Myanmar : Ces Caprinés sont en danger et personne n'en parle

Si les animaux plus charismatiques comme les éléphants et les léopards des neiges bénéficient de mesures de protection, c'est loin d'être le cas des chèvres et des moutons sauvages qui, eux aussi, sont menacés d'extinction en raison de la chasse illégale.

De Rachel Nuwer
Publication 28 nov. 2022, 12:16 CET
Les grands bharals, aussi appelés moutons bleus en raison des teintes bleues de leur robe, se ...

Les grands bharals, aussi appelés moutons bleus en raison des teintes bleues de leur robe, se déplacent sans difficulté dans les reliefs montagneux, comme sur ce versant dans le nord-ouest de la province de Qinghai, en Chine.

PHOTOGRAPHIE DE Xi Zhinong, Minden Pictures

Plus de deux millions de moutons et de chèvres sont élevés dans le monde pour leur viande, leur lait, leur laine ou en tant qu’animaux de compagnie. Pourtant, malgré l’omniprésence de ces animaux domestiques, nous n’entendons que rarement parler de leurs cousins sauvages, dont la grande majorité des populations sont en déclin, et bien souvent menacées d’extinction. Les causes de cette situation restent incertaines, mais selon une nouvelle étude, le braconnage serait le principal suspect.

Les Caprinés sont une famille d’animaux ongulés qui comprend près de quarante espèces, dont les chèvres et les moutons sauvages. Ces animaux vivent le plus souvent dans les zones montagneuses inadaptées à la survie d’autres ongulés, ce qui en fait d’importantes sources de nourriture pour les prédateurs comme le léopard des neiges.

D’après l’étude, certaines parties du corps des chèvres et des moutons sauvages (dont les yeux, la langue, la tête, les pattes et la queue) sont vendues et utilisées comme produits médicinaux. Les vendeurs proposent des bouteilles d’onguents élaborés à partir de graisses fondues et de glandes, mais aussi des cornes, principalement utilisées comme éléments décoratifs. La viande, quant à elle, est destinée à la consommation.

Chris Shepherd, coauteur de cette nouvelle étude, est le directeur exécutif de Monitor, une organisation à but non lucratif qui œuvre pour réduire le commerce illégal d’espèces sauvages. Avec ses collègues, il s’est intéressé au Myanmar (Birmanie), point de croisement entre le sud, le sud-est et l’est de l’Asie. Le pays abrite de nombreuses espèces de moutons et de chèvres sauvages telles que les saros, les gorals et les takins, dont la chasse est interdite. Le grand bharal, aussi appelé mouton bleu en raison des reflets bleus de sa robe, qui vit dans le nord de l’Himalaya, n’est pas inscrit sur la liste des espèces protégées du pays. Bien que l’on en sache encore peu au sujet du nombre de chèvres et de moutons et de leur répartition au Myanmar, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, leurs populations sont toutes en déclin. Et les chasseurs confirment cette constatation, d’après Shepherd.

Certaines des données utilisées par les chercheurs ont plus de vingt ans, preuve que ce commerce n’est pas nouveau. Il est pourtant passé inaperçu. « Très peu de personnes n’ont ne serait-ce qu’entendu parler des espèces que nous étudions », explique Shepherd. Si le braconnage n’est pas contrôlé, ces animaux pourraient « totalement disparaître » du Myanmar.

Les données commerciales utilisées dans cette étude proviennent de plusieurs sources différentes. De 1998 à 2017, Shepherd et Vincent Nijman, coauteur de l’étude et chercheur en commerce d’espèces sauvages à l’Université Oxford Brookes, se sont rendus à vingt reprises dans quatre marchés d’animaux sauvages au Myanmar, et y ont répertorié 1 041 parties de corps de chèvres et de moutons sauvages, ou produits qui en sont dérivés. D’après leurs estimations, les échantillons appartenaient à 35 grands bharals, 93 gorals, 810 saros et 90 takins. Ils ont également trouvé des morceaux d’antilopes du Tibet, une autre espèce de la famille des Caprinés qui n’est pas originaire du Myanmar, et dont le commerce international est strictement interdit.

La plupart des produits qu’ils ont vus étaient vendus en tant que médicaments (les vendeurs affirment par exemple que la langue de saro aide à soigner les fractures, et que l’huile de saro soulage les douleurs musculaires et articulaires), ou comme trophées ou talismans. Ils ont également répertorié des plats contenant de la chèvre ou du mouton sauvage sur les menus d’une dizaine de restaurants à Yangon, Mong La et dans les environs du Rocher d’Or.

En plus de ses propres données, l’équipe de recherche s’est servie des rapports de neuf saisies de viande ou dérivés de chèvres et de moutons sauvages par les autorités birmanes à plusieurs endroits, entre 2000 et 2020. L’équipe cite également les données d’autres groupes de protection de la nature qui avaient mené des études de marché au Myanmar.

Dans l’ensemble, l’étude indique qu’environ 1 700 moutons et chèvres sauvages ont été victimes de commerce illégal. « Ce résultat ne repose que sur nos recherches limitées », souligne Shepherd. De plus, leur enquête montre que le problème est particulièrement répandu dans les villes aux frontières de la Chine et de la Thaïlande. « Le gouvernement central n’exerce qu’un contrôle très limité sur certaines de ces zones frontalières, mais c’est là que le commerce illégal d’espèces sauvages prospère », explique Nijman.

Le fait qu’il n’y ait plus que 1 243 saros (qui sont classés comme espèces vulnérables) est particulièrement alarmant selon Alice Hugues, biologiste de la conservation à l’Université de Hong Kong, qui n’a pas participé à l’étude. « Cela signifie que la chasse constitue une menace considérable pour l’espèce », mais qu’en même temps, « rien n’est vraiment fait pour empêcher le trafic et le commerce d’animaux, alors qu’il le faudrait ».

Le directeur général du ministère des Ressources naturelles et de la Protection de l’environnement du Myanmar, Htay Aung, n’a pas souhaité commenter les résultats de cette nouvelle étude.

Hugues souligne également qu’à cause de la pandémie de COVID-19 et du coup d’État de février 2021, la situation de ces animaux au Myanmar s’est aggravée depuis la fin de l’étude. Les effets de la chasse « ont dû considérablement augmenter ces deux dernières années. Seulement, aucune donnée n’est disponible pour mesurer ses répercussions », explique-t-elle.

Shepherd et Nijman espèrent que leurs découvertes sensibiliseront le public à la situation critique des chèvres et des moutons sauvages, et qu’elles permettront d’initier de futures actions de conservation. « Ce groupe d’espèces est en train d’être décimé, et il n’y a aucun fonds disponible pour y remédier », explique Shepherd. « C’est malheureux, car ce groupe d’animaux est incroyable. Il nous reste tellement de choses à faire pour pouvoir les protéger. »

Wildlife Watch est une série d'articles d'investigation entre la National Geographic Society et les partenaires de National Geographic au sujet de l'exploitation et du trafic illégal d'espèces sauvages. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles ainsi qu'à nous faire part de vos impressions à l'adresse ngwildlife@natgeo.com.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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