Comment tuer des animaux sauvages est devenu un jeu aux États-Unis

Des organisations de défense des animaux luttent pour interdire les compétitions d'abattage pour l’argent et le divertissement, qui tuent plus de 60 000 animaux sauvages par an aux États-Unis.

De Rene Ebersole
Publication 29 avr. 2022, 15:11 CEST
Aux États-Unis, les compétitions de chasse visant à tuer des animaux sauvages tels que les coyotes ...

Aux États-Unis, les compétitions de chasse visant à tuer des animaux sauvages tels que les coyotes (ci-dessus), les lynx roux, les ratons laveurs, les mouffettes et les renards pour de l’argent et des prix sont de plus en plus controversées. Huit États les ont interdites, et une loi récemment présentée au Congrès vise à les interdire sur les terres publiques.

PHOTOGRAPHIE DE Karine Aigner

Au lever du jour, caché dans une cabane camouflée dans les bois, Timothy Kautz dirige son fusil vers une carcasse de cerf déposée en guise d’appât dans une vallée enneigée bordée de marécages et de forêts. En jetant un coup d’œil à son téléphone portable, il revoit une vidéo prise récemment par une caméra à distance montrant un canidé brun grisâtre aux oreilles pointues, au museau long et étroit, et à la queue touffue en train de s’emparer d’un morceau de gibier.

Pour l’instant, en ce matin de février, le coyote ne s’est toujours pas montré.

« Peut-être qu’il a vu trop de ses amis se faire abattre ici », dit Kautz, en se réchauffant les mains près d’un chauffage d’appoint au gaz, tandis qu’il voit des flocons de neige tourbillonner dehors, à travers la fenêtre. « Il n’était probablement pas loin quand j’ai eu un de ses copains. »

Chaque année, en février, ceux qui participent à la compétition de chasse de trois jours organisée dans le comté de Sullivan, dans les montagnes Catskill de l’État de New York, s’affrontent pour tuer le plus grand nombre et le plus gros coyote de l’État et de plusieurs comtés de Pennsylvanie et du New Jersey. Une partie des recettes provenant des frais d’inscription à la chasse finance des programmes en plein air d’éducation et de préservation.

PHOTOGRAPHIE DE Karine Aigner

M. Kautz, 42 ans, shérif adjoint dans le comté de Sullivan, dans les montagnes Catskill de l’État de New York, participe à un tournoi annuel qui se déroule sur trois jours et au cours duquel près de 400 chasseurs sont en lice pour tuer le plus gros coyote possible, et ainsi remporter un grand prix de 2 000 dollars (soit environ 1 900 euros).

Selon l’organisation Humane Society of the United States, les États-Unis sont le seul pays au monde dans lequel les animaux sauvages sont tués par dizaines de milliers dans l’unique but de gagner des prix et de se divertir. Elle estime qu’avant la pandémie de coronavirus, plus de 400 concours étaient organisés par an, ce qui représentait environ 60 000 animaux tués chaque année. À lui seul, le Texas organise au moins soixante concours par an. De nombreuses compétitions proposent un large éventail d’animaux sauvages à abattre : ratons laveurs, écureuils, lapins, marmottes, renards, lynx roux, raies et corbeaux. Le coyote, qui est largement considéré comme un animal nuisible dans tout le pays, est la cible la plus populaire. En effet, certains États organisent des compétitions afin de réduire les populations de certaines espèces sauvages envahissantes, telles que le python birman en Floride, le cochon féral au Texas et les ragondins en Louisiane.

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    Un participant a placé une carcasse de cerf sur une piste pour véhicules tout-terrain enneigée, à environ 140 mètres d’un affût de chasse, afin d’attirer les coyotes nécrophages. D’autres chasseurs utilisent des lunettes de tir à vision nocturne spéciales, des dispositifs d’appel électroniques et des chiens de chasse.

