Pourquoi tant de haine ? Ces espèces sont laides, mais fascinantes

Que ce soit à cause de leur physique, de leurs habitudes étranges ou de leurs comportements repoussants, certains animaux nous rebutent. Ils sont pourtant indispensables à la planète. Et à l’humanité.

De A.J. Jacobs
Photographies de Joël Sartore
Publication 1 juil. 2025, 10:32 CEST
Présents sur tous les continents hormis l’Australie et l’Antarctique, les vautours, tel l’oricou, cohabitent avec l’homme depuis ...

Présents sur tous les continents hormis l’Australie et l’Antarctique, les vautours, tel l’oricou, cohabitent avec l’homme depuis des millénaires. Mais, comme ils se nourrissent de cadavres d’animaux, on les a accusés de transmettre des maladies. En réalité, en consommant de la chair en décomposition, ces rapaces empêchent la propagation d’agents pathogènes à l’origine, entre autres, de la peste bubonique et de la maladie du charbon. Ils évitent aussi l’émission par les charognes de dizaines de millions de tonnes de gaz à effet de serre chaque année.

PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore

Le vautour est sans nul doute l’une des créatures qui suscitent le plus d’aversion au monde. Son nom lui-même prend, au sens figuré, un tour péjoratif pour désigner un profiteur cupide. La mauvaise réputation de ces rapaces peut se comprendre : ils sont voûtés, chauves et ont des yeux globuleux. Sans compter qu’ils passent leur journée à manger des cadavres d’animaux en commençant par s’attaquer à leurs parties molles, telles que la bouche, le nez ou l’anus. « Les vautours ont un problème d’image, c’est certain », affirme Darcy Ogada, Exploratrice pour National Geographic et directrice du programme Afrique pour le Peregrine Fund, une association de protection de la nature. 

Or ce problème d’image a des conséquences bien réelles. Car nous négligeons leur comportement fascinant et leur rôle vital dans notre éco système. Véritables agents d’entretien de la nature, ils nous débarrassent des carcasses et empêchent la propagation des maladies. 

L’Inde est, à cet égard, un cas d’école. Depuis une trentaine d’années, ces rapaces ont quasi disparu après que des millions d’entre eux ont été empoisonnés accidentellement par un médicament administré aux vaches. Les campagnes se sont retrouvées jonchées de cadavres d’animaux qui contaminaient les cours d’eau et l’eau potable ; la population de chiens errants porteurs de la rage a aussi grimpé en flèche. Selon une récente étude parue dans The American Economic Review, le déclin des vautours est lié à une surmortalité de plus de 500 000 personnes au sein d’un échantillon démographique en Inde entre 2000 et 2005.

Dans un monde idéal, l’effondrement des populations de vautours constituerait une priorité en matière de conservation des espèces. Mais ce n’est pas le cas. À l’échelle planétaire, l’écrasante majorité des fonds pour la préservation de la nature est concentrée sur quelques espèces, en général de grands animaux comme les rhinocéros, les éléphants et les gorilles. « Les autres doivent se contenter des restes », confirme Darcy Ogada. Ceux qui se disputent les miettes forment ce que l’on pourrait appeler la faune de seconde zone. Les marginaux. J’entends par là les vautours, les rats-taupes nus, les nasiques. Ils ne sont pas beaux. Ils ne sont pas plein de belles couleurs. Et ils font souvent des choses dégoûtantes, comme manger des excréments – une habitude du rat-taupe nu.

Ils sont l’exact opposé des stars de la conservation : les lions, les pandas, les manchots et les girafes, qui sont mis en avant dans les documentaires animaliers, qui illustrent les boîtes de céréales et décrochent les rôles principaux dans les films d’animation. Dans le milieu, on les désigne sous les termes de mégafaune charismatique ou d’espèces porte-drapeau. Plusieurs études montrent qu’ils reçoivent une part disproportionnée des dons. « Le charisme de l’animal prime sur la menace d’extinction », indique ainsi l’une d’elles. À titre d’exemple, les amphibiens, qui représentent environ 25 % des espèces menacées de vertébrés, attirent seulement 2,5 % des financements. 

Mais comment devient-on un VIP du monde animal ?

Madagascar compte son lot de primates charismatiques, comme le maki catta. Mais le plus captivant d’entre eux ...

