Climat : l’avenir incertain des ours au pelage bleu argent

La glace contribue à la survie de l’Ursus americanus emmonsii, un type plutôt rare d’ours noir. Le réchauffement climatique met aujourd'hui l’espèce en péril.

De Grant Currin

Un Ursus americanus emmonsii se repose au pied d’un arbre dans la forêt nationale de Tongass dans l’État de l’Alaska en 2018.

PHOTOGRAPHIE DE Lance Nesbitt

Bien que Tania Lewis fasse partie des plus grands spécialistes des Ursus americanus emmonsii, elle-même n’a que très rarement vu ces mystérieux animaux. Biologiste de la faune au parc national de Glacier Bay en Alaska, Lewis étudie une population peu visible et à effectif réduit : les Ursus americanus. Génétiquement, il s’agit d’ours noirs mais la couleur du pelage varie du noir teinté d’argent au gris bleuté.

« Une couleur très rare qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Il y a bien une histoire derrière tout ça », affirme Lewis.

Les dernières recherches menées par Lewis et ses collègues présentent de nouveaux indices quant à l’aspect inhabituel des Ursus americanus emmonsii. De même, l’étude donne un aperçu des défis potentiels auxquels les animaux devront faire face dans le cadre du réchauffement climatique à l’échelle mondiale.

L’équipe a recensé dix populations d’ours noirs dans le parc national et ses environs dont quatre comptant des Ursus americanus emmonsii. Les animaux sont séparés les uns des autres par de grands fjords, des montagnes recouvertes de glaciers et des champs de glace stériles. Les Ursus americanus emmonsii de Yakutak par exemple vivent à près de 100 kilomètres de leurs voisins les plus proches, les Ursus americanus emmonsii de Glacier Bay.

« Certains ours traverseront ce champ de glace. D’autres nageront à travers le fjord », explique Lewis. Cependant, ces caractéristiques propres au paysage créent généralement des « îlots fonctionnels où les populations d’animaux se développent et deviennent génétiquement distincts. » Les ours aux couleurs si étranges vivent uniquement au sud-est de l’Alaska et dans une petite zone limitrophe de la Colombie-Britannique.

Pour Lewis, le plus surprenant est l’absence d’Ursus americanus emmonsii dans les régions les moins accidentées comme la péninsule Chilkat.

« La région qui n’abrite pas d’Ursus americanus emmonsii est celle où les obstacles à la dispersion sont les moins nombreux. Ni les montagnes sont hautes ni les glaciers particulièrement vastes », explique Lewis dont l’étude a récemment été publiée dans la revue Ecology and Evolution. « C’est vraiment curieux qu’il n’y ait pas d’Ursus americanus emmonsii là-bas. »

Selon elle, une des raisons possibles est que la glace contribue à la survie des Ursus americanus emmonsii, ce qui ne laisse présager rien de bon, étant donné que les glaciers de l’Alaska fondent à l’endroit où le réchauffement de la planète est le plus rapide.

 

UN OURS QUI SORT DU LOT

C’est en 1895 que les scientifiques occidentaux ont décrit l’Ursus americanus emmonsii pour la première fois. L’un des prédécesseurs de Lewis était le premier à garder une trace des endroits du parc où les ours semblaient vivre. Lorsque Lewis a rejoint l’équipe de Glacier Bay en 1998, elle a repris la carte sur laquelle apparaissent les lieux du parc et des régions environnantes où vivent les Ursus americanus emmonsii. Elle constate qu’ils sont loin d’être nombreux.

En plus d’être très prisés des chasseurs pour leur pelage particulier, les Ursus americanus emmonsii représentent, selon l’étude, 0,4 % de l’ensemble des ours noirs capturés de manière légale au sud-est de l’Alaska entre 1990 et 2018. Aucune autre estimation de la population n’existe.

Au début des années 2000, un petit groupe d’Ursus americanus emmonsii a attaqué des poubelles à Juneau, la capitale de l’Alaska, à l’extrémité sud de son aire de répartition. Lewis et ses collègues ont alors décidé d’entreprendre une étude sur ces animaux si peu compris.

