Des baleines à bosse ont été filmées au secours d'un phoque chassé par des orques

« Tout à coup, deux baleines à bosse ont surgi de nulle part en émettant comme un barrissement d’éléphant. Leur cri était si bruyant qu’il a résonné sur la coque du bateau. »

De Jason Bittel
Publication 12 sept. 2023, 17:06 CEST
Les orques B1, l’un des nombreux écotypes d’orques que l’on trouve dans le monde, chassent principalement les ...

Les orques B1, l’un des nombreux écotypes d’orques que l’on trouve dans le monde, chassent principalement les phoques.

PHOTOGRAPHIE DE National Geographic for Disney+, Bertie Gregory

En janvier 2022, au large de l’île d’Adélaïde, en Antarctique, la neige tombait si dru et dans un tel silence que quiconque se serait cru dans l’hyperespace.

« Le silence est bruyant, c’était vraiment effrayant », explique Bertie Gregory, explorateur National Geographic et animateur de la série Au plus près des animaux (Animal Up Close), qui sera diffusée à partir du 13 septembre sur Disney+.

Bertie Gregory a traversé le passage de Drake, qui sépare l’Amérique du Sud du continent le plus méridional, pour filmer une rare population d’orques appelées B1. Connue pour sa stratégie de chasse unique consistant à créer des vagues pour déséquilibrer les phoques s’étant réfugiés sur des blocs de glace, cette population d’orques de l’Antarctique génétiquement distinctes, ne doit compter qu’une centaine d’individus. 

Des baleines à bosse à la rescousse d’un phoque attaqué par des orques

C’est pourquoi Gregory et son équipe de cinéastes et de scientifiques ont pensé avoir touché le jackpot dès lors qu’ils ont commencé à suivre un petit groupe d’orques B1 en chasse dans la neige battante. L’équipe n’avait alors pas remarqué que les orques n’étaient pas seules dans ces eaux sombres. 

Le pod a commencé par cibler sa proie, un phoque de Weddell allongé au beau milieu d’un gros bloc de banquise.

« Elles ont plongé sous le bloc de glace, comme elles le font habituellement, mais comme nous n’avons pas vu de vague, nous nous sommes dit que leur opération avait dû échouer », raconte Gregory. « En fait, elles produisaient une onde de choc sous-marine. »

À l’aide d’un drone, l’équipe a observé les orques désintégrer par le bas la plate-forme de glace sur laquelle se tenait le phoque. L’opération a fonctionné, ce qui a contraint le phoque à se jeter à l’eau au milieu des orques qui ont alors passé plusieurs minutes à fatiguer leur proie.

« Tout à coup, deux baleines à bosse ont surgi de nulle part en émettant comme un barrissement d’éléphant. Leur cri était si bruyant qu’il a résonné sur la coque du bateau », explique Gregory.

Les scientifiques avaient déjà observé et filmé des baleines à bosse (qui se nourrissent de minuscules crustacés appelés krill) perturber à de nombreuses reprises les parties de chasse d’orques, mais très rarement d’orques B1. Comme ces prédateurs s’attaquent parfois aux baleineaux, les scientifiques pensent que les baleines à bosse font exprès d’interférer quand les orques chassent.  

Dans le cas présent, les baleines à bosse sont intervenues trop tard, mais considérant leurs cris et leur décision de nager directement vers le pod d’orques, Gregory pense que les deux baleines ont essayé de perturber leur chasse, voire de protéger le phoque.

Leigh Hickmott, biologiste spécialiste des baleines à l’université de St. Andrews, en Écosse, et collaborateur de Bertie Gregory dans le cadre d’un projet d’étude des orques de type B1, partage cet avis.

« Pour moi ce sont très clairement des signes d’altruisme », déclare Hickmott. 

 

QUELLES SONT LES MOTIVATIONS DES BALEINES À BOSSE ?

Les baleines à bosse possèdent de grandes nageoires pectorales et une queue qui leur permettent de frapper d’autres animaux pour se défendre ou défendre leurs baleineaux. Leurs nageoires pectorales sont également dotées à leur extrémité de tubercules qui peuvent finir incrustés de bernacles et agir comme une paire de poings américains aiguisés lors d’un combat de nageoires.

