Au Pakistan, la population de dauphins du Gange repart à la hausse

Grâce aux efforts de conservation, le nombre de Platanista gangetica minor a nettement augmenté.

De Iman Sultan
Publication 19 juin 2020, 16:49 CEST
Des personnes viennent en aide à deux Platanista gangetica minor dans le canal de Kirthar près de ...

Des personnes viennent en aide à deux Platanista gangetica minor dans le canal de Kirthar près de Sukkur. Souvent, les animaux se retrouvent pris au piège dans les bassins et les canaux.

PHOTOGRAPHIE DE François Xavier Pelletier, WWF

Dans une enclave isolée du parc Lab-e-Mehran au Pakistan, les eaux calmes de l’Indus tourbillonnent et un dauphin gris clair apparaît. Il reste là un petit moment avant de replonger dans l’eau, son aileron miroitant au soleil.

Dans la ville de Sukkur, ce paisible parc fluvial où les familles viennent souvent se balader abrite également des dauphins du Gange (Platanista gangetica minor), menacés d’extinction. Il s’agit également d’une des quatre espèces de dauphins d’eau douce qui restent.

Mais un barrage situé à l’extrémité ouest du parc les empêche de se déplacer librement au cours de la saison de la mousson qui est indispensable à leur cycle de vie.

Aux quatre coins du Pakistan, les nombreux barrages ont détruit l’habitat des dauphins. Ils ont été construits au milieu du 20e siècle pour limiter les inondations et assurer l’approvisionnement en eau d’irrigation. Dans certains cas, ils ont été réutilisés dans les centrales électriques. En plus d’entraver la capacité des dauphins à migrer, les barrages de dérivation peuvent également maintenir l’eau à un niveau très bas.

Jadis, le Platanista gangetica minor traversait le fleuve et tous ses affluents, du delta de l’Indus près de la mer d’Arabie jusqu’à l’Himalaya. Aujourd’hui, le cétacé qui pèse plus de 90 kilos n’occupe plus que 20 % de son aire de répartition d’origine.

Les Platanista gangetica minor restants sont concentrés dans la province du Sindh au Pakistan. Ils vivent dans un fleuve de 650 kilomètres de long, qui s’étend de la digue de Guddu à celle de Kotri. Interrogée sur les répercussions que pourrait avoir la digue sur les espèces de dauphins, Engro, la société d’énergie qui s’occupe de la centrale électrique reliée à la digue de Guddu, n’a tout simplement pas répondu.

En plus des barrages, la pollution de l’eau et les déchets industriels déversés dans l’Indus constituent la menace la plus importante à la survie des dauphins. Selon Uzma Khan, coordinatrice du WWF River Dolphins Initiative pour l’Asie, des études ont mis en évidence la présence de DDT et d’autres pesticides dans les tissus de l’animal.

Cependant, un programme de conservation rigoureux, élaboré par le gouvernement, a permis de sensibiliser les communautés locales, de sauver les dauphins échoués et même d’augmenter leur nombre, affirme Khan. Au Pakistan, les Platanista gangetica minor sont aujourd’hui au nombre de 1 987, selon le sondage le plus récent du WWF. En 1972, ils n’étaient que 132. Une autre population d’au moins sept animaux vivent dans le Beas, une rivière de l’Inde située dans le bassin versant de l’Indus.

« Descendez le fleuve à partir de la digue de Guddu et continuez de naviguer. Partout, vous verrez des dauphins », confie Khan. « C’est impressionnant, ils sont partout. »

« C’est toutefois une situation assez difficile parce qu’on ne les trouve que dans un tronçon de l’Indus », ajoute-t-elle.

 

L’AMI DE L’HOMME

Connu sous le nom de bhulan en ourdou et en sindhi, le Platanista gangetica minor « vit dans l’Indus depuis des milliers d’années et constitue l’emblème de la civilisation harappéenne », dit Mir Akhtar Talpur, agent local du Sindh Wildlife Department, un organisme gouvernemental.