En l’espace de douze ans, les chercheurs ont recueilli des centaines de poils d’ours noirs, ainsi que des échantillons de tissus – certains provenant d’ours chassés – sur une superficie de plus de 100 000 kilomètres carrés dans le parc et ses alentours. Ils ont pris note de la couleur de l’ours et du lieu exact où il a été retrouvé. Ensuite, ils ont analysé l’ADN et recouru à des méthodes statistiques pour tenter d’établir les liens qui existent entre les animaux. C’est ainsi qu’ils ont réussi à distinguer les dix populations isolées.

L’absence de brassage des populations pourrait justifier le nombre négligeable d’ours, précise Dave Garshelis, spécialiste de la faune au Département des ressources naturelles du Minnesota et co-président du Groupe de spécialistes des ours de la Commission de survie des espèces de l’Union internationale pour la conservation de la nature.

Parallèlement, cet isolement des autres populations d’ours noirs a également contribué à la protection de la couleur inhabituelle des Ursus americanus emmonsii, souligne Garshelis.

Un gène récessif serait à l’origine de cette transformation de couleur et le croisement avec d’autres ours noirs pourrait très vite y mettre fin.

Des mutations génétiques similaires conduisent également à des transformations de couleur, y compris chez l’Ursus americanus cinnamomum dans les régions occidentales de l’Amérique du Nord et l’Ursus americanus kermodei blanc dans la région côtière de la Colombie-Britannique. Toutes ces variantes appartiennent à la même espèce, l’ours noir ou Ursus americanus.

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    UN PELAGE D’UN BLEU ARGENT

    Personne ne sait avec certitude pourquoi l’aire de répartition des Ursus americanus emmonsii est si limitée ou même pourquoi le gène responsable de ce gris bleuté transcende les générations.

    Cependant, le simple fait de savoir que les Ursus americanus emmonsii ont tendance à vivre dans les étendues glaciaires suppose que lesdits animaux sont capables de survivre dans des régions recouvertes de glace, dit Lewis. Leur pelage d’un bleu argenté pourrait les protéger des prédateurs comme les ours bruns, les loups ou même les êtres humains. Le pelage blanc de l’Ursus americanus kermodei l’aide par exemple à attraper efficacement des saumons, parce que les poissons ne sont pas capables de repérer leurs prédateurs aussi facilement en plein jour.

    Une caractéristique qui dure ne constitue pas forcément un avantage, met en garde Garshelis, qui n’a pas pris part à l’étude. « Je n’écarte pas cette possibilité parce que je n’en ai pas de meilleure, mais le camouflage est souvent la première idée qui nous traverse l’esprit. »

    Il est possible, au contraire, que les Ursus americanus emmonsii soient le résultat d’une dérive génétique, un processus par lequel une caractéristique apparaît au sein d’une population et se propage sans conférer aucun avantage, détaille-t-il.

     

    UN AVENIR INCERTAIN

    Selon Garshelis, les glaciers ont incontestablement eu une incidence sur l’évolution de l’ours noir.

    Vers le milieu du Pléistocène, qui s’étend d’il y a environ 2,8 millions d’années à 11 700 ans, la formation d’une calotte glaciaire a séparé les ours des régions occidentales de l’Amérique du Nord de ceux du reste du continent, affirme-t-il. Les deux populations ont donc suivi des trajectoires évolutives légèrement différentes. Les Ursus americanus emmonsii ont progressé dans un paysage façonné par la glace : les glaciers couvraient l’ensemble du sud-est de l’Alaska il y a 18 000 ans à peine, à la fin de la dernière période glaciaire

    Le réchauffement climatique est à l’origine de la fonte des glaciers responsables de l’isolement de l’espèce. Il est donc plus probable que les ours se mélangent de nouveau, diluant les gènes de l’Ursus americanus emmonsii, conclut Garshelis. Cette espèce pourrait, tout comme les glaciers de l’Alaska, disparaître progressivement.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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