Le pollen de tournesol, un antiparasitaire naturel pour les bourdons

Chez les bourdons qui ont des parasites, le pollen de cette plante agit comme un véritable médicament.

De Elizabeth Anne Brown
Publication 14 déc. 2022, 16:46 CET
Un bourdon fébrile (Bombus impatiens) récolte du pollen dans un champ de tournesols. Le pollen de ...

Un bourdon fébrile (Bombus impatiens) récolte du pollen dans un champ de tournesols. Le pollen de ces plantes aide les insectes à se débarrasser des parasites internes.

PHOTOGRAPHIE DE Bill Berry, Getty

Exposition aux pesticides, changement climatique, perte d’habitat causée par l’agriculture et le développement urbain ou encore pathogènes particulièrement virulents, les bourdons et autres pollinisateurs doivent faire face à de nombreuses menaces. Mais selon une découverte récente, ils peuvent compter sur la nature pour leur donner un coup de pouce antiparasitaire.

Certaines études ont déjà démontré que le pollen de tournesol agit tel un médecin chez les bourdons porteurs du parasite Crithidia bombi, un organisme unicellulaire que l’on trouve dans les intestins de l’insecte et qui nuit à sa santé. Les scientifiques n’avaient cependant pas pu expliquer si le pollen de tournesol combattait C. bombi en stimulant les fonctions immunitaires des bourdons ou en empoisonnant directement le parasite.

Il s’avère que la réponse est toute simple : « Le pollen de tournesol stimule beaucoup la production de déjections chez les bourdons », ce qui leur permet de se débarrasser des parasites, explique Jonathan Giacomini, auteur principal de la nouvelle étude parue dans la revue Journal of Insect Physiology.

D’après le chercheur, les produits végétaux tels que le nectar et le pollen sont une incroyable source de médicaments potentiels pour les insectes. « Il existe des éléments naturels avec lesquels les pollinisateurs interagissent et qui peuvent leur être bénéfiques », souligne l’auteur de l’étude. Les scientifiques estiment ainsi qu’en plantant certaines plantes, nous pourrions aider les abeilles à survivre.

Une abeille charpentière est recouverte du pollen d’une viorne. Planter des fleurs natives comme celle-ci, qui est endémique de l’Est des États-Unis, aide les pollinisateurs de diverses façons.

PHOTOGRAPHIE DE Krista Schlyer

 

LE POUVOIR DES PLANTES

Si vous tombez sur une créature volante duveteuse qui bourdonne dans l’Est des États-Unis, il y a de fortes chances pour qu’il s’agisse d’un bourdon fébrile (Bombus impatiens). Arborant des rayures jaunes et noires ainsi qu’un postérieur recouvert de poils soyeux, ces insectes sociables vivent en colonie et apprécient les crevasses ; ils peuvent ainsi élire domicile dans des nichoirs, des piles de bois, des terriers vides et des herbes épaisses.

Les bourdons sont des pollinisateurs clés, que ce soit dans la nature ou dans l’agriculture (ils sont notamment élevés et utilisés pour polliniser les cultures de tomates et de citrouilles). À l’instar d’autres pollinisateurs, ces insectes sont confrontés à de nombreuses menaces, qui font paraître C. bombi bien ridicule. Seul, le parasite n’a que peu d’effets sur la santé d’un bourdon. Mais lorsque la nourriture devient rare, il peut raccourcir l’espérance de vie de l’insecte et même réduire le nombre de jeunes reines qu’une colonie peut produire.

Chercheuse en écologie évolutive à l’université du Massachusetts à Amherst, Lynn Adler étudie les interactions entre les plantes et les végétaux. Avec sa collaboratrice de longue date Rebecca Irwin de l’université d’État de Caroline du Nord, elle soupçonne depuis des années les fleurs comme étant capables de soigner les pollinisateurs, une théorie qui s’appuie sur le fait que les plantes produisent souvent des composés chimiquement actifs dans leur nectar et leur pollen pour aider leur charge génétique à atteindre leur destination.

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    Une abeille Agapostemon butine une rhexia en Floride.

    PHOTOGRAPHIE DE Krista Schlyer

    « De nombreux composés de défense des plantes peuvent présenter des vertus médicinales à certaines doses », confie Lynn Adler. Ce n’est pas un hasard si « la plupart des médicaments [que nous utilisons] proviennent des plantes ».

