Cette nouvelle jeunesse chinoise qui lutte contre le trafic d'animaux

En Chine, la nouvelle génération semble avoir pris conscience des enjeux liés à la protection animale et se détourne petit à petit des produits issus d’espèces protégées.

De Rachael Bale
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Pizza, plus connu sous le nom de « l'ours polaire le plus triste du monde », était confiné dans un enclos de centre commercial chinois. Il attirait des hordes de curieux, intéressés par les animaux mais n'ayant pas conscience de l'inhumanité de sa situation.
PHOTOGRAPHIE DE Barcroft Media, Getty

Le 3 août 2014, en fin de journée, un camion plein à craquer de plusieurs centaines de chiens entassés dans des cages miteuses parcourt l'autoroute entre Pékin et Harbin, en Chine. Il est à destination de Jilin, au nord-est du pays, l'un des principaux marchés de viande de chien de Chine.

Une militante de la lutte contre le massacre des chiens pour leur viande a repéré le camion et retransmet en direct sur les réseaux sociaux son emplacement. Très vite, une trentaine de personnes suit le véhicule le long de l'autoroute et la police locale arrête le conducteur.

Si manger de la viande de chien n'est pas contraire à la loi, il est illégal de transporter des animaux sans certificat sanitaire. Or, le conducteur n'a en sa possession des documents que pour 110 chiens sur 400 (dont on découvrira par la suite qu'ils étaient falsifiés, rapporte le New York Times).

N'étant pas disposé à relâcher les animaux, le conducteur commence à négocier avec les forces de l'ordre. D'autres bénévoles arrivent et entreprennent de leur distribuer de la nourriture, de l'eau et des médicaments. Au même moment, d'autres militants en route vers les lieux remarquent quatre autres camions transportant des chiens. Ils encerclent les poids-lourds et les bloqueront jusqu'à l'arrivée des autorités.

En définitive, plus de 2 400 chiens ont été sauvés ce jour-là. Des milliers de personnes sont venues des quatre coins du pays afin de leur trouver un refuge. Certaines familles ont même retrouvé leur chien de compagnie qui avait été enlevé. En l'espace de quelques jours, seuls 30 d'entre eux n'avaient pas trouvé de foyer.

Bien que la viande de chien ait longtemps été mangée en Chine, cette pratique est devenue la cible du mouvement en faveur de la protection animale.
PHOTOGRAPHIE DE Adam Dean, T​he New York Times, Redux

La Chine fait souvent l'actualité dans les journaux pour son rôle dans le commerce abusif et parfois illégal d'animaux et de leurs parties, de la viande de chien à l'os de tigre, en passant par la bile d'ours et les nageoires de requin. Le commerce de l'ivoire d'éléphant est l'un des plus importants : chaque année, près de 30 000 éléphants sont tués en Afrique afin de répondre à la demande d'ivoire dont la Chine est un des principaux acteurs. Dans le pays, les défenses d'éléphant sont sculptées en œuvres d'art aux motifs chargés, en bijoux et en babioles.

Toutefois, il est de plus en plus fréquent d'entendre parler d'histoires qui mettent en évidence une certaine compassion à l'égard des animaux, domestiques comme sauvages, à l'image de ce sauvetage de chiens. Si ce n'était ni la première ni la dernière fois que des chiens étaient soustraits à leurs ravisseurs sur le trajet de l'abattoir en Chine, cette opération était l'une des plus importantes. Les défenseurs de la cause animale et les organisations à but non lucratif œuvrent depuis des années afin de faire cesser le massacre.

« C'est juste incroyable », déclare Peter Li, professeur à l'université de Houston-Downtown et spécialiste des politiques chinoises chez Humane Society International. « On n'entend pas parler de ça en Corée », alors même que la viande de chien y est sans doute plus populaire.

 

UN MOUVEMENT PUISSANT EN FAVEUR DE LA PROTECTION ANIMALE

La Chine est fréquemment perçue comme le grand méchant en matière de protection animale. En réalité, le pays voit naître un mouvement puissant en sa faveur, qui croît à une vitesse folle et qui concerne autant le bien-être animal que les mesures contre le braconnage et le trafic d'espèces sauvages.

