À Washington, une couvée de cigales s’apprête à sortir de terre

Les cigales « Brood X » commencent à émerger par millions en plein cœur de Washington, dans un parc où vit une faune abondante.

De Natasha Daly
Photographies de Rebecca Hale
Publication 5 juin 2021, 11:00 CEST
Une cigale « Brood X » photographiée sur une feuille dans le studio photo de National Geographic à Washington. Après ...

Une cigale « Brood X » photographiée sur une feuille dans le studio photo de National Geographic à Washington. Après avoir passé 17 ans sous terre, elle et ses milliards de congénères commencent à faire leur apparition dans 15 États de l’est des États-Unis. L’épicentre de leur apparition se trouve dans la capitale du pays.

PHOTOGRAPHIE DE Rebecca Hale

À Washington, les potamochères roux saccagent leur enclos.

Ils ont retourné la terre au pied des arbres et, lorsqu’ils ne dorment pas, parcourent en large et en travers leur enclos, le groin enfouit 5 cm sous terre.

Mike Maslanka, nutritionniste en chef du Zoo national de la Smithsonian Institution à Washington, a une théorie quant à leur comportement : les cochons africains cherchent des cigales.

C’est dans le parc Rock Creek, étendue sauvage verdoyante qui coupe Washington en deux, qu’est niché le zoo. Et sous ce dernier, ainsi que le parc et la ville, vit « Brood X » (couvée X en français), l’une des plus importantes populations de cigales périodiques au monde. Après avoir passé 17 ans sous terre, les insectes commencent à remonter à l’air libre, dans les enclos des potamochères roux, des guépards, des loutres de mer, des bisons d’Amérique et de centaines d’autres animaux.

À Washington, une cigale adulte grimpe sur un brin d’herbe pendant la nuit. Une fois sortis de terre, les insectes n’ont que deux choses en tête : se nourrir et se reproduire. Leur espérance de vie est de quatre à cinq semaines.

PHOTOGRAPHIE DE Rebecca Hale

La grande question pour Mike Maslanka et les soigneurs des 2 700 animaux, appartenant à plus de 390 espèces, est de savoir comment les habitants du zoo vont réagir au phénomène.

« Tous les animaux s’intéresseront sans doute à eux, explique le nutritionniste au sujet des cigales. Qu’ils en mangent un peu, beaucoup ou pas du tout », cela dépendra de leurs préférences personnelles, ajoute-t-il.

Il est peu probable que les fauves et les guépards en fassent leur casse-croûte. « En général, ils ne s’intéressent pas à des choses aussi petites », souligne Mike Maslanka. Les herbivores ne devraient pas non plus manger de cigales.

« S’il y en a qui vont profiter de cette manne, ce sont les loups à crinière », poursuit-il. Ces omnivores opportunistes modifient leur régime alimentaire tout au long de l’année et consomment des plantes, des insectes, mais aussi de petits mammifères ou des reptiles.

Nous poursuivons notre conversation par téléphone lorsque Mike Maslanka reçoit un e-mail d’un collègue : « Info de dernière minute ! », m’annonce le nutritionniste, qui a reçu une photo d’excréments de loup à crinière, sur laquelle sont visibles les carcasses broyées de cigales. « Les loups à crinière ont trouvé les cigales ».

 

UN PHÉNOMÈNE SPECTACULAIRE

Le zoo étant situé dans un parc, les visiteurs sauvages sont nombreux à y faire des apparitions. Parmi eux figurent notamment des cerfs, des écureuils, des tamias ou des oiseaux migrateurs. Un couple de corbeaux, le seul connu de la ville, rend occasionnellement visite aux corbeaux du zoo, Chogan et Iris, raconte Diana Vogel, soigneuse animalière de la section de l’« American Trail » (Sentier de l’Amérique).

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    La lumière douce d’une lampe éclaire une cigale dans le studio de National Geographic. Ces insectes se nourrissent de la sève des feuilles et, contrairement aux sauterelles, sont sans danger pour les arbres, les plantes et les cultures.