    C’est en 2018, alors qu’il était étudiant en licence dans le laboratoire de la chercheuse en écologie évolutive, que Jonathan Giacomini a découvert les effets du pollen de tournesol. Dès les premiers tests, ce dernier a considérablement réduit la charge du parasite C. bombi chez les bourdons fébriles, parfois même jusqu’à éliminer complètement l’intrus. « Nous avons été surpris par la constance et l’efficacité du pollen de tournesol », admet Lynn Adler.

    Les chercheurs ne parvenaient toutefois pas à expliquer les raisons d’un tel phénomène. Plusieurs études menées au fil des années avaient exclu l’hypothèse d’un boost des fonctions immunitaires et aucune n’était parvenue à identifier le composé chimique présent dans le pollen de tournesol qui pourrait signer l’arrêt de mort de C. bombi.

    « J’ai alors commencé à remarquer qu’à chaque fois que nous menions ces expériences, les abeilles qui se nourrissaient de pollen de tournesol étaient bien plus souillées que celles qui butinaient des fleurs sauvages », se souvient Jonathan Giacomini. C’est ainsi que sa théorie a pris une tournure scatologique.

     

    UN ANTIPARASITAIRE NATUREL

    Pour tenter de comprendre le mécanisme responsable de l’effet médicinal du pollen de tournesol, Jonathan Giacomini, qui était alors doctorant, a installé un buffet pour bourdons dans un laboratoire de l’université d’État de Caroline du Nord.

    Il a nourri des bourdons en bonne santé et des bourdons porteurs du parasite C. bombi avec du pollen de tournesol, avant de comparer leurs déjections à celles d’autres abeilles qui n’avaient consommé que du pollen de fleurs sauvages. (Contrairement à nous, les bourdons ne séparent pas les déchets solides et liquides. Les déjections des bourdons se présentent donc sous la forme d’une bouillie, le plus généralement d’une couleur jaune vif donnée par le pollen non digéré).

    « Il s’avère que les déjections de bourdon sont naturellement fluorescentes sous les ultraviolets », ce qui permet de distinguer très facilement leur présence, souligne l’auteur principal de l’étude. « C’est très impressionnant, ça ressemble presque à une galaxie ».

    Qu’ils aient des parasites ou non, les bourdons ayant consommé du pollen de tournesol produisaient 68 % de déjections de plus en volume et déféquaient 66 % plus souvent que les individus exclusivement nourris avec du pollen de fleurs sauvages.

    La question suivante s’est alors naturellement posée : pourquoi le pollen de tournesol a-t-il cet effet ? Le transit intestinal peut être accéléré de diverses façons : les laxatifs osmotiques ramollissent les selles grâce à un appel d’eau, tandis que les laxatifs stimulants sollicitent les muscles des intestins de manière à faire descendre les aliments digérés et à les évacuer.

    Les études préliminaires menées dans le laboratoire de Lynn Adler sont néanmoins parvenues à une explication étonnamment simple. L’enveloppe extérieure du pollen de tournesol est recouverte de picots, lesquels pourraient soit irriter la paroi intestinale et la contraindre à produire un mucus lubrifiant, soit parvenir à déloger de quelque manière que ce soit le parasite. D’après les données encore non publiées sur lesquelles s’appuie Lynn Adler, ces troubles intestinaux et effets antiparasitaires ont été observés chez les bourdons ayant uniquement consommé cette enveloppe extérieure, mais pas chez ceux qui se sont nourris du noyau du pollen de tournesol.

    Une mégachile, ou abeille coupeuse de feuilles, photographiée dans le parc national des montagnes Rocheuses, dans le Colorado. Les abeilles assurent le service essentiel qu’est la pollinisation. En retour, les plantes produisent une quantité incommensurable de composés chimiques qui nourrissent et soignent de nombreux animaux.

    PHOTOGRAPHIE DE Krista Schlyer

    Pour Robert Paxton, professeur de zoologie à l’université Martin-Luther de Halle-Wittenberg et spécialiste des parasites de l’abeille qui n’a pris part à aucune des études sur le tournesol, le mécanisme scatologique pourrait remettre en question d’autres études sur les parasites présentes dans les intestins des bourdons. Il fait notamment référence à une étude allemande selon laquelle les parasites qui enquiquinent les abeilles mellifères ne parviennent pas à embêter les bourdons en raison de la durée plus courte de leur transit intestinal (le temps nécessaire à la nourriture pour passer dans l’ensemble de l’appareil digestif).