En 1992, seule une organisation agréée dédiée à la protection animale avait participé à la conférence annuelle organisée par Humane Society et Animals Asia, selon Peter Li. En 2006, une poignée d'autres organisations l'a rejointe. Toujours selon lui, au moins 200 organisations agréées militent désormais pour le bien-être animal et la protection des espèces sauvages ; sans compter les centaines de refuges qui ont fleuri et les nombreuses missions de sauvetage qui ont fréquemment lieu.

Mary Peng est la créatrice de l'un de ces organismes, le Centre international des services vétérinaires, premier établissement de ce type en Chine à respecter les normes internationales. Elle a fondé cet hôpital suite aux problèmes de santé de son chat Boo Boo en 2002, lesquels l'ont amenée à se rendre compte que l'université agricole de Chine était pratiquement l'unique clinique vétérinaire de Pékin.

« Nous avions désespérément besoin d'aide », explique-t-elle. « En tant que propriétaire d'un animal de compagnie, nous n'avions aucun autre choix avant l'ouverture du centre ». Selon elle, Pékin compte désormais près de 400 cliniques vétérinaires. Ce n'est toujours pas suffisant pour une région qui compte 22 millions d'habitants, reconnaît-elle, mais c'est certainement mieux que rien.

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    Un pêcheur fait sécher des ailerons de requin. En Chine, la lutte contre la corruption a conduit à l'interdiction de la soupe d'aileron de requin et d'autres mets préparés à base d'espèces sauvages, servis lors de cérémonies officielles.
    PHOTOGRAPHIE DE The Yomiuri Shimbun, Ap

    Selon Peter Li et d'autres militants, ces changements sont impulsés par les nouvelles générations chinoises des métropoles côtières. « En raison d'un niveau de vie plus élevé qu'avant, la population n'est plus obsédée par le fait d'avoir de quoi manger chaque jour », explique Peter Li. À cela s'ajoute une plus grande exposition aux médias du monde entier qui attire leur attention sur de nouvelles questions, comme celle de la protection animale.

    Autre facteur essentiel ? Une nouvelle définition de la richesse. L'ancienne génération est obsédée par l'ivoire, qu'elle voit comme le symbole ultime de réussite, déclare le spécialiste. Le mot chinois pour ivoire est xiangya, ce qui signifie littéralement « dent d'éléphant », et a conduit de nombreuses personnes à croire, à tort, que l'ivoire pouvait être prélevée d'un éléphant sans lui causer le moindre mal. D'après un sondage réalisé en Chine par l'organisation à but non lucratif International Fund for Animal Welfare en 2007, 70% des personnes interrogées n'avaient pas conscience qu'un éléphant devait être tué afin de s'emparer de son ivoire.

    Davantage de jeunes Chinois ont conscience de la réalité qui se cache derrière ce commerce, ce qui rend l'ivoire moins attractif à leurs yeux.

    « En Chine, certaines personnes sont persuadées que leur richesse se traduit par ce qu'elles possèdent, ce qu'elles portent », déclare Peter Li. « Or, une tendance grandissante chez la jeune génération consiste à ne pas définir la richesse par les biens matériels. »

    Autre signe des temps qui changent : la Chine est sur le point de mettre un terme à son marché intérieur d'ivoire, considéré comme le plus grand marché au monde et comme l'un des principaux responsables du braconnage des éléphants d'Afrique.

    « Ce sont des nouvelles réjouissantes », s'enthousiasme Toby Zhang de la fondation pékinoise AITI, dédiée à la protection animale. Cependant, il soutient que cette décision d'interdire le commerce d'ivoire tient plus de la manœuvre politique que d'une volonté de contrer le braconnage des éléphants.