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    Ces compétitions sont de plus en plus controversées, considérées comme un sport cruel. À l’heure actuelle, huit États les ont interdites sous la pression des groupes de protection de la nature et des animaux : l’Arizona, la Californie, le Colorado, le Maryland, le Massachusetts, le Nouveau-Mexique, le Vermont et Washington. Les appels en faveur d’une interdiction au niveau national se sont multipliés après qu’une enquête menée sous couverture en 2020 par la Humane Society a révélé l’émergence de tournois d’abattage organisés par des groupes Facebook privés, ce qui a soulevé des questions concernant une éventuelle violation par ces concours en ligne de certaines lois des États sur la faune et les jeux d’argent. Début avril, Stephen Cohen, un démocrate du Tennessee membre du Congrès, et quinze co-sponsors ont présenté un projet de loi visant à interdire ces compétitions sur toutes les terres publiques.

    Les années précédentes, les coyotes gagnants du concours des Catskills, organisé conjointement par la Fédération des clubs de sportifs du comté de Sullivan et par le service des pompiers volontaires de White Sulphur Springs, pesaient plus de 20 kilogrammes. L’un des deux premiers coyotes abattus par Kautz cette année en pesait 22. « C’est un gros morceau », dit-il, bien que les concours précédents lui aient appris à modérer son enthousiasme. « Je me fais toujours battre à quelques grammes près. J’espère que je ne serai pas battu cette année. »

    Si Kautz ne gagne pas le grand prix, il pourrait remporter 500 dollars (soit environ 475 euros) pour la deuxième place, ou 250 dollars (235 euros) pour la troisième. Pour être admissibles au concours et participer, les chasseurs doivent payer 35 dollars (un peu plus de 30 euros), ce qui couvre les frais du banquet du dimanche, et un billet de tombola à 5 dollars (un peu moins de 5 euros). En plus de payer les prix, les recettes de la compétition servent à financer des programmes de plein air pour les familles et la préservation de l’environnement. Outre les prix les plus importants, les chasseurs se disputent également le prix de la plus grosse prise de la journée (200 dollars, soit 190 euros), et des prix distincts (100 dollars chacun, soit 95 euros) peuvent être attribués aux femmes et aux enfants. Pour chaque coyote qualifié, les chasseurs reçoivent 80 dollars (75 euros). Les récompenses et les prix de la tombola sont distribués lors du banquet. Ces derniers comprennent des armes à feu, des munitions et des dispositifs d’appel avancés qui attirent les animaux vers les fusils des chasseurs. Kautz sait déjà ce qu’il fera avec l’argent du prix s’il gagne.

    Timothy Kautz, shérif adjoint dans le comté de Sullivan, reste assis pendant des heures dans un affût de chasse chauffé, attendant qu’un coyote s’approche de son appât. Kautz participe régulièrement à cette chasse depuis sa création il y a 14 ans.

    PHOTOGRAPHIE DE Karine Aigner

    Le règlement de la compétition des Catskills stipule que les coyotes doivent être tués dans la zone désignée qui comprend l’État de New York, cinq comtés de Pennsylvanie et un comté du New Jersey. Pour confirmer que les animaux ont bien été fraîchement tués, leur température corporelle doit être comprise entre 20 et 38 degrés. Les participants sont tenus de respecter les lois de leur État sur la chasse, qui autorisent pour la plupart les chasseurs à utiliser des appâts, des fusils à haut calibre, des télescopes thermiques à vision nocturne, des dispositifs d’appel électroniques et des chiens de chasse.

    À l’échelle de l’histoire des États-Unis, les coyotes sont arrivés plutôt récemment à l’est du pays. Au début du 19e siècle, les explorateurs Meriwether Lewis et William Clark n’ont rencontré des coyotes qu’à l’ouest du Mississippi, où ils ont décrit un « loup de prairie » de la taille d’un renard gris, avec une queue touffue et une tête et des oreilles semblables à celles d’un loup. Depuis, les coyotes se sont progressivement déplacés vers l’est pour remplir le vide laissé par les loups et pumas, qui sont en voie de disparition. Aujourd’hui, les coyotes de l’Est, plus grands que leurs ancêtres de l’Ouest car ils se sont croisés avec des loups et des chiens domestiques, ont moins peur des humains. Ils prospèrent même dans certaines des plus grandes villes et banlieues du pays, dont New York et Chicago.

