États-Unis : des bisons pour sauver des prairies menacées par le changement climatique

Une étude ayant débuté il y a vingt-neuf ans montre que la réintroduction de bisons crée des écosystèmes plus riches et plus résilients face au changement climatique en Amérique du Nord.

De Jason Bittel
Publication 30 août 2022, 18:32 CEST
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Des bisons d’Amérique sauvages paissent dans la Réserve de chasse de Maxwell State, à Canton, dans le Kansas. L’État abrite également des prairies d’herbes hautes, un écosystème protégé.

PHOTOGRAPHIE DE JOEL SARTORE, NAT GEO IMAGE COLLECTION, Nat Geo Image Collection

Au cours des vingt-neuf dernières années, deux fois par an, des chercheurs sont allés patauger dans la même zone de prairie d’herbes hautes de l’est du Kansas, pour dénombrer autant d’espèces de plantes que possible. Leur objectif était de déterminer l’impact des bisons d’Amérique et du bétail sur cet écosystème, en le comparant à des parcelles de prairies semblables où ces animaux n’étaient pas allés paître.

Ce travail pénible s’est fait sous une chaleur accablante, dans un environnement infesté de tiques, mais il est d’une grande importance : les prairies d’herbes hautes couvraient autrefois une immense portion du Texas et s’étiraient jusqu’au sud du Canada. De nos jours, cet habitat dominé par des herbes et des phorbes arrivant à la taille, voire au visage, est en péril. La prairie d’herbes hautes ne couvre plus désormais que quatre pour cent de son aire historique nord-américaine.

Ces dizaines d’années d’efforts passées à récolter des données ont peut-être mené à un résultat surprenant : selon une étude publiée le 29 août dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, sur les trente dernières années, les bisons qu’on a laissé brouter sur des parcelles de prairies d’herbes hautes ont entraîné une hausse de 86 % de l’abondance des espèces de plantes indigènes.

Les zones où l’on a fait paître du bétail favorisent également les espèces indigènes, quoique celles-ci n’aient progressé que de 30 %. Le bison d’Amérique (le fameux buffalo) procure donc un bénéfice environnemental trois fois supérieur à celui des vaches, et les chercheurs ne savent pas encore vraiment pourquoi. (Découvrez ces magnifiques photos de prairies et de savanes.)

« Nous sommes encore assez surpris de l’effet démesuré qu’ont eu les bisons », confie Zak Ratajczak, principal auteur de l’étude et écologue de l’Université d’État du Kansas. « Je pense que personne n’aurait pu prédire cela à l’avance. »

Les chercheurs ont comparé leurs résultats à 252 études similaires du monde entier s’étant penchées sur l’impact des grands herbivores sur la diversité des plantes. En prenant en compte toutes ces études, le bison d’Amérique et ses effets se classent dans le 95e centile, ce qui signifie que les résultats obtenus par les chercheurs font partie des plus spectaculaires jamais enregistrés.

Entre 30 et 60 millions de bisons peuplaient les États-Unis au milieu du 19e siècle, avant que le gouvernement américain ne les extermine presque totalement dans le cadre d’une campagne coordonnée visant à priver les populations amérindiennes d’une source d’alimentation essentielle. En 1889, il n’en restait plus que quelques centaines. Les résultats de la présente étude suggèrent que des efforts poursuivis de réintroduction des bisons dans leur aire historique seraient très bénéfiques non seulement pour les peuples autochtones et pour leur culture, mais aussi pour les terres et l’environnement naturel.

« Nous avons là une relation réciproque qui a été tout simplement rompue », commente Jason Baldes, directeur du projet « Tribal Buffalo » initié dans le cadre du programme de Partenariats avec les tribus de la National Wildlife Foundation. Il n’a pas pris part à la présente étude.

« En tant que peuple autochtone, à mesure que nous restaurons ce lien avec les bisons, nous guérissons. Et ce bison, de par sa présence sur la terre, soigne la terre », déclare Jason Baldes, qui est également écologue et membre de la tribu des Shoshones orientaux. « Il s’agit d’une chose que nous pouvons tous apprendre, comprendre, et qui peut profiter à tous. » (Des Amérindiens œuvrent afin de faire revenir les bisons sur leurs terres ancestrales.)

 

QUEL EFFET LES BISONS ONT-ILS SUR LES PRAIRIES D’HERBES HAUTES ?

Pour étudier l’herbe des prairies, les chercheurs ont surveillé des sections de la Station biologique de Konza Prairie, réserve de prairies d’herbes hautes de près de 3 500 hectares qui est la copropriété de l’Université d’État du Kansas de The Nature Conservancy. Dans certaines zones pouvant aller jusqu’à 800 hectares, on a permis à des bisons en liberté de paître toute l’année sans interruption, tandis qu’on a placé du bétail dans d’autres sections lors de la période de pousse, d’avril à novembre. Afin de tester l’impact des animaux, on a comparé leurs parcelles à des parcelles restées vierges.

