Coronavirus : les fake news sur la vie sauvage continuent de se multiplier

Les fake news sur la vie sauvage circulent, comme le virus, de manière incontrôlable. De quoi mettre en péril les efforts de conservation à long terme.

De Natasha Daly
Publication 9 avr. 2020, 17:30 CEST
Cette photo, prise en septembre, montre Sandra, une orang-outan, dans un zoo à Buenos Aires. Actuellement, ...

Cette photo, prise en septembre, montre Sandra, une orang-outan, dans un zoo à Buenos Aires. Actuellement, elle vit au Center for Great Apes en Floride. La semaine dernière, une vidéo d’elle se lavant les mains a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Selon les internautes, elle aurait appris ce geste barrière au cours de la pandémie du coronavirus à force de voir ses gardiens le répéter. Ce n’est pas vrai. La vidéo a été filmée en novembre 2019 avant même que le nouveau virus ait été identifié.

PHOTOGRAPHIE DE Natacha Pisarenko, Ap

En novembre dernier, le Center for Great Apes en Floride a mis en ligne une vidéo des plus amusantes. On y voit Sandra, une orang-outan, se frotter les mains à l’eau savonneuse. Quelques semaines plus tard, le personnel du centre a jugé opportun de partager de nouveau le lien sur Twitter.

Les internautes ont relayé la vidéo sur leurs propres pages en y apportant leur grain de sel. Inventer une légende par-ci, sortir les faits de leur contexte par-là. Par mégarde sans doute, ils ont déformé le message et l’histoire a pris une toute autre tournure : c’est en observant ses gardiens se laver frénétiquement les mains durant la crise du COVID-19 que Sandra a pris le pli de le faire.

C’est ainsi qu’un mensonge a vu le jour, avant de devenir viral sur les réseaux sociaux.

La fondatrice du centre, Patti Ragan, a supprimé la vidéo le 2 avril, après que des dizaines de médias l’ont contactée pour obtenir les droits de diffusion. Patti Ragan ne veut pas que les internautes pensent à tort que le centre apprend des tours à Sandra – première orang-outan à être légalement déclarée comme « personne non-humaine » par un tribunal argentin qui a reconnu son droit à la liberté – ou aux autres singes. « La protection de sa dignité me tient à cœur », dit Ragan. « J’ai retiré la vidéo parce que je n’avais aucun contrôle sur le message que les internautes pouvaient véhiculer. »

D’ailleurs, que peut-elle faire au sujet des milliers de tweets trompeurs qui ont déjà été publiés ?

Il y a deux semaines, National Geographic a publié une alerte similaire pour mettre en lumière les fausses informations sur le retour de la vie sauvage pendant la pandémie du coronavirus.

Certains nous ont reproché nos efforts à déconstruire les mythes. Pour eux, il n’y avait aucun mal à croire à ces fausses bonnes nouvelles. Nous nous sommes tournés vers des chercheurs qui ont en grande partie confirmé les répercussions négatives de ces fake news sur les efforts de conservation sur le long terme.

 

ELLES COURENT, ELLES COURENT LES RUMEURS

Les fausses informations se répandent comme une traînée de poudre.

Certaines sont anodines comme l’histoire du retour des canards dans les fontaines romaines depuis le début de l’épidémie. Conséquence ? 28 000 mentions « J’aime » sur Reddit. Rien de nouveau, les canards s’y trouvent en permanence, affirment les commentateurs. Les modérateurs de Reddit ont fini par retirer la publication.

D’autres sont absurdes comme celle qui affirme que le président russe Vladimir Poutine a lâché 500 lions dans les rues pour forcer les gens à rester chez eux. Une information comme celle-ci est tellement improbable qu’elle n’a même pas besoin d’être déconstruite. Le site web Snopes.com, qui se donne pour mission de limiter la propagation des canulars et des rumeurs, a tout de même tenu à le faire. L’image du lion qui déambule dans une rue à la tombée de la nuit a été prise à Johannesbourg en Afrique du Sud en 2016. Le lion faisait partie du tournage d’un film dans le centre-ville.

Les tweets sur le retour d’une faune triomphante durant la pandémie se sont multipliés, notamment en Inde. Une photo sur laquelle on voit des cerfs se prélasser au bord d’une autoroute dans le sud de l’Inde a été prise à Nara, au Japon, quelques années plus tôt. « Pendant que nous sommes confinés, la nature respire », écrit-on dans un tweet en montrant une vidéo de paons qui se pavanent à l’extérieur d’un parc national et fouillent dans les ordures. Selon les habitants, ces oiseaux se promènent souvent en dehors du parc.