    Il est possible que les compétitions de coyotes aient commencé avec l’idée que leur extermination allait aider les agriculteurs et les éleveurs, mais les défenseurs de la faune sauvage affirment qu’il existe des moyens bien moins cruels de protéger le bétail. De plus, selon eux, l’utilisation d’équipements de chasse avancés, notamment la vision nocturne et les armes à feu à haut calibre, a transformé ces événements d’abattage en massacres gratuits.

    « Les compétitions d’abattage d’animaux sauvages ne servent aucun objectif légitime », déclare Kitty Block, présidente et directrice générale de la Humane Society of the United States. « Les coyotes, les renards et les lynx roux, qui sont des animaux essentiels à la bonne santé de notre écosystème, ont longtemps été persécutés en raison d’idées préconçues qui servent d’excuse pour les tuer à des fins de divertissement et de vantardise. Cela ne peut être autorisé dans une société civilisée dans laquelle nos animaux sauvages jouent un rôle essentiel pour l’environnement. »

     

    UNE ACTIVITÉ DE POIDS

    En raison d’une tempête de glace suivie d’une journée entière de pluie, le lancement de la chasse de cette année se fait plus doucement dans le comté de Sullivan par rapport à l’édition précédente, en février 2020, au cours de laquelle les participants ont tué un nombre record de 118 coyotes. L’événement débute officiellement le vendredi à minuit, et dès le samedi midi, le rythme s’accélère. Des chasseurs en camionnettes arrivent avec des carcasses de coyotes enveloppées dans du plastique et fourrées dans des glacières isolées pour éviter qu’elles ne gèlent sous les températures négatives à l’extérieur. Une file de coyotes morts, langues traînantes, fourrure tachée de sang, est étalée sur le sol au poste de pesée situé derrière la caserne de pompiers, où l’odeur putride flotte sur le parking.

    John Van Etten, le président de la fédération sportive, vêtu d’une casquette de baseball de camouflage, d’une salopette, d’une chemise en flanelle et de bottes en caoutchouc, s’occupe de la pesée. Il pique les coyotes dans l’intestin avec un thermomètre à viande afin d’enregistrer leur température, puis attache des chaînes aux pattes des animaux et les accroche sur une balance. Lorsqu’ils sont suspendus, tournoyant dans le vide, leur sang coule sur la neige. Une fois le poids enregistré, Van Etten coupe l’ongle d’une patte arrière de l’animal pour s’assurer que personne ne puisse inscrire deux fois le même coyote. « Ce que les gens sont prêts à faire quand de l’argent est en jeu… », s’attriste-t-il. 

    Lorsque les concurrents apportent leurs coyotes au quartier général de la compétition, la caserne de pompiers de Sulphur Springs, les animaux sont suspendus et pesés sur une balance numérique. Le règlement stipule que la température de leur corps doit se situer entre entre 20 et 38 degrés afin de confirmer qu’ils ont bien été fraîchement tués.

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    Bill Miller, 61 ans, vêtu d’une combinaison de camouflage, décharge trois coyotes de son véhicule. Il participe à la compétition depuis au moins dix ans avec son fils, Kyle, 26 ans. « C’est l’une des chasses les plus excitantes qui soient », déclare-t-il, ajoutant qu’il est heureux que le fait de tuer des coyotes empêche Kyle de faire des bêtises. « Ces jeunes ne sont pas en train de boire, de se droguer ou d’avoir des ennuis », dit-il. « Ils sont à la chasse. »

    « C’est aussi une bonne dose d’adrénaline », ajoute Kyle.

