de Melbourne dédié au secours, à la réhabilitation et à la réintroduction des renards volants à tête grise. Avec d'autres volontaires, elle est venue en aide à 225 bébés pendant les événements caniculaires extrêmes du mois de décembre dans le parc Yarra Bend. À l'heure actuelle, dans la province de Victoria, une vingtaine de volontaires s'occupent des chauves-souris d’un âge compris entre deux et douze semaines.

    Les secouristes Kate Chamberlain et Treycee Baker examinent le corps d'un renard volant à tête grise qu'ils ont récupéré dans le parc Yarra Bend début janvier. Les ailes de la chauve-souris ont été arrachées suite à un traumatisme.
    PHOTOGRAPHIE DE Doug Gimesy

    CETTE FOIS, C'EST DIFFÉRENT

    Les décès de chauves-souris causés par les vagues de chaleur ne sont pas inédits dans le parc Yarra Bend. « Nous sommes toujours inquiets face aux vagues de chaleur. Il est impossible de traverser l'été sans quelques jours de forte chaleur, » indique Brend. L'été dernier, par exemple, quelques centaines de chauves-souris ont trouvé la mort, poursuit-il. Ainsi, une étude a montré qu'entre 1994 et 2007, environ 30 000 renards volants à tête grise étaient morts des suites de vagues de chaleur extrêmes en Australie.

     

    Les points rouges représentent la localisation des incendies détectés en Australie la semaine du 6 janvier 2020.

    Les zones brunes représentent l'aire de répartition des renards volants à tête grise (Pteropus poliocephalus).

    Sources : NASA, IUCN
    PHOTOGRAPHIE DE Rédaction National Geographic

    Toutefois, l'arrivée de la vague de chaleur de cette année juste après la saison des naissances a contribué à produire un taux de mortalité anormalement élevé. Puisque les juvéniles étaient encore allaités, les niveaux d'énergie de leurs mères étaient appauvris et parents comment enfants étaient donc plus vulnérables, explique Brend. Le premier week-end de décembre était extraordinairement chaud et s'en est suivi une succession de journées chaudes pendant tout le mois, le point culminant correspondant aux trois jours d'hécatombes chez les chauves-souris, avec un pic à 43 °C dans le parc Yarra Bend le 20 décembre.

    « C'est à la fois émouvant et effrayant pour l'espèce. Et c'est une situation que l'on retrouve sur l'ensemble de leur aire de répartition, » déclare Brend. Alors que le parc Yarra Bend n'a pas été touché par les feux, la majorité de l'habitat des renards volants coïncide directement avec les zones ravagées par les incendies le long de la côte est australienne.

    Une mère renard volant à tête grise est suspendue à une branche dans le parc Yarra Bend avec son petit accroché à sa poitrine. Environ 80 % des jeunes renards volants sont nés en octobre. L'arrivée de la vague de chaleur extrême en décembre signifie qu'une génération toute entière de chauves-souris venant de naître et dépendant encore de leur mère a été gravement affectée.
    PHOTOGRAPHIE DE Doug Gimesy
    Ce gros plan montre l'aile membraneuse fragile d'un renard volant à tête grise, ces ailes peuvent atteindre les 90 cm d'envergure. Afin de faire descendre leur température, les chauves-souris battent des ailes, mais ce mouvement répété peut finir par les épuiser.
    PHOTOGRAPHIE DE Doug Gimesy

    LES NOUVEAUX PIGEONS MIGRATEURS ?

    En mai 2019, une enquête estimait qu'il y avait environ 589 000 renards volants à tête grise en Australie. Même si leur nombre reste important à ce jour, ces chauves-souris sont confrontées à des menaces diverses et variées allant des épisodes de chaleur extrême aux infrastructures urbaines telles que les filets ou les fils barbelés dans lesquels elles s'empêtrent, ou encore le harcèlement qu'elles subissent de la part des habitants qui voient en elles des nuisibles.

    Les chauves-souris sont des animaux nomades. Une grande partie de leur aire de répartition se trouve actuellement dans les zones dévastées par les flammes. Bon nombre d'entre elles passent l'hiver plus au nord où elles se reposent dans les forêts bordant le littoral, des forêts qu'elles pourraient retrouver en piteux état. Les « feux de brousse ont détruit des ressources de fourrage essentielles, dans une mesure sans précédent, » affirme Welbergen. « Il n'y a plus de refuge pour les chauves-souris, » ajoute Brend. « On ne peut pas simplement dire que la situation est déplorable à Melbourne et qu'elle sera meilleure dans le nord des Nouvelles-Galles du Sud, elle est déplorable partout. »

    « Ce cycle n'aura pas à se répéter beaucoup de fois avant de voir la population diminuer, » prévient Brend. « Je ne veux pas être alarmiste ou pessimiste, il y en a encore des milliers, mais nous ne pouvons plus être confiants dorénavant. »

    « Ce qui nous préoccupe, c'est que cette espèce devienne le nouveau pigeon migrateur, » dit-il, en faisant référence à cette espèce de pigeon qui était autrefois la plus répandue en Amérique du Nord avant d'être chassée jusqu'à son extinction au 19e siècle.

    Des renards volants à tête grise se suspendent aux arbres du parc Yarra Bend. Avant le mois de décembre 2019, la colonie établie dans ce parc comptait 30 000 individus. Ces animaux jouent un rôle vital dans leur écosystème : ils transportent les graines et pollinisent les arbres ; ce sont eux qui entretiennent la forêt pendant la nuit.
    PHOTOGRAPHIE DE Doug Gimesy

    UNE RELATION ÉTROITE

    Les renards volants jouent un rôle vital dans la forêt. « Sur un plan écologique, ce sont de grosses abeilles de nuit, » illustre Brend. Ils transportent les graines et pollinisent les arbres, bref, ce sont de véritables jardiniers nocturnes. « Les chauves-souris ont besoin de la forêt et la forêt des chauves-souris, » affirme Brend.

    Et ce n'est que le milieu de l'été en Australie. « Le combat continue pour nos amis suspendus, » déclare Lawrence Pope, un secouriste qui soigne cinq jeunes chauves-souris orphelines chez lui, « mais la situation reste sombre. »

    « Au cours de cette année macabre, ce sont toutes les espèces qui souffrent. C'est vraiment effrayant, » déplore Brend. « Nous avons chaud, elles ont chaud, c'est un cauchemar. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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