    Le professeur ajoute être curieux de savoir si les bourdons porteurs du parasite C. bombi pratiquent l’automédication en choisissant de manger du pollen de tournesol plus souvent que leurs congénères sains, un comportement qui a été observé chez les abeilles mellifères malades.

     

    DES BIENFAITS POUR TOUTE LA COLONIE

    Pour les scientifiques, les tournesols ne sont qu’une plante parmi des milliers à présenter des vertus médicinales pour les abeilles. Ainsi, la résine de certaines plantes telles que les peupliers ou les pommiers baumiers peuvent aider les abeilles mellifères à combattre les infections fongiques, tandis que les ouvrières utilisent un composé dérivé du thym pour tenir à distance les varroas destructeurs.

    Si les chercheurs s’intéressent aux plantes que les pollinisateurs utilisent afin d’identifier des candidats potentiels à l’élaboration de médicaments qui nous sont destinés, c’est parce que les abeilles existaient déjà avant l’époque des dinosaures. Elles ont donc 120 millions d’années d’avance sur nous en matière d’études sur le pollen.

    Peter Graystock, maître de conférences au Imperial College London qui étudie les parasites des abeilles et qui n’a pas pris part à l’étude sur le tournesol, décrit cette dernière comme « élégante ».

    Selon lui, les déjections prodigieuses résultant du pollen de tournesol semblent résolument « bénéfiques pour les individus, car elles contribuent à réduire leur charge parasitaire ». En revanche, ce n’est peut-être pas une bonne chose d’avoir une colonie de bourdons souffrant de diarrhée lorsque l’on sait que C. bombi se transmet par les déjections. « Ils se débarrassent des spores transmissibles à un rythme plus élevé », souligne Peter Graystock. « Reste à voir si cela se traduit par une transmission plus rapide du parasite au sein de la colonie », déclare-t-il.

    La question de la nutrition est également à prendre en compte. Le pollen de tournesol est moins riche en protéines que celui de certaines autres fleurs et deux acides aminés essentiels sont absents de sa composition. Les bourdons ne peuvent donc pas uniquement se nourrir de pollen de tournesol. Robert Paxton et Peter Graystock craignent tous deux que les inconvénients nutritionnels du pollen de tournesol ne l’emportent sur les bénéfices résultant de l’élimination des parasites.

    Il semblerait toutefois que le jeu en vaille la chandelle. C’est en tout cas ce que suggère une autre étude réalisée par le laboratoire de Lynn Adler, qui fait actuellement l’objet d’une évaluation par les pairs. Alors qu’elle était postdoctorante, Rosemary Malfi a installé des colonies saines de bourdons dans 20 fermes de la Nouvelle-Angleterre, entourées de quantités variables de plantations de tournesols, avant de suivre la colonie sur toute une saison.

    « À notre plus grand bonheur, plus il y a de tournesols, moins l’infection est grave, que ce soit en intensité et en nombre d’abeilles malades », explique Lynn Adler. « En outre, les colonies établies dans des zones où les tournesols sont plus abondants produisent davantage de reines », un indicateur clé de la santé d’une colonie qui détermine le succès de reproduction de la prochaine génération.

     

    UN REMÈDE MIRACLE ?

    Les auteurs de l’étude soulignent toutefois que nous ne pouvons pas sauver les abeilles en plantant des tournesols à tout va.

    Les scientifiques sont parvenus à des résultats plus mitigés en ce qui concerne les effets du pollen de tournesol sur C. bombi chez d’autres espèces d’abeilles (très légers chez deux espèces cousines du bourdon fébrile et inexistants chez une troisième espèce). Les chercheurs ont prévu de reprendre les bases et d’étudier les différences anatomiques intestinales des abeilles qui pourraient expliquer pourquoi les insectes réagissent différemment au pollen de tournesol.

    En attendant, si vous souhaitez aider les abeilles, planter « une diversité de fleurs est une bonne idée », explique Rebecca Irwin. Mais assurez-vous d’inclure à votre mélange de fleurs sauvages natives des tournesols qui produisent du pollen : les variétés utilisées comme fleurs coupées sont généralement stériles.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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