    De nombreux chasseurs présents à la pesée confient aimer le défi que représente l’abattage d’animaux aussi rusés. « Ces bêtes sont intelligentes », ajoute Kautz. « Si vous dupez l’un d’entre eux, alors vous dupez l’un des meilleurs ». Sa technique pour attirer les coyotes consiste à les appâter dans son affût de chasse pendant environ un mois avant la compétition.

    Jeremy Harvey, 45 ans, est déçu que le coyote qu’il a ramené de Burlington Flats, à deux heures de route, pèse près de 3 kilogrammes de moins que celui de Kautz. Harvey préfère chasser avec des chiens de chasse. Il sort aux premières lueurs du jour pour repérer une piste de coyote, puis il lâche ses chiens, Jett et Ace, qui portent des colliers GPS spéciaux lui permettant de les suivre à l’aide d’un dispositif portable. « C’est tellement amusant », dit-il. « J’avais l’habitude de chasser le lapin, mais je n’ai jamais pu convaincre qui que ce soit de nous accompagner. On dirait que tout le monde veut chasser le coyote tout le temps. On peut avoir de la camaraderie, plus de gars. On s’éclate. On joue aux cartes, on boit des bières, on s’amuse beaucoup. »

    Brittney Engle, 36 ans, dépose une femelle coyote au poste de pesée : 17 kilogrammes, d’après la balance suspendue. Engle confie qu’elle adore chasser le coyote. Elle a récemment acheté des lunettes à vision nocturne afin de faciliter le tir dans l’obscurité. Étant la seule femme à participer à la compétition ce jour-là, elle recevra 100 dollars en plus des 80 dollars habituels pour un coyote qualifié. « Pas mal pour une nuit de travail », se réjouit-elle. « Pas mal du tout ».

     

    « CE N’EST PAS DE LA CHASSE »

    La première compétition d’abattage d’animaux sauvages documentée aux États-Unis aurait été organisée par un groupe de ranchers à Chandler, en Arizona, en 1957. La compétition la plus lucrative actuellement est la West Texas Big Bobcat, organisée trois fois par an, en janvier, février et mars. En janvier dernier, une équipe de trois participants a remporté le premier prix : 43 720 dollars (soit près de 42 000 euros) pour un lynx roux de 14,7 kilogrammes. Pour que le félin soit considéré comme admissible, l’équipe devait également tuer cinq renards ou coyotes. Plus de 1 700 équipes ont participé à l’ensemble des 2 022 compétitions qui ont eu lieu, ce qui représente un gain total de près de 400 000 dollars (380 000 euros).

    Michelle Lute est une scientifique spécialisée dans la question de la conservation au sein de l’organisation à but non lucratif Project Coyote qui, en partenariat avec la Humane Society, a mis en place une coalition nationale de plus de cinquante organisations luttant pour l’interdiction des compétitions de chasse à la faune sauvage. Selon Lute, celles-ci encouragent un massacre gratuit. « Un principe moral de base, c’est qu’il est mal de prendre une vie sans justification appropriée, et aucune raison valable ne justifie cette situation. Notre groupe n’est pas contre la chasse, mais nous sommes contre la chasse aux carnivores parce qu’elle est éthiquement indéfendable et scientifiquement injustifiée. »

    Les prix de la compétition comprennent des fusils, des munitions, des dispositifs électroniques d’appel pour attirer les prédateurs, un chapeau en fourrure de coyote et de l’alcool. Cette année, chacun des 400 participants a payé 35 dollars (un peu plus de 30 euros) pour s’inscrire au concours et a reçu un ticket de tombola de 5 dollars (un peu moins de 5 euros) pour avoir une chance de gagner un prix, dont le gagnant sera annoncé le dimanche lors du banquet de remise des prix.

