Les humains sont-ils aussi (voire plus) violents que les animaux ?

La prédisposition des Hommes à s'entre-tuer provient en partie de l'arbre phylogénétique des primates dont ils descendent, mais cela n'explique pas tout.

De Erika Engelhaupt
Publication 8 sept. 2020, 14:58 CEST
Querelle de bonobos dans un refuge de République démocratique du Congo.

Querelle de bonobos dans un refuge de République démocratique du Congo.

PHOTOGRAPHIE DE Cyril Ruoso, Minden Pictures, Nat Geo Image Collection

D'après une étude parue en 2016, l'Homme aurait hérité sa propension à la violence de ses ancêtres primates, ce qui pourrait nous amener à penser, « Ah, voilà, nous ne sommes que des animaux. » Mais cette vision de la réalité animale est fortement réductrice.

Les premiers humains étaient aussi violents que le laissait envisager leur arbre phylogénétique, c'est ce que rapportent les chercheurs dans leur étude parue en 2016 dans la revue Nature. Pour cela, ils se sont intéressés aux occurrences de violence létale, non pas d'une espèce à l'autre, comme le prédateur et sa proie, mais au sein même d'une espèce, que ce soit par cannibalisme, infanticide ou agression.

Ils ont traqué ces actes odieux parmi les quatre millions de décès enregistrés chez plus d'un millier de mammifères différents, des musaraignes aux primates. En parallèle, ils ont compilé des données historiques sur les meurtres connus chez l'Homme.

Un constat s'est rapidement imposé : la violence mortelle a augmenté au fil de l'évolution des mammifères. Alors que seul 0,3 % de l'ensemble des mammifères ont trouvé la mort des suites d'un conflit avec un membre de leur propre espèce, ce taux est six fois plus élevé, soit environ 2 %, chez les primates. De la même façon, les premiers humains devraient présenter un taux situé autour des 2 %, ce qui correspond aux preuves de violence tirées de l'analyse des restes humains du Paléolithique.

La période médiévale s'est montrée particulièrement meurtrière, avec une violence interhumaine responsable de 12 % des décès enregistrés. En revanche, au cours du siècle dernier, notre espèce s'est montrée relativement pacifique, ne s'entretuant qu'au taux de 1,33 % à travers le monde. De nos jours, le taux d'homicide des régions les plus pacifiques de la planète peut descendre aussi bas que 0,01 %.

« L'évolution n'est pas un carcan pour la condition humaine ; l'Homme a changé et continuera de changer de façon surprenante, » déclare l'auteur de l'étude, José María Gómez, de l'Estación Experimental de Zonas Áridas (EEZA) en Espagne. « Peu importe notre degré de violence ou de pacifisme à l'origine, nous pouvons moduler le niveau de violence interpersonnelle en modifiant notre environnement social. Nous pouvons construire une société pacifique si nous le souhaitons. »

 

ATTENTION LÉMURIEN

Le plus étonnant dans cette étude, ce n'est pas tellement notre degré de violence, mais plutôt la comparaison avec nos cousins mammifères.

Il n'est pas facile d'estimer la fréquence à laquelle les animaux s'entretuent à l'état sauvage, mais Gómez et son équipe ont eu un bon aperçu des espèces les plus ou les moins disposées à commettre l'irréparable. La proportion de hyènes tuées par leurs semblables s'élève à 8 %. La mangouste jaune ? 10 %. Et les lémuriens ? Ces petits animaux aux gros yeux si mignons ? Jusqu'à 17 % des décès chez certaines espèces de lémuriens sont le fruit de violences mortelles.

D'un autre côté, l'étude montre que 60 % des espèces de mammifères ne s'adonneraient jamais à ces violences intra-spécifiques, c'est du moins ce qui ressort des observations réalisées à ce jour. Chez les chauves-souris, sur les 1 200 espèces existantes, une poignée seulement adopterait ce comportement. En ce qui concerne les pangolins et les porcs-épics, il semblerait qu'ils n'aient pas à supprimer les membres de leur propre espèce pour que règne l'ordre.

Pendant longtemps, l'image des dauphins était celle de mammifères marins pacifiques, mais des tentatives d'infanticide ont depuis été observées.

PHOTOGRAPHIE DE Wolcott Henry

De la même façon, on estime généralement que les baleines ne s'attaquent pas à leurs congénères. Cependant, comme le fait remarquer Richard Connor, biologiste des dauphins à l'université du Massachusetts à Darmouth, une tentative d'infanticide a récemment été documentée chez les dauphins et il se pourrait que les baleines, leurs plus proches parents, soient également plus violentes que nous ne le pensons.

« On peut être témoin d'un combat létal entre dauphins sans le savoir, car lorsque la victime s'éloigne elle est à première vue indemne, mais souffre peut-être d'une hémorragie interne mortelle, » explique-t-il.

Cela dit, la plupart du temps nous avons tendance à exagérer la violence des animaux, indique Mark Bekoff, expert en comportement animal et professeur émérite au sein de l'université du Colorado à Boulder.

« La violence est peut-être profondément ancrée dans la lignée humaine, mais je pense que nous devrions faire très attention lorsque nous disons qu'un Homme violent se comporte comme un animal non humain, » précise Bekoff.

Bekoff soutient depuis fort longtemps une vision essentiellement pacifiste des animaux non humains. S'il est vrai que les racines de la violence peuvent être mises en évidence dans notre passé animal, il en va de même pour les racines de l'altruisme et de la coopération, rappelle-t-il. Il cite à cet égard le défunt anthropologue Robert Sussman qui avait découvert que même les primates, mammifères qui comptent parmi les plus agressifs, ne passaient que 1% de leur journée à se battre ou à entrer en concurrence d'une quelconque façon.

Après tout, provoquer un autre animal en duel est un passe-temps risqué et pour bon nombre d'animaux les avantages ne font pas le poids face à une mort probable. D'après l'étude, les animaux hautement sociaux et territoriaux sont les plus susceptibles de s'entre-tuer. Bon nombre de primates cadrent avec ce profil de tueurs, mais comme le font remarquer les experts, il y a des exceptions. La structure sociale des bonobos est essentiellement pacifique et dominée par les femelles, alors que les chimpanzés sont nettement plus violents.

Ces différences d'un primate à l'autre sont importantes, indique Richard Wrangham, anthropobiologiste de l'université Harvard connu pour son étude de l'évolution du comportement guerrier chez l'Homme. Pour les chimpanzés et les autres primates qui s'entre-tuent, l'infanticide est la forme de violence la plus courante. Pour les humains, c'est différent : ils s'entre-tuent fréquemment entre adultes.

« Ce "club des tueurs d'adultes" est très fermé, » ajoute-t-il. « Il regroupe une poignée de carnivores sociaux et territoriaux comme les loups, les lions et les hyènes tachetées. »

Même s'il est normal de s'attendre à une certaine dose de violence mortelle chez l'Homme en s'appuyant sur leur arbre phylogénétique, il serait malvenu de conclure que la violence humaine n'a rien de surprenant, résume Wrangham.

Pour ce qui est des tendances meurtrières, poursuit-il, « l'Homme est vraiment une exception. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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