Sur les parcelles sans herbivores, le paysage se composait en majorité de quatre espèces d’herbes indigènes : Andropogon gerardii, Sorghastrum nutans, Panicum virgatum et Schizachyrium scoparium. Cependant, lorsque l’on a laissé des bisons et du bétail faucher ces espèces, d’autres plantes moins dominantes ont pu pousser. (Voici l’une des dernières prairies d’herbes hautes d’Amérique.)

« C’est ce que l’on appelle un "herbivore clef de voûte" », précise Zak Ratajczak.

Une plante en particulier a bénéficié de cette présence animale, une phorbe à fleurs : la gerbe d’or rigide (Solidago rigida). Les botanistes n’ont que rarement observé cette espèce sur les parcelles non broutées mais elle apparaissait régulièrement sur celles où l’on avait placé des bisons. De même, plusieurs espèces d’herbes résistantes à la sécheresse se sont implantées sur les parcelles des bisons, ainsi que onze espèces de plantes annuelles qu’on n’avait jamais vues là auparavant.

 

DES BAUGES BÉNÉFIQUES

Bien que Zak Ratajczak ne puisse pas donner avec certitude la raison pour laquelle les bisons créent un contexte plus favorable pour les espèces indigènes que ne le fait le bétail, il a tout de même plusieurs théories.

Les bisons ont selon lui des habitudes de paissement plus hétérogènes. Autrement dit, ils sont susceptibles d’aplatir complètement une zone et de tout manger jusqu’au bulbe tout en laissant d’autres coins de prairie intacts ; cela engendre davantage de diversité. Le bétail a en revanche tendance à brouter de manière plus méthodique et uniforme.

« Les bisons créent aussi des cavités dans le sol, qu’on appelle des bauges, explique Zak Ratajczak. Ce sont des endroits où ils se vautrent et se défont de leur fourrure hivernale, et cela créé ce petit coin unique comportant des caractéristiques de types de sols très diverses que l’on ne trouverait pas autrement. »

Lorsqu’il pleut, les bauges se durcissent puis se remplissent d’eau. Cela crée des zones humides miniatures et permet à toute une variété de plantes de pousser.

Notons qu’en promouvant ainsi différents types de plantes, les chercheurs pensent que les bisons pourraient aider leurs écosystèmes à gagner en résilience face aux sécheresses prolongées, un des effets les plus importants du changement climatique dans l’Ouest américain.

Par exemple, les espèces de plantes annuelles, présentes en abondance sur les parcelles broutées, se reproduisent assez tôt, puis elles fleurissent, produisent des graines et entrent en phase dormante durant les mois les plus chauds et les plus secs avant de reparaître lorsque les conditions climatiques s’améliorent.

 

« NOUS DEVONS ENVISAGER CE QU’ON A PU APPELER PROGRÈS SOUS UN NOUVEAU JOUR »

Pour sa part, Jason Baldes est impressionné par l’étendue de la nouvelle étude. Selon lui, les résultats réitèrent « ce que nous savons déjà sur l’importance de cet animal qui est une espèce clef de voûte ».

D’après lui, les bisons profitent aux papillons, aux salamandres et aux reptiles en créant un habitat tant pour les animaux eux-mêmes que pour les plantes dont ceux-ci ont besoin pour survivre. Quand les grands herbivores se défont de leur épais manteau d’hiver, leurs touffes de poils servent aux oiseaux pour la nidification. « J’ai vu des balbuzards voler au-dessus de moi près de l’enclos des bisons, et on dirait qu’ils portent un serpent, alors qu’en fait ils rapportent une grosse touffe de poils de bison à leur nid. » (Le bison, mammifère national des États-Unis.)

Jason Baldes s’efforce de faire revenir le bison sur ses terres traditionnelles, notamment dans la Réserve indienne de Wind River, dans le Wyoming, qui en abrite près d’une centaine. Selon lui, l’idée de la réintroduction des bisons prend de l’ampleur aux États-Unis et au Canada et est justifiée par des études comme celle-ci. Une récente étude suggérait également que la réintroduction de bisons pourrait procurer une meilleure souveraineté alimentaire et une plus grande indépendance économique aux populations amérindiennes.

En rejetant l’exploitation environnementale, en réintroduisant des espèces importantes comme le bison et en travaillant à la préservation des langues amérindiennes, on peut, selon Jason Baldes « faire en sorte que nos jeunes soient fiers d’être Shoshones et Araphos, Pieds-Noirs, Crows, Cheyennes ou de faire partie d’une des 574 tribus reconnues sur le plan fédéral dans ce pays et qui essaient de raconter leur histoire ».

« La colonisation qui s’est produite s’est faite dans des proportions qui ont touché non seulement le peuple autochtone mais également la façon d’utiliser la terre, explique-t-il. Elle a été labourée, pavée, clôturée encore et encore, le tout dans une idée de progrès. »

Selon lui, si la réintroduction des bisons veut aboutir, la santé de l’environnement doit être prioritaire.

« Ce système de pensée coloniale a anéanti des prédateurs et réduit les bisons à néant, se lamente-t-il. Nous devons donc envisager ce qu’on a pu appeler progrès sous un nouveau jour. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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