La civilisation de l’Âge de bronze qui a connu un essor dans la vallée de l’Indus est réputée pour son urbanisme et ses systèmes de drainage développés. Les peuples modernes des provinces du Sindh et de Pendjab sont considérés comme les descendants directs des Harappa et accordent une attention particulière aux dauphins qui constituent une partie de leur patrimoine.

Selon la légende, lorsqu’une femme offre du beurre et du lait au dieu du fleuve, les eaux s’écartent et elle peut traverser en toute sécurité vers l’autre rive. Un jour, l’offrande n’ayant pas été satisfaisante, le dieu du fleuve a transformé la femme en dauphin.  

Selon le pêcheur Gul Mohammed Mirbar, le dauphin est son compagnon de longue date. Il n’avait que 10 ans lorsqu’il en a vu pour la première fois. On est en février. Le soleil darde ses rayons sur le fleuve. Le gagne-pain de Mirbar ? Emmener quelques touristes et visiteurs du parc faire un tour dans son petit bateau en bois dans l’espoir d’apercevoir ce dauphin si rare.

À mesure que l’eau coule le long de la berge rocheuse, un dauphin rose fait surface avant de disparaître sous l’eau.

Pour Mirbar, les dauphins font certes partie de l’environnement. Cependant, ses amis pêcheurs et lui les voient également comme des concurrents qui se nourrissent de poissons, leur moyen de subsistance principal.

« Il faut vraiment redoubler d’efforts pour la pêche, sinon on ne fait pas le poids face au dauphin. Il est si rapide », indique Mirbar. Et de renchérir : « Les dauphins dévorent les petits poissons comme les grands. »

Avant l’entrée en vigueur de l’interdiction de la chasse dans les années 1970, certaines communautés de pêcheurs tuaient le dauphin soit pour se nourrir soit pour en extraire la graisse qu’ils mélangeaient à de l’huile pour enduire leurs bateaux. Selon les rapports du WWF, au moins un dauphin meurt chaque année accidentellement, pris au piège dans les filets de pêche.

Habituellement, « le dauphin est l’ami de l’Homme », dit Khadim Hussain, représentant d’une organisation de défense des pêcheurs à Taunsa, une ville de la province du Pendjab. « Il ne constitue en aucun cas un danger pour les pêcheurs. Lorsqu’il entend le bruit du moteur de leur bateau, il s’approche et les accompagne à la nage. »

 

ADAPTATION À LA VIE FLUVIALE

Le dauphin a évolué pour pouvoir vivre dans l’Indus. Ses couleurs – marron, nuances de gris ou, rarement, vieux rose – lui permettent de se fondre dans le fleuve chargé de sédiments. Il est presque aveugle mais la vue n’est pas un sens indispensable dans les eaux troubles du fleuve. (Première découverte d’une nouvelle espèce de dauphin d’eau douce depuis un siècle.)

L’animal utilise un sonar interne pour trouver ses proies, s’orienter et communiquer avec ses congénères. Ce système d’écholocalisation est si développé qu’il lui permet de savoir si un poisson est mort ou vivant. Grâce à son rostre, le dauphin peut facilement attraper des poissons ou même d’autres proies. Son corps robuste est équipé d’un aileron dorsal qui lui permet de maintenir une certaine stabilité en nageant.

Les Platanista gangetica minor sont une des deux espèces de dauphins qui se couchent sur le côté en remuant leurs queues. Ce comportement, appelé nage latérale, leur permet de se déplacer dans les bassins peu profonds pendant la saison sèche mais pas d’éviter les barrages de l’Indus.

Avant que les barrages ne fragmentent l’habitat de l’espèce, les dauphins nageaient le long des affluents en amont pendant la saison de la mousson et retournaient vers l’Indus pendant la saison sèche.

Certains dauphins peuvent toujours se frayer un chemin à travers les barrages si les portes sont ouvertes – surtout lorsque l’animal est petit – mais ils sont souvent piégés dans les canaux d’irrigation, les bassins peu profonds, les étangs profonds et parfois même dans les gisements où ils peuvent mourir de faim ou de chaleur.

