Île de Principe : une nouvelle espèce de hibou a été découverte

À l'aide d'une méthode de suivi par acoustique, une équipe de chercheurs a pu découvrir Otus bikegila, une espèce de petit-duc dont le cri caractéristique hantait les forêts de la petite île de Principe, et qui serait déjà en danger critique d'extinction.

De Jason Bittel
Publication 11 nov. 2022, 09:00 CET
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Martim Melo tient un individu de Otus bikegila, le troisième spécimen jamais étudié, le 27 janvier 2019.

PHOTOGRAPHIE DE Bárbara Freitas

Au large de la côte ouest de l’Afrique, sur la petite île de Principe, d’étranges cris hantent les heures tardives de la nuit.

Peu de personnes ont pu entendre ces bruits, qui émanent des forêts anciennes d’une zone inhabitée, au sud de l’île. Ils commencent juste après le coucher du soleil et ressemblent parfois au râle d’un insecte, au miaulement d’un chat ou encore au hurlement d’un singe. C’est en 1928 que les habitants de l’île ont remarqué ces cris pour la première fois, mais comme ils n’avaient pas les moyens de voir dans la noirceur nocturne de l’imposante canopée, ces sons sont restés un mystère pendant des décennies.

L’origine de ces étranges bruits a désormais été identifiée : il s’agit, selon une récente étude publiée dans la revue ZooKeys, d’une nouvelle espèce de petit hibou.

Connu sous le nom scientifique de Otus bikegila, ce rapace est l’une des cinquante-neuf espèces de petits-ducs, de petits prédateurs que l’on peut trouver dans le monde entier. À l’heure actuelle, beaucoup restent encore à découvrir au sujet de cet oiseau, tel que ce qu’il mange, ses techniques de chasse et la signification des sons distinctifs qu’il émet.

« C’est ce que nous appelons une étude intégrative, parce que c’est un peu comme un puzzle », explique Bárbara Freitas, coautrice de l’étude et biologiste de l’évolution au Musée national des sciences naturelles de Madrid.

« Nous disposions de plusieurs pièces, telles que ses sons, sa morphologie et sa génétique, donc nous pouvions rassembler toutes les données et voir s’il s’agissait réellement d’une nouvelle espèce », explique Freitas, qui est également exploratrice National Geographic.

Cette espèce aurait une population de 1 000 à 1 500 individus, mais selon les scientifiques, leur aire de répartition ne couvrirait qu’environ 13 kilomètres carrés dans le parc naturel Obô de Principe. Principe est l’une des îles qui composent le pays de Sao Tomé-et-Principe.

« Nous pensons qu’il est complètement dépendant de cette forêt indigène », affirme Freitas. « C’est déjà une zone protégée, mais elle peut être endommagée très facilement. »

La construction d’un petit barrage hydroélectrique est par exemple prévue à proximité, ce qui pourrait entraîner de la déforestation dans la zone, selon la biologiste.

Pour ces raisons, dans une autre étude publiée récemment dans la revue Bird Conservation International, les scientifiques recommandent que l’oiseau soit davantage protégé, en lui accordant notamment le statut d’espèce en danger critique d’extinction de l’Union internationale pour la conservation de la nature.

 

CONFIRMER L'EXISTENCE DE L'ESPÈCE

Même si l’on suspectait son existence depuis près d'un siècle, Otus bikegila n’aurait peut-être jamais été officiellement découverte et décrite sans Ceciliano do Bom Jesus, un guide de la région que tout le monde connaît sous le nom de Bikegila.

Bien avant la création du parc naturel Obô de Principe en 2006, Bikegila, dont le surnom n’a pas d’origine particulière, comptait parmi les nombreux hommes qui gagnaient leur vie en grimpant dans la canopée pour arracher les poussins de perroquets jaco de leurs nids pour le commerce des animaux de compagnie.

