5000 kilomètres : la folle odyssée du monarque

Ce papillon emblématique entreprend l’un des périples les plus extraordinaires – et les plus dangereux – du monde. Dans toute l’Amérique du Nord, des passionnés s’allient pour l’aider à prospérer.

De Michelle Nijhuis
Photographies de Jaime Rojo
Publication 9 janv. 2024, 13:46 CET
Des nuées de monarques volent dans les arbres à El Rosario, dans la réserve de biosphère ...

Des nuées de monarques volent dans les arbres à El Rosario, dans la réserve de biosphère du papillon monarque, dans l’État du Michoacán, au Mexique. Ces insectes migrateurs hivernent dans les mêmes forêts de sapins oyamels que les générations passées

PHOTOGRAPHIE DE Jaime Rojo

Retrouvez cet article dans le numéro 292 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

Par une journée chaude et claire, au coeur du Texas, Andre Green II épile délicatement un papillon monarque. 

Penché sur une table de laboratoire improvisée, il pince avec dextérité les ailes aux couleurs vives entre son pouce et son index, et passe une bandelette de papier abrasif sur le thorax de l’insecte afin d’en retirer quelques minuscules poils.

Lui et ses collègues chercheurs ont installé leur laboratoire éphémère dans l’un des nombreux pavillons de chasse privés de la région. Les murs sont ornés de têtes empaillées de gibier local et exotique. Mais André Green, professeur d’écologie et de biologie de l’évolution à l’université du Michigan, et Explorateur pour National Geographic, n’a d’yeux que pour la trentaine de monarques capturés plus tôt dans la journée. Il pose un point de colle entre les ailes du papillon, puis y fixe un capteur fait sur mesure – des puces alimentées par un panneau solaire miniature, le tout pesant moins que trois grains de riz. Le silence règne dans la pièce, à l’exception de doux battements d’ailes.

Le scientifique et son équipe espèrent que ce monarque et ses compagnons porteront les capteurs jusqu’aux massifs montagneux du centre du Mexique, à plus de 1 300 km au sud. Dans quelques semaines, ils se rendront eux-mêmes sur place pour tenter de détecter les signaux émis par les antennes des capteurs. S’ils parviennent à capturer de nouveau un ou plusieurs de ces spécimens, ils pourront accéder aux données photométriques et thermiques enregistrées en chemin par les dispositifs, ce qui leur permettra de cartographier l’itinéraire de chaque papillon. Comme d’autres travaux de recherche sur les monarques en Amérique du Nord, ce projet a mobilisé des bénévoles désireux d’aider l’espèce. Des collègues d’André Green, qui ont compris que les cyclistes se déplaçaient à peu près à la même vitesse qu’un monarque en vol, ont par exemple mis à contribution certains d’entre eux pour tester la précision des capteurs, embarqués lors de voyages à vélo de plusieurs jours. André Green, lui, a mené des expériences en laboratoire pour confirmer que ces dispositifs ne perturbaient pas le vol des papillons. Cette innovation est maintenant sur le point de connaître sa première application concrète.

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    La chenille du monarque se nourrit exclusivement d’asclépiades toxiques. Elle en consomme jusqu’à 200 fois son poids durant sa croissance. Cette toxicité, transmise aux papillons, constitue leur principale défense contre les prédateurs.

    PHOTOGRAPHIE DE Jaime Rojo

    Après avoir fixé les capteurs, le chercheur s’assoit dans un confortable fauteuil en cuir, d’où il contemple les papillons dans une cage en filet devant lui. « Cette année, nous serons ravis si nous captons le moindre signal au Mexique », explique-t-il. Pour collecter des données exploitables, il faudra peut-être tâtonner pendant plusieurs autres saisons. Mais le chercheur est un homme patient.

    Alors que la journée fraîchit, André Green sort avec la cage aux papillons et descend la colline jusqu’aux pacaniers, en contrebas du pavillon. Là, à côté d’un ruisseau, des centaines de monarques migrateurs tournoient dans la lumière tombante. L’universitaire sort un par un les papillons équipés de capteurs, et les dépose délicatement sur des branches basses, comme autant de bibelots en verre. Le lendemain matin, si tout va bien, les insectes poursuivront leur route vers le sud.

    Ce qui fascine tant le chercheur est une des épopées les plus incroyables et les plus dangereuses du monde. Si les monarques sont présents dans de nombreuses régions du globe, ceux d’Amérique du Nord se distinguent par leurs extraordinaires migrations saisonnières. Chaque automne, les monarques du nord des États-Unis et du sud du Canada s’envolent vers le Sud : ils sont la première équipe d’une course de relais de 5000 km, dont l’itinéraire n’est connu que des générations antérieures. Ceux qui survivent au voyage se réunissent au centre du Mexique, où ils hivernent dans les forêts de conifères qui ont aussi abrité leurs grands-parents et arrière-grands-parents l’année précédente.

    À El Rosario, dans le Michoacán, José Humberto García Miranda plante des sapins oyamels qui abriteront à terme des monarques migrateurs. Pour protéger les jeunes arbres des températures extrêmes, des plantes nurses pousseront à côté.

    PHOTOGRAPHIE DE Jaime Rojo

    Malgré des décennies de recherche, cet ultra-marathon annuel –et celui, plus court, des monarques de l’Ouest américain, le long du Pacifique – n’est que partiellement compris et se révèle de plus en plus périlleux. En raison du changement climatique et de la perte d’habitat, les monarques qui empruntent ces deux routes migratoires pâtissent de plus en plus de phénomènes météorologiques extrêmes et de la pénurie des sources de nectar. En parallèle, les espèces d’asclépiades dont ils ont besoin en période de reproduction pour pondre leurs œufs et pour nourrir les chenilles restent extrêmement rares, ce qui contribue également à la baisse globale des populations.

    L’avenir des monarques nord-américains est jugé tellement préoccupant que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a décidé de classer à la fois les populations de l’Est et l’Ouest dans la catégorie « vulnérable». Leur protection au titre de la loi fédérale sur les espèces en danger (Endangered Species Act) est actuellement à l’étude. Un nouveau statut dont les personnes qui ont assisté à leur déclin espèrent qu’il se traduira par une action internationale à long terme : c’est le cas de Karen Oberhauser, directrice à la retraite de l’arboretum de l’université du Wisconsin à Madison. Elle étudie les papillons monarques depuis les années 1990 et estime que, depuis 2014 – année de dépôt du premier dossier pour la protection du papillon au titre de la loi américaine –, l’espèce a reçu davantage de soutien des autorités publiques et des scientifiques. « L’investissement de l’État fédéral a tout simplement grimpé en flèche, ce qui s’est révélé essentiel », note-t-elle.

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