 

AU SECOURS !

Le Sindh Wildlife Department a communiqué aux membres des communautés locales un numéro à appeler si jamais un dauphin est pris au piège dans un étang ou un canal. Adnan Hamid Khan, conservateur adjoint du Sindh Wildlife Department à Sukkur, a participé à nombre d’opérations de sauvetage, la plus importante étant sans doute celle de décembre 2019.

Un jeune dauphin avait nagé hors du fleuve et s’était échoué à Faiz Ganj Wah, à 200 kilomètres environ de Sukkur. Hamid Khan et son équipe ont placé l’animal dans sa voiture, l’aspergeant d’eau en permanence pour bien l’hydrater. Ensuite, ils ont conduit aussi vite que possible et l’ont relâché dans le fleuve. Bien que l’opération de sauvetage ait réussi, on ne sait pas si l’animal a survécu.

Le processus de sauvetage n’est pas facile. Ces animaux marins sont très sensibles au bruit et à la présence humaine. Ils peuvent également souffrir de problèmes de santé comme l’hypertension artérielle au moment de l’évacuation.

De plus, les membres de l’équipe doivent faire preuve de créativité lors de l’opération de sauvetage, étant donné que le financement est limité et les équipements obsolètes. Cela veut dire qu’ils utilisent souvent leurs propres ressources, explique Hamid Khan.

« Dans le cadre de la conservation de la faune, les problèmes peuvent surgir de nulle part. Il faut agir sur le coup pour les résoudre », précise-t-il.

Les sauveteurs compensent cependant ce manque de ressources par un dévouement hors pair.

Nazir Mirani est fils de pêcheur. Il a travaillé avec le Sindh Wildlife Department pendant 30 ans. Ses mains sont criblées de traces de morsures, vestiges des opérations de sauvetage. Mirani fait partie de la troisième génération d’une famille qui aide à la préservation des dauphins. Toutes ces décennies passées au bord de l’eau lui permettent de mettre à la disposition de l’organisme ses précieux conseils et connaissances.

Assis au pied d’un arbre, Mirani promène son regard sur le fleuve baigné par le soleil. « Nous vivons près de l’eau depuis des générations. Nous sillonnons le fleuve à bord de nos bateaux. Nous pêchons et nous prenons soin des dauphins », dit-il.

« Par le passé, certaines personnes se nourrissaient de dauphins. Mon père leur répétait souvent de ne pas manger de dauphin. C’est un animal innocent. C’est grâce à lui que le fleuve est si beau. »

 

QUELLES SOLUTIONS ?

Le mystère plane toujours. Que deviennent les dauphins relâchés dans le fleuve ? Les petits retrouvent-ils leurs mamans par exemple ?

Le WWF a proposé de doter les dauphins de balises satellites pour suivre leurs mouvements, mieux comprendre la biologie de l’animal et soutenir les efforts de conservation. « Il faut marquer chaque animal sauvé », souligne Uzma Khan. « Combien de dauphins meurent ? Nous devons savoir. »

On pourrait également poser des échosondeurs à proximité des ouvertures de canaux. Les appareils émettent un bip pour prévenir le dauphin du danger et l’empêcher de s’échouer.

Les échosondeurs sont généralement utilisés pour permettre aux dauphins de détecter les filets de pêche, affirme Uzma Khan, « mais nous voulons les tester près des canaux pour voir si cela dissuaderait les dauphins de s’y engouffrer. »

Pour des sauveteurs comme Mirami, la protection des Platanista gangetica minor est une responsabilité civique. Il se souvient du Gavialis gangeticus, un crocodile qui vivait autrefois dans l’Indus. Aujourd’hui, cette espèce a disparu de la région. Mirami ne veut surtout pas que le dauphin subisse le même sort.

« Que restera-t-il à nos enfants si le dauphin venait à disparaître ? », s’inquiète-t-il.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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