    PHOTOGRAPHIE DE Rebecca Hale

    Mais les cigales sont différentes, ne serait-ce que par leur nombre effarant. C’est sous forme de nymphes à la carapace marron que ces insectes sortent de terre par milliards à Washington, épicentre du phénomène. Une fois leur mue accomplie, les cigales au corps blanc et mou se transforment en insectes ailés et noirs aux yeux rouges, qui ne pensent qu’à deux choses : se nourrir et se reproduire.

    Elles s’envolent en direction des arbres, où elles se gavent de sève. Pour attirer les femelles, les mâles chantent à l’unisson en produisant des trilles enveloppants. Puis, les nymphes éclosent et tombent au sol, où elles se terrent et passeront 17 ans dans un état de repos végétatif. Le cycle complet dure environ six semaines.

    Mike Maslanka a commencé à travailler au zoo national il y a quinze ans, soit deux ans après la dernière apparition de cigales « Brood X », en 2004. « Des anciens nous ont raconté qu’ils ramassaient [les cigales] à la pelle sur Olmstead », raconte-t-il en faisant référence à Olmstead Walk, le sentier pédestre principal qui serpente à travers le zoo.

    Dans toute la ville, « il était impossible de marcher sans écraser les cigales sous nos pas. Les pelouses frémissaient. Je n’entendais que le chant des cigales et des parulines rayées », se souvient Dan Rauch, biologiste de la faune au département de l’Énergie et de l’Environnement de Washington.

    Cette carapace vide appartenant à une nymphe de cigale fait partie des milliers retrouvées dans les arbres de la ville. Peu après leur sortie de terre, les nymphes muent et émergent adultes de leur carapace.

    PHOTOGRAPHIE DE Rebecca Hale

    Il lui tarde de voir comment vont réagir les animaux sauvages, notamment les parulines rayées. Ces oiseaux traversent la ville au cours de leur migration printanière pour rejoindre leurs sites de nidifications estivaux au Canada, après avoir quitté l’Amérique du Sud.

    « Nous avons peu de données sur le phénomène, car il se produit tous les 17 ans, précise Dan Rauch. Je veux vraiment savoir quelles espèces se nourrissent de cigales. C'est une immense expérience scientifique ».

    L’apparition des cigales pourrait provoquer une explosion démographique chez les animaux indigènes, comme les geais bleus, les merles d’Amérique, les ratons laveurs et les opossums. Au printemps, lorsque la nourriture est rare, tous les jeunes ne survivent pas. Mais « là, il devrait y avoir de la nourriture qui rampe, marche ou vole juste devant eux », poursuit le biologiste. Quant à la capacité des jeunes animaux à perfectionner leurs techniques de chasse, elle ne sera pas affectée par la présence de cette nourriture facilement accessible. « C’est plutôt un bonus », confie Dan Rauch.

    C’est chez les animaux du zoo que la quantité de cigales ingurgitée inquiète.

    « S’ils en mangent quelques dizaines, ce n’est pas très grave. Mais en manger plusieurs centaines pourrait être problématique », explique Mike Maslanka.

    Bien que les cigales soient riches en protéines et en graisses, leur exosquelette, c’est-à-dire leur carapace et leurs ailes, est composé de chitine. Cette matière dure, semblable à la kératine, peut être difficile à digérer, en particulier si elle est ingérée en grande quantité.

    Les soigneurs du zoo surveillent de près le poids et le comportement de leurs résidents et adapteront leur alimentation s’ils se gavent de ces insectes. L’équipe de Mike Maslanka prévoit également d’analyser les nymphes de cigales afin d’avoir une idée de leur valeur nutritionnelle et énergétique.

    « En temps normal, et si nous avions des volontaires, nous les aurions sans doute postés devant certains enclos pour qu’ils puissent observer la consommation de cigales par les animaux », indique le nutritionniste. Mais, à cause de la pandémie, le zoo vient tout juste de rouvrir ses portes ; il était fermé aux visiteurs et aux volontaires depuis novembre.