    La sculpture d'ivoire relève d'une longue tradition en Chine, alors même que le pays s'apprête à mettre un terme au commerce national d'ivoire d'ici fin 2017.
    PHOTOGRAPHIE DE Brent Stirton, Getty, National Geographic Creative

    De même, la répression de la corruption a également contribué à des changements. Les ventes d'ailerons de requin, par exemple, ont chuté de 70% au cours des dernières années. La soupe d'ailerons de requin est un produit de luxe généralement servi lors de banquets afin de s'attirer les bonnes grâces des responsables du gouvernement.

    Cette pratique a diminué dans le cadre de la campagne de lutte anticorruption du président Xi Jinping. Jusqu'à 100 millions de requins sont abattus chaque année, parmi lesquels des espèces menacées ou en voie d'extinction, essentiellement afin de répondre à la demande d'ailerons de requin de la Chine. Des mesures qui ont également mis à mal la soupe aux nids d'hirondelle, à base de mucus de martinet, ainsi que d'autres mets dont la préparation implique des espèces sauvages.

     

    SENSIBILISER LES « PETITS EMPEREURS ET IMPÉRATRICES »

    Selon Peter Li et Mary Peng, la manière dont les animaux seront traités et protégés demain est entre les mains de la nouvelle génération. Prenez la médecine traditionnelle, par exemple : nombreux sont les Chinois d'un certain âge à avoir recours à des traitements à base de parties d'animaux sauvages en vue de soigner les maladies, de l'arthrite à la fièvre en passant par les ulcères. Mary Peng se souvient qu'au moment de son déménagement en Chine, son père lui avait demandé de lui rapporter du vin d'os de tigre, un élixir qui donnerait de la force.

    « Nous commençons désormais à réaliser, grâce à une médecine qui repose sur des données fiables, que ces produits (la bile d'ours, l'os de tigre, les copeaux d'ivoire, les écailles de pangolin) n'ont aucune vertu médicinale véritable. D'autres produits dotés des mêmes propriétés existent déjà », affirme Mary Peng. « La plupart de ces mythes sont ancrés dans des cultures traditionnelles anciennes et un changement de génération sera nécessaire pour se débarrasser de ces croyances. »

    Une mère et sa fille posent lors d'un festival végétalien, où deux hommes déguisés en requins font la promotion d'une soupe d'ailerons de requin végétalienne.
    PHOTOGRAPHIE DE Alex Hofford, Epa, Redux

    À l'école, les enfants en apprennent de plus en plus sur le bien-être animal, les espèces sauvages et leur sauvegarde. D'après Mary Peng, la politique chinoise de l'enfant unique a amené beaucoup de parents à s'en remettre souvent à leur enfant. Ces derniers sont parfois surnommés « petits empereurs » et « petites impératrices » à cause de l'influence qu'ils sont capables d'exercer sur leurs parents.

    « S'ils occupent la position de l'enfant-roi, ils ont un pouvoir considérable au sein de leur famille. Par exemple, si leurs grands-parents proposent de faire de la soupe d'ailerons de requin pour le repas du nouvel an chinois, et que l'enfant explique que les requins sont menacés et qu'on ne devrait pas manger leurs ailerons, vous pouvez être certains que toute la famille se pliera à sa décision », explique Mary Peng. « C'est ainsi que les choses fonctionnent ici : l'enfant est au centre de tout, il a une influence énorme. »

    Lorsque la population a été informée de la manière dont les éléphants étaient assassinés par les braconniers qui les amputent de leurs défenses, elle est devenue « douloureusement consciente » du rôle que joue le commerce de l'ivoire dans la disparition des éléphants et a modifié son attitude à l'égard de l'ivoire.

     

    PLUS DE CHIENS ET PLUS D'AMOUR POUR TOUS LES ANIMAUX

    L'augmentation du nombre d'animaux domestiques dans les villes chinoises apparaît également comme un facteur de changement. Jusqu'à récemment, les chiens de compagnie étaient quasiment inexistants en Chine. Selon Mary Peng, au cours de la révolution culturelle qui a eu lieu de 1966 à 1976, les animaux qui n'avaient aucune utilité précise n'étaient pas les bienvenus car ils s'emparaient de précieuses ressources alimentaires.