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    Tous les chasseurs n’approuvent pas non plus ce système. « Ce n’est pas de la chasse », déclare Robert Brown, membre du comité d’éthique du Boone and Crockett Club, une organisation à but non lucratif créée en 1887 par Theodore Roosevelt et d’autres chasseurs pour la protection des ressources fauniques. « Ce n’est que du tir. » De plus, selon lui, les techniques couramment utilisées dans les concours sont « contraires à l’éthique. Elles donnent au chasseur un avantage injuste. »

    En février 2020, un enquêteur de la Humane Society sous couverture a assisté à la chasse au coyote du comté de Sullivan et a déclaré avoir trouvé des coyotes morts dans la benne à ordures de la caserne, dont une grande femelle qui attendait des petits.

    À la suite de ces enquêtes et de la sortie en 2021 de Wildlife Killing Contests, un documentaire produit par l’explorateur National Geographic Filipe DeAndrade à ce sujet, les participants sont devenus extrêmement méfiants à l’égard des militants sous couverture qui se cachent dans la foule. Certains des chasseurs que je rencontre se demandent si je suis une « vraie » journaliste qui écrit réellement pour National Geographic. Dans la caserne de pompiers, un homme m’a dit de but en blanc que je travaillais probablement sous couverture pour l’association de défense animale PETA (People for the Ethical Treatment of Animals).

    Carl Lindsley, administrateur de la Fédération des chasseurs, a été méfiant au premier abord mais a accepté de m’accueillir dans la compétition parce qu’il a jugé que je souhaitais sincèrement connaître le point de vue des chasseurs. Il se souvient de l’activiste qui a infiltré l’événement en 2020. « Certaines personnes sont contrariées par l’idée de tuer des coyotes », dit-il, assis sur une chaise pliante dans la caserne. Mais ce que cet activiste ne savait pas, c’est que la plupart des coyotes dans la benne à ordures étaient récupérés par un fabricant de fourrure local qui les écorche et vend leurs manteaux (pour environ 25 dollars pièce, soit environ 24 euros), mais aussi leurs crânes à des acheteurs en ligne, ajoute-t-il.

    De plus, il explique que la compétition permet de collecter des fonds importants pour des programmes de plein air destinés à des enfants et à leurs familles, et pour la restauration des habitats. « Si tout ce que nous faisions était de nous asseoir et de nous vanter du nombre de coyotes que nous avons obtenus et de notre tas d’argent, ce concours n’aurait pas de raison d’être », déclare Lindsley, qui a pris sa retraite en 2016 après avoir travaillé dans la gestion de la faune sauvage pendant 48 ans au Département de la conservation de l’environnement de l’État de New York. « En fait, si nous n’attrapons pas de coyotes, j’en suis ravi : nous pouvons garder plus d’argent pour nos programmes. » Selon lui, ce serait bien si les gens achetaient des tickets uniquement pour manger au banquet, mais il reconnaît que la plupart viennent pour le jeu et les prix.

    La plupart des compétitions d’abattage d’animaux sauvages ne sont pas des collectes de fonds. Ils ont pour seul but le sport. Les chasseurs défendent ces compétitions, en ligne ou en personne, en faisant valoir que les participants n’enfreignent aucune loi : il est tout à fait légal de tuer de nombreuses espèces prédatrices, notamment des renards, des lynx roux et des coyotes, souvent sans limite. Et, selon eux, s’il est légal de les tuer, quel mal y a-t-il à organiser une compétition de chasse ? Un coyote « va finir sous terre de toute façon », écrit un chasseur sur Facebook.

     

    L’ARGUMENT DE L’ÉCOLOGIE

    « Les "antis" ne comprennent pas que, en réalité, nous aidons la nature », déclare Kautz. Les coyotes sont très nombreux, et ils mangent de tout : fauves, dindes, lapins, écureuils, ce qui déséquilibre les écosystèmes, ajoute le shérif adjoint. Ils s’attaquent également aux animaux de compagnie et au bétail, et plus récemment à plusieurs moutons de sa mère. « C’était la première fois que cela arrivait, mais ce ne sera probablement pas la dernière », dit-il. « Je pense que la population de coyotes a un peu augmenté. »

    « Les coyotes doivent être contrôlés », approuve John Van Etten, président de la fédération sportive, en se réchauffant dans la caserne de pompiers où les participants discutent, et admirent les prises des autres candidats, répertoriées par le nom du chasseur et le poids du coyote, sur des feuilles de papier blanc géantes couvrant des tableaux de liège. « Les chasseurs jouent ce rôle ». Sinon, selon lui, les coyotes souffriraient de maladies, comme la gale, une maladie de peau causée par des mites, ou encore de famine.