Les scientifiques ont documenté plusieurs cas dans le monde entier de baleines à bosse en train de gifler, heurter et râper des orques. De tels coups augmentent le risque d’infection et de blessure, ce qui explique pourquoi les orques se méfient des baleines à bosse. 

Pourtant, les baleines à bosse filmées en Antarctique ne sont pas allées au contact des orques, et se sont contentées de nager à la surface et de crier. Pourquoi ?

Ce pourrait être un cas de houspillage, explique Hickmott, soit le fait pour des animaux de harceler un prédateur pour le faire fuir. « Mieux vaut savoir où se trouve un prédateur et lui faire comprendre que vous savez où il est, pour qu’il ne puisse pas vous surprendre, vous ou votre famille », explique-t-il. « [Surtout que] les attaques surprises de prédateurs sont bien souvent couronnées de succès ». 

Reste que nager tête baissée vers un groupe d’orques comporte son lot de risques. Et le fait que des baleines à bosse s’attaquent à des orques B1, qui ne menacent pas un de leurs congénères mais un phoque, suggère, selon Hickmott, que les baleines essayaient de sauver le phoque ; ou du moins d’empêcher les orques de se mettre quelque chose sous la dent aussi facilement.

 

UN INVESTISSEMENT ÉMOTIONNEL ?

Biologiste en chef du California Killer Whale Project, Alisa Schulman-Janiger a déjà observé des baleines à bosse crier sur des orques, leur jeter de l’eau et les agresser physiquement lorsqu’elles tentaient d’avaler une proie fraîchement tuée.

Elle se souvient d’un incident survenu en 2012, au cours duquel des baleines à bosse ont parcouru plusieurs kilomètres pour harceler pendant sept heures des orques qui s’attaquaient au petit d’une baleine grise. 

« Elles avaient leur avis sur la situation. Elles n’étaient pas contentes », se souvient-elle. Sans oublier que les baleines ont presque entièrement ignoré le krill en surnombre dans les environs. 

« Vous n’allez pas vous priver de nourriture pendant sept heures pour crier après des orques, alors que l’un de vos propres baleineaux est dans les parages », ajoute Schulman-Janiger, qui n’a pas participé à l’expédition dans l’Antarctique. « On ne gaspille pas autant d’énergie à moins d’être très investi émotionnellement. »

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    En Antarctique, les scientifiques n’étaient pas au bout de leurs surprises. 

    Après avoir réussi à tuer le phoque, l’orque matriarche a pris l’animal mort dans sa bouche et a nagé en direction des baleines à bosse, comme pour leur exhiber son trophée, se souvient Gregory. « On aurait dit qu’elle les narguait », ajoute-t-il.

    Un tel comportement est difficile à interpréter, souligne Schulman-Janiger. La chercheuse raconte également avoir vu une orque mâle traîner une baleine grise fraîchement tuée jusqu’à la proue d’un bateau de recherche. 

    « Je n’arrivais pas à croire qu’il ait pu tirer la carcasse jusque là ; on aurait dit qu’il se pavanait », dit-elle.

     

    L’AVANTAGE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE… POUR LES PROIES

    Quelles que soient les véritables motivations des orques et des baleines à bosse, il ne fait aucun doute qu’il nous reste encore beaucoup à apprendre sur le comportement de ces cétacés. Il pourrait néanmoins être plus difficile d’étudier les orques B1 puisque leur effectif diminue.

    « Nos données sur 10 ans montrent que leur population décroit d’environ 5 % par an », explique Hickmott.

    « À mesure que la planète se réchauffe et que les glaciers reculent, de plus en plus de plages et d’îles se retrouvent exposées », ajoute-t-il. Selon la University Corporation for Atmospheric Research, la péninsule antarctique s’est réchauffée de près de 3 degrés Celsius depuis 1950.

    C’est un avantage pour les proies favorites des orques de l’Antarctique. « C'est plus simple de s’échouer sur les plages et les rivages que sur la banquise », explique Hickmott. « Les proies se trouvent alors hors de portée des orques et de leurs techniques de chasse. »

    Il se pourrait toutefois que les orques adoptent de nouvelles stratégies de chasse, et que les baleines à bosse trouvent, par conséquent, de nouvelles façons d’interférer dans leur quotidien.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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