Madagascar compte son lot de primates charismatiques, comme le maki catta. Mais le plus captivant d’entre eux reste peut-être l’aye-aye, le plus gros primate nocturne de la planète. Cet animal hirsute, à l’image de ce petit âgé de seize jours, a des yeux perçants, une longue queue et un pelage rêche. Sa laideur lui vaut la réputation de porter malheur auprès de certaines personnes qui n’hésitent pas à l’éliminer, mettant ainsi en danger l’espèce. Des initiatives pour réhabiliter son image, lancées par des défenseurs de la nature et des agriculteurs, sensibilisent la population locale au fait que ces animaux sont d’efficaces prédateurs des larves de mineuses, qui ravagent les girofliers le long de la côte est de l’île.

PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore

Être mignon est particulièrement efficace, en raison du fonctionnement de notre cerveau : « Ce que nous trouvons mignon chez les animaux est souvent semblable à ce que nous trouvons mignon chez les bébés humains », explique Gabby Salazar, Exploratrice pour National Geographic et sociologue de l’environnement. Nous sommes génétiquement programmés pour aimer les tout-petits et en prendre soin, et les animaux qui ont cet air enfantin, comme le panda (choisi pour le logo de WWF), en récoltent les fruits. Les stars du monde animalier profitent aussi de ce que les psychologues appellent l’effet de halo : nous avons tendance à attribuer, à tort, des caractéristiques positives, telles que la bonté, aux individus et animaux jugés attrayants.

En réalité, que ce soit au sein de l’humanité ou de la faune, la beauté physique n’est pas synonyme de bienveillance ou de courage, pas plus que la laideur n’est synonyme de méchanceté ou de lâcheté. Prenez le toucan. « J’adore les toucans, mais ils ne se servent pas de leur bec que pour manger des fruits, rappelle Gabby Salazar. Ils l’utilisent aussi pour attraper des oisillons [dans les nids] d’autres oiseaux. »

Alors que faire pour braquer les projecteurs sur les outsiders du règne animal et leur donner accès aux budgets de préservation qu’ils méritent ? Pour Gabby Salazar, l’un des leviers essentiels consiste à mieux parler d’eux, en particulier de leur rôle bénéfique, comme celui des vautours dans l’élimination des déchets.

Cette stratégie est d’ailleurs multiséculaire. Dans une lettre ironique adressée à sa fille, l’inventeur et homme politique américain Benjamin Franklin s’interrogeait sur le choix du pygargue à tête blanche comme emblème des États-Unis. Il estimait que le dindon sauvage était un oiseau « respectable » et « courageux » qui défendait son territoire, tout comme les colons américains défendaient le leur. Il opposait ces traits à ceux du pygargue à tête blanche, à ses yeux « malhonnêtes », et accusé (à raison) de voler du poisson aux autres oiseaux.

Autre option possible : présenter les prétendus défauts de ces bêtes sous un nouveau jour. Par exemple, la tête chauve et déplaisante du vau tour lui permet en réalité de ne pas accumuler de microbes dans ses plumes lorsqu’il se nourrit de carcasses. La supposée fainéantise du paresseux ? Une adaptation géniale de l’évolution : sa lenteur est un moyen extrêmement efficace de vivre avec un régime alimentaire à base de feuilles qui lui fournit très peu d’énergie. Le rat taupe nu a quant à lui évolué pour survivre dix huit minutes sans oxygène.

Une autre tactique consiste à mettre à l’honneur les bizarre ries de ces animaux. Des recherches sur des espèces « moches mais attachantes » sont en cours, explique Gabby Salazar. « Ce sont des animaux si étranges ou si loin de ce qui est tenu comme adorable par les conventions qu’ils finissent par […] nous faire rire », détaille t-elle. Et de citer une étude sur les nasiques, montrant com ment des mèmes de ces primates du Sud-Est asiatique circulant sur Internet ont été corrélés à une hausse des dons pour les protéger. « Dans notre économie de l’attention, dit elle, nous pouvons tirer parti de la nouveauté et de l’humour. »

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    PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore

    Il est temps de mettre les parias sur le devant de la scène. Espérons qu’un jour des céréales auront pour mascotte un rat-taupe nu, que des équipes de football américain s’appelleront « Les Vautours » et qu’un blobfish sera le héros d’un film de Pixar. En attendant, les pages qui suivent offrent un coup de projecteur sur les particularités et les comportements aussi étranges que géniaux de ces créatures mal-aimées.

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