    Ce coyote, photographié par une caméra à distance, souffre de la gale, une maladie de la peau causée par des mites. De nombreux chasseurs affirment que le contrôle du nombre de coyotes permet d’enrayer la propagation de la gale mais, selon les scientifiques, la maladie n’est probablement pas déterminée par la taille de la population.

    PHOTOGRAPHIE DE Karine Aigner

    Michelle Lute, de Project Coyote, entend souvent cet argument « mais il ne tient pas la route », défend-elle. « La maladie et la famine font partie intégrante de la vie dans la nature, et leur apparition n’est pas simplement une question de taille de population. » Elle soutient que les coyotes n’ont pas besoin d’être contrôlés. « Ils sont natifs aux systèmes nord-américains. Ils fournissent un ensemble complet de services pour l’écosystème, allant du contrôle des rongeurs et des lapins à la réduction de la transmission de maladies et au nettoyage des carcasses, tout comme ils le font depuis des millénaires. »

    Un certain nombre d’études, menées notamment par le département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) et les services de gestion de la faune sauvage de plusieurs États, ont révélé que l’abattage des coyotes peut en réalité entraîner une augmentation de leur population. Lorsque certains coyotes sont tués, les survivants ont plus de petits mammifères à dévorer et, comme la nourriture devient plus abondante, ils ont des portées plus importantes. Les femelles survivantes se reproduisent plus tôt, et davantage de coyotes naissent et remplacent ceux qui ont été tués. Les chercheurs ont constaté que, bientôt, il y aura au moins autant de coyotes qu’avant le début des abattages. Une étude de l’USDA a révélé qu’après l’élimination de 60 à 70 % des coyotes d’une base militaire de plus de 100 000 hectares dans le sud-est du Colorado pendant deux ans, les animaux ont récupéré leurs pertes en seulement huit mois.

    Souvent, le désir d’éliminer les coyotes est motivé par une peur profondément ancrée des prédateurs sauvages. « Les coyotes causent beaucoup de dégâts dans les fermes et la faune locale », déclare Aileen Gunther, membre de l’assemblée législative de New York, qui vit dans les Catskills et est venue à la compétition pour soutenir ses électeurs. Elle affirme qu’elle combattra toute législation visant à interdire les compétitions de chasse dans son État. « Ces compétitions protègent nos citoyens. J’ai des petits-enfants qui courent dehors, et on ne veut pas voir un coyote s’approcher d’eux. »

    Selon Stanley Gehrt, écologiste à l’université d’État de l’Ohio, qui étudie les animaux à Chicago et ses environs depuis plus de vingt ans, il n’y a jamais eu que deux attaques mortelles de coyotes sur des humains en Amérique du Nord. En août 1981, un coyote s’est emparé d’une fillette de trois ans dans l’allée de la maison de ses parents à Glendale, en Californie. Selon Gehrt, l’attaque est probablement due au fait que des voisins avaient nourri les coyotes, ce qui leur a fait perdre leur peur des humains. Puis, en octobre 2009, deux coyotes de l’Est ont attaqué une femme de 19 ans dans le parc national des Highlands du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Ce cas était plus mystérieux. Selon les biologistes, les coyotes étaient affamés parce que les mammifères dont ils se nourrissaient habituellement, comme les lièvres d’Amérique, s’étaient raréfiés sur l’île, les obligeant à chasser l’orignal. La femme était peut-être une cible plus facile.