    La réaction violente contre la bourgeoisie lors de la révolution y a également contribué : rien n'était plus bourgeois qu'un « jouet incarné par un petit chien de compagnie », ajoute-t-elle.

    Après 1976, suite à la révolution chinoise, l'image des chiens n'a fait qu'empirer. De 1980 à 1990, une épidémie de rage a fait près de 50 000 morts en Chine, presque tous contaminés par des chiens. Aucun vaccin n'existait, pour les chiens comme pour les personnes, et les hôpitaux fonctionnaient à peine. Pékin a alors interdit les chiens de compagnie.

    Ce n'est qu'en 1993, après la levée de l'interdiction, que le blason des chiens a lentement commencé à se redorer. Mary Peng se souvient s'être parfois levée tôt afin de voir passer les premiers chiens de compagnie de Pékin, qui n'étaient alors autorisés à se promener dans les rues qu'avant 7 h et après 19 h.

    Les visiteurs d'un spectacle d'animaux domestiques transportent des caniches dans une poussette. La popularité grandissante des chiens de compagnie, vus autrefois comme porteurs de la rage, a favorisé la prise de conscience des Chinois à l'égard des enjeux liés à la protection des animaux.
    PHOTOGRAPHIE DE Jerome Favre, Epa, Redux

    « Quand j'ai vu les premiers pékinois arpenter les rues : j'avais l'impression de voir un dinosaure ! », explique-t-elle. Le changement a pris peu de temps à se faire. Il y a désormais des hôtels cinq étoiles qui acceptent les animaux de compagnie à Pékin, une gamelle d'eau est offerte aux chiens dans les restaurants et d'immenses communautés virtuelles de propriétaires se réunissent pour se présenter leur animal de compagnie ou effectuer une promenade le long de la Grande Muraille.

    Si ce changement radical explique la perte de popularité de la viande de chien, il est aussi l'une des raisons pour lesquelles les espèces sauvages sont perçues différemment.

    « Il s'agit de la première ligne d'introduction des animaux », affirme Mary Peng.

    « Plus de propriétaires d'animaux domestiques impliquent une augmentation du nombre de voix en faveur de la protection animale », déclare Toby Zhang. Une expérience positive avec un animal est susceptible de rendre les personnes plus sensibles à l'égard des animaux, domestiques comme sauvages. « Toutefois, le fait d'aimer les animaux n'induit pas nécessairement de bonnes attitudes à leur égard. Il arrive parfois que les amis des bêtes soient trop extrêmes dans leur démonstration d'affection, au détriment des animaux. »

    Les exemples ne sont pas difficiles à trouver. Pizza, l'ours polaire qui a vécu enfermé dans un enclos étroit à l'intérieur d'un centre commercial de Guangzhou, a quotidiennement diverti les clients pendant de nombreuses années. Cela peut également expliquer l'ouverture chaque année de parcs marins ainsi que la création d'un nouveau centre d'élevage d'orques en Chine, au moment où de nombreux pays ferment les portes de ce type d'établissements.

    « De nombreux Chinois apprécient encore aujourd'hui observer des animaux en captivité », a déclaré Taison Chang, président de la Dolphin Conservation Society à Hong Kong, à National Geographic en mars dernier.

    « Ils sont d'un naturel curieux et désirent en savoir plus sur les animaux », explique Mary Peng. « Il est de notre devoir de trouver un équilibre pour que les animaux placés en captivité à des fins de recherches et d'éducation aient suffisamment d'espace et une alimentation adaptée. »  

    Toby Zhang n'est pas aussi optimiste que Mary Peng quant à l'ampleur du changement en Chine, mais reconnaît une certaine évolution des mentalités.

    « Il y a quelques semaines, lorsque je suis allé visiter la Cité interdite, une paire d'immenses défenses d'ivoire y était exposée. Un jeune couple les regardait aussi et j'ai entendu la fille se désoler d'une telle cruauté. J'ai alors eu une lueur d'espoir. »

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