Après la mise en place de la protection de la zone et de l’interdiction de l’exploitation des perroquets, Bikegila a décidé d’utiliser ses vastes connaissances de cette nature pour une tout autre activité : celle de guide. C’est toutefois au début des années 1990, alors qu’il cherchait encore des poussins de perroquets, qu’il est devenu l’une des premières personnes à repérer un individu Otus bikegila.

Pendant près de vingt-cinq ans, il a assisté les scientifiques lors de chaque expédition organisée pour trouver l’oiseau, et a notamment participé au voyage qui a conduit, en juillet 2016, à la toute première preuve photographique de son existence. Près d’un an plus tard, le 29 mai 2017, Bikegila est parvenu, avec Hugo Pereira de l’Université de Porto, qui a participé à la rédaction de l’étude, à attraper un spécimen pour la toute première fois.

C’est cet individu que les scientifiques ont utilisé pour la description de l’espèce. D’autres spécimens découverts plus tard ont également été échantillonnés puis relâchés, leur ADN contribuant à prouver que Otus bikegila se distinguait bien des autres espèces de petits-ducs du genre Otus.

En l’honneur du travail des guides du monde entier, Freitas et ses collègues ont choisi de lui donner le nom de Bikegila, qui est également coauteur de l’étude sur les dangers auxquels Otus bikegila est confrontée.

Lorsque nous lui avons demandé ce qu’il aimerait que le monde sache au sujet de son île, Bikegila a répondu en retournant la question.

« Pourquoi ne peuvent-ils pas venir ici ? Vous devriez leur dire de venir », a-t-il affirmé en portugais à National Geographic en passant par la traduction du responsable de l’étude, Martim Melo, biologiste à l’université de Porto.

« Ils doivent découvrir le paysage, les oiseaux, l’histoire par eux-mêmes, et en tirer leur propre jugement ensuite. C’est mieux comme ça. »

 

MIS SUR ÉCOUTE

Freitas et ses collègues ont également publié une troisième étude afin de détailler la méthode utilisée pour découvrir le hibou : le suivi par acoustique passive. Selon les scientifiques, cette dernière peut être utilisée pour identifier d’autres nouvelles espèces en terrain reculé.

Pour trouver Otus bikegila dans la forêt dense, l’équipe a commencé par déployer des enregistreurs audio afin de distinguer les sons émis par les animaux dans l’obscurité. Ils ont ensuite analysé ces données pour identifier le cri caractéristique du hibou : un ouh court et répété, souvent réalisé en duo, que les scientifiques avaient enregistré dans la nature.

Ensuite, Freitas a conçu un programme informatique permettant de parcourir d’innombrables heures d’enregistrements audio, et ce afin d’identifier Otus bikegila au milieu des bruits des perroquets, des insectes et des autres animaux nocturnes.

« C’est l’équivalent sonore des pièges photographiques qui, eux aussi, sont excellents pour trouver des animaux que les humains ne peuvent pas observer dans leur habitat », explique Nigel Collar, expert en petits-ducs auprès de l’organisation à but non lucratif BirdLife International, et qui n’était pas impliqué dans cette nouvelle étude. Collar a lui aussi utilisé le suivi acoustique pour étudier les hiboux, mais pas pour se concentrer sur une espèce spécifique comme le décrit le nouvel article.

« C’est très bien de voir que ce hibou a enfin été décrit », ajoute l’expert. « Ils ont de toute évidence fait un travail très professionnel. »

Selon Freitas, ce qui fait du suivi par acoustique passive une méthode aussi intéressante, c’est que les scientifiques peuvent continuer à analyser et à réanalyser ces mêmes enregistrements à la recherche de tout animal ou son qu’ils souhaitent étudier. Les mêmes données pourraient ainsi être utilisées pour identifier encore plus de nouvelles espèces.

« Cela va permettre de renforcer considérablement nos connaissances actuelles », conclut-elle.

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    La National Geographic Society, qui s’engage à mettre en avant et à protéger les merveilles de notre monde, a financé le travail de l’exploratrice Bárbara Freitas. Pour en savoir plus sur le soutien de la National Geographic Society aux explorateurs qui mettent en valeur et protègent des espèces essentielles, cliquez ici.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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