     

    UNE DÉCOUVERTE SURPRENANTE

    Un enquêteur de la Humane Society, qui a accepté de parler sous couvert d’anonymat, a récemment fait une découverte surprenante sur internet. Au début de l’année 2020, alors que les compétitions d’abattage d’animaux sauvages en personne étaient annulées pour éviter la propagation du COVID-19, les chasseurs ont décidé de former plusieurs groupes Facebook privés afin de proposer une alternative à distance.

    Les membres de ces groupes paient des frais, généralement compris entre 30 et 100 dollars (soit entre 28 et 95 euros), pour s’inscrire à des compétitions d’une durée de 24 à 48 heures, au cours desquelles ils tentent d’abattre les plus gros et le plus grand nombre d’animaux d’une espèce donnée, et ce en échange de prix monétaires pouvant aller de plusieurs centaines à plusieurs milliers de dollars. Les concurrents doivent soumettre une vidéo dans laquelle ils prononcent un mot ou une phrase choisie à l’avance en guise de code, et secouent leur proie molle, confirmant ainsi que l’animal vient d’être tué car la rigidité cadavérique ne s’est pas encore installée. Pour le concours de la proie la plus lourde, les vidéos doivent montrer la bouche et l’anus de l’animal pour prouver qu’ils ne l’ont pas rempli de pierres. Les administrateurs recueillent et distribuent les prix par l’intermédiaire de PayPal, en demandant aux participants de sélectionner l’option « envoyer à un ami » afin d’éviter tout contrôle.

    Gauche: Supérieur:

    Dan Clark, professeur de collège à la retraite, ramasse les carcasses de coyotes indésirables lors de la chasse du comté de Sullivan, et les ramène chez lui pour les dépecer. Trappeur pour fourrure de longue date, il vend les peaux jusqu’à 25 dollars pièce, soit un peu moins de 25 euros.

    Droite: Fond:

    Les collectionneurs d’os sur internet sont prêts à payer quelques dollars pour un crâne de coyote. Clark dit qu’il aime dépecer les coyotes car « cela permet d’utiliser quelque chose qui aurait sinon été gaspillé ».

    Photographies de Karine Aigner

    « Notre enquête a montré que les groupes de compétition d’abattage en ligne réunissent des milliers d’individus de presque tous les États du pays : certains où ces compétitions sont interdites, et beaucoup où elles ne le sont pas », déclare Kitty Block, présidente de la Humane Society. « Une loi fédérale est nécessaire pour mettre clairement et uniformément fin à ces compétitions cruelles dans tout le pays. » Elle ajoute que la réglementation et l’application de la loi sont compliquées au niveau des États, mais que le gouvernement fédéral a clairement l’autorité de superviser le commerce inter-États. En février 2021, la Humane Society a présenté les conclusions de l’enquêteur à Dana Nessel, procureure générale du Michigan. L’organisation a signalé qu’un groupe Facebook appelé Coyote Nation, créé en mars 2020 par un résident du Michigan nommé Cody Lee Showalter, 35 ans, est le plus grand et important des groupes de compétition d’abattage en ligne détectés à ce jour. Selon la page Facebook du groupe, il compte 3 200 membres.

    Dans une lettre adressée à Mme Nessel, la Humane Society explique en détail que les concours de Coyote Nation ont lieu presque toutes les semaines, avec des prix monétaires pouvant atteindre les 8 000 dollars (soit plus de 7 600 euros). De plus, certains membres demandent à étendre les concours, notamment pour chasser d’autres animaux tels que des renards ou des ratons laveurs, mais aussi pour organiser des éditions destinées aux enfants. La Society expose également les prétendues violations des lois pertinentes dans l’État, y compris de la jurisprudence qui illustre la portée des lois de l’État sur les jeux d’argent et les loteries privées.

    Un porte-parole de la procureure générale a déclaré que l’affaire était en train d’être examinée.

    Sans parler spécifiquement de Coyote Nation, Jen Ridings, responsable de la communication des politiques de Facebook, indique que les règles de l’entreprise interdisent les jeux d’argent sans l’accord de la plateforme. Mais elle a fait remarquer que la chasse, tout comme la pêche, n’est pas concernée par les politiques interdisant la promotion d’actes de violence physique contre les animaux.