    Une cigale se débarrasse de sa carapace marron et en sort sous l’apparence d’un adulte à l’exosquelette mou et couleur crème. Les cigales restent ainsi pendant quelques heures, avant que leur exosquelette ne durcisse.

    PHOTOGRAPHIE DE Rebecca Hale

     

    À LA CHASSE AUX CIGALES

    Je me suis rendue au zoo vendredi dernier, le matin de sa réouverture. J’ai senti les loups à crinière avant de les voir. Leur urine dégage une forte odeur, semblable à celle des moufettes, ce qui est bien pratique pour marquer son territoire à l’état sauvage. En m’avançant, j’ai aperçu l’un des carnivores d’Amérique du Sud, une sorte de renard roux dégingandé, en train de creuser frénétiquement dans les touffes d’herbe de son enclos. Bien que très territorial, ce loup ne semblait pas dérangé par ses visiteurs : il gobait ce qui ne pouvait être que des cigales.

    Un peu plus loin, les potamochères roux que Mike Maslanka avait vu saccager leur enclos dormaient paresseusement, plongés dans un lourd sommeil possiblement induit par les cigales.

    J’ai retrouvé la soigneuse Diana Vogal sur l’American Trail. Elle tenait un seau de cigales ramassées dans l’enclos des castors. En tant qu’herbivores, ces derniers ne s’en souciaient guère. Elle y avait ajouté quelques branches feuillues sur lesquelles venaient se percher les insectes. « Je suis soigneuse animalière, alors j’enrichis leur environnement », dit-elle en riant.

    Tandis que nous marchions, elle a jeté quelques cigales dans le bassin des érismatures rousses. Les canards se sont précipité sur les insectes avant de les engloutir. Nous avons poursuivi notre chemin jusqu’à la volière des corbeaux, où Chogan et Iris creusaient bien plus que d’ordinaire. Ils avaient sans doute trouvé des nymphes de cigales.

    Lorsque nous sommes arrivés à l’enclos des loutres de rivière, Emmet, le père, et Potomac, son fils, faisaient des sauts périlleux dans le bassin. La soigneuse a déposé quelques jouets à proximité, notamment une chaise longue en maille pour loutre, et y a laissé tomber quelques cigales. Les animaux se sont précipité sur les insectes et ont commencé à les frapper, les assommer. Ils ont ensuite pris place dans la chaise longue, jouant encore un peu avec les cigales avant de se désintéresser les insectes écrabouillés.

     

    PAS FACILE D’ÊTRE UNE CIGALE

    Après avoir passé 17 ans sous terre, à se nourrir en paix de la sève des racines d’arbre, la vie à l’air libre en ville peut paraître violente pour les cigales. Certaines clopinent, les ailes déchirées, les pattes broyées, une partie du corps parfois arrachée. D’autres sont mangées par les oiseaux, ou servent de jouets à des loutres. Leurs cadavres jonchent les trottoirs, comme des feuilles mortes.

    Cela n’a pas d’importance ; elles sont censées mourir en masse. Ce ne sont pas les cigales individuelles qui font la force de la couvée, mais leur nombre. Peu importe combien se font dévorer par les potamochères roux ou meurent sous les roues des voitures, un nombre suffisant de cigales « Brood X » survivront et parviendront à se reproduire, pondre des œufs et engendrer la prochaine génération. Si notre écosystème leur est encore favorable, nous ferons connaissance avec leur descendance en 2038.

    En tant que scientifiques, Dan Rauch et Mike Maslanka trouvent cet événement passionnant. « C’est super tant que tout le monde se conduit correctement », souffle le nutritionniste en faisant référence aux animaux du zoo.

    Les guépards, eux, ont gardé leur calme. Paressant sur une pente herbeuse, indifférents à ce qu’il se passait autour d’eux, ils semblaient ne pas voir les cigales intruses.

    Devant leur enclos, deux jeunes enfants tournaient le dos aux grands félins. Accroupis en plein milieu du chemin, ils regardaient une cigale, subjugués par l’insecte noir à leurs pieds.

    « Il y en a dans notre jardin, lance leur mère pour essayer de détourner leur attention de l’insecte. Regardez les guépards ! »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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