De plus, une vidéo retweetée 10 000 fois montre une civette à grandes taches (Viverra civettina), une espèce en voie de disparition, en train de déambuler une rue de Kerala. Un employé de la Fonction publique forestière indienne a démenti la rumeur sur Twitter, affirmant qu’il s’agissait d’une simple civette indienne (Viverricula indica). Selon l’employé, l’animal qui semble être très malade, a peut-être été pris en photo après avoir été relâché.

 

NE PAS COMPROMETTRE LES EFFORTS DE CONSERVATION

Depuis que National Geographic a publié le premier article il y a deux semaines, une question revient souvent : vraies ou pas, quel mal y a-t-il à croire ces histoires qui nous font du bien ? Défaire ces mensonges pieux, c’est un peu comme annoncer à son enfant que le Père Noël n’existe pas, affirment certains.

D’autres prennent la défense de l’article. Jennifer Dodd, professeur d’écologie et de conservation à l’université Napier d’Édimbourg est intervenue sur Twitter. « La mauvaise communication est synonyme de déception. Cela mène à une apathie et une inversion de la tendance à la conservation », écrit-elle.

En d’autres termes, lorsqu’on se sent trahi ou ridicule d’être tombé(e) dans le piège de ces petites histoires qui font chaud au cœur, on risque de perdre tout intérêt pour les efforts de conservation.

Des Anas platyrhynchos nagent dans la Fontana dell’Acqua Paola à Rome le 29 mars. Sur les réseaux sociaux, on célèbre leur présence, considérée comme inhabituelle et liée au confinement. En vérité, les canards se dandinent souvent autour des fontaines.

PHOTOGRAPHIE DE Matteo Nardone, Pacific Press, Sipa, Ap

Dire que les animaux remontent la pente quand les Hommes ne sont pas là, c’est aussi « surestimer la vitesse de rétablissement », explique Dodd dans un entretien téléphonique. « C’est marginaliser la conservation active nécessaire à inverser les incidences que l’activité humaine a sur la Terre. »

David Steen, biologiste en conservation et responsable des recherches sur les reptiles et les amphibiens au Fish and Wildlife Research Institute en Floride partage les préoccupations de Dodd. « Les efforts de conservation efficaces de plusieurs espèces devraient faire l’objet d’interventions intensives, même dans les zones de protection. Il faut savoir que cette démarche est coûteuse », insiste-t-il. « Si la plupart des personnes pensent qu’il suffit de nous éclipser pour que les espèces se rétablissent, elles seront moins enclines à soutenir les travaux de conservation. »

Sur Twitter, Steen discute souvent de l’importance de la conservation avec les internautes. Il veut qu’on apprenne à apprécier les animaux sauvages pour « ce qu’ils sont vraiment. S’appuyer sur des vidéos virales et mensongères ne ferait que mettre mon objectif en péril. »

 

DE TOUTES PETITES VICTOIRES

Ces dernières semaines, le confinement a cependant donné naissance à des histoires inhabituelles. Des chèvres sauvages ont pris d’assaut une ville du Pays de Galles pour le plus grand plaisir des habitants et des internautes. Des orques ont été aperçues dans une crique proche de Vancouver, un phénomène qui n’arrive pas souvent. Des dauphins ont même été vus le long des quais en Sardaigne (et non à Venise) en l’absence de navires de croisière.

La vue de ces animaux vous a peut-être procuré un peu de joie. Si elle vous a également donné envie de protéger la nature, c’est encore mieux. Selon Dodd, de nombreux programmes de science citoyenne à travers le monde ont besoin d’individus pour assurer le suivi de la biodiversité – à savoir la présence et la répartition de la faune et de la flore – dans leurs communautés. En y prenant part, vous « pouvez étayer la gestion de votre territoire », signale-t-elle.

On ignore toujours l’incidence de la pandémie sur les efforts de conservation à long terme. Selon Dodd, les projets de ses étudiants qui englobent « tous les écosystèmes, des parasites aux mammifères » sont désormais suspendus et seront probablement décalés d’un an. (Son étude portant sur les Orconectes rusticus est également retardée parce qu’il lui a été impossible de mener un travail de terrain pendant une période de reproduction clé.)

Dodd espère que les personnes qui ont cru au triomphe de la faune en l’absence de l’Homme reconnaîtront l’importance des travaux de conservation. « Par moments, nous avons profondément modifié la planète », confirme-t-elle. « Seule notre intervention pourra contribuer au rétablissement des espèces. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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