    Showalter de Coyote Nation a refusé d’être interviewé, et a changé le nom de son groupe en CN après avoir été contacté par National Geographic. « Veuillez ne pas parler de quoi que ce soit en rapport avec notre groupe », a-t-il écrit sur Facebook. « Nous n’avons pas encore eu de problèmes avec les militants anti-chasse et j’aimerais que cela reste ainsi… Ce que nous faisons ici rassemble la communauté des chasseurs dans le cadre d’une compétition honnête, c’est pour cela que nous l’avons lancée et c’est pour cela qu’elle continue à bien fonctionner aujourd’hui. »

     

    DU BON BOULOT !

    Dans la caserne de pompiers de White Sulphur Springs, les derniers coyotes de la journée ont été suspendus à la balance. Il est 14 heures, le dimanche. La compétition est officiellement terminée. Les organisateurs passent une dernière fois en revue toutes les prises des participants et calculent la somme que chaque gagnant recevra par chèque. Ils se hâtent ensuite de traverser le parking jusqu’au garage géant, où un somptueux banquet a lieu, afin d’annoncer les gagnants. Les assiettes sont remplies de rôti de bœuf, de purée de pommes de terre en sauce, de maïs, de haricots verts et de salade de chou, le tout arrosé de bière et de soda.

    Impatient d’entendre les résultats finaux, Kautz, toujours habillé de son camouflage et de ses grosses bottes, est assis à une table avec un chasseur nommé Chuck Lewis qui vient de Melrose, dans l’État de New York. M. Lewis a fait deux heures de route pour inscrire six coyotes. Aucun de ses coyottes n’a été sélectionné, mais il affirme que les deux nuits blanches et le long trajet en valaient tout de même la peine, car il recevra 480 dollars (environ 460 euros). « Pour l’instant, je carbure aux cigarettes et au café. Je n’ai pas dormi », dit Lewis. « J’ai une gueule de bois de coyote. »

    Alors que lui et Kautz discutent d’autres compétitions auxquelles ils ont participé, Lewis mentionne qu’il apprécie les compétitions en ligne de Coyote Nation, car elles l’occupent entre les compétitions organisées en personne.

    Debout derrière une table couverte de prix de tombola, Van Etten prend finalement la parole au micro pour annoncer les gagnants. Au total, soixante-six coyotes ont été tués. Le plus lourd pesait 22,07 kilogrammes, et a été abattu par Timothy Kautz.

    Après avoir mesuré la température corporelle et le poids des coyotes, les juges coupent l’ongle d’une patte arrière pour s’assurer que personne ne puisse inscrire deux fois le même animal. Les participants reçoivent 80 dollars (environ 75 euros) pour chaque coyote inscrit.

    PHOTOGRAPHIE DE Karine Aigner

    « Bon boulot, mec ! », s’exclame Lewis.

    « Je n’arrive pas à croire que j’ai gagné », répond Kautz.

    Alors que le soleil se couche sur les Catskills, Kautz est plus riche de 2 440 dollars (2 320 euros). En plus du grand prix de 2 000 dollars, il reçoit 240 dollars pour avoir inscrit trois coyotes admissibles, et un bonus de 200 pour avoir ramené l’animal le plus lourd le vendredi. Il prévoit d’utiliser ses gains pour acheter une lunette thermique d’une valeur de 6 000 dollars (environ 5 700 euros), ce qui lui permettra d’améliorer son jeu de nuit lors des prochaines compétitions. Il espère que la prochaine fois qu’un coyote sera attiré par son appât, il ne le verra pas viser.

    Wildlife Watch est une série d'articles d'investigation entre la National Geographic Society et les partenaires de National Geographic au sujet de l'exploitation et du trafic illégal d'espèces sauvages. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles ainsi qu'à nous faire part de vos impressions à l'adresse ngwildlife@natgeo.com.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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