Pour les manchots empereurs, le temps est compté

En Antarctique, la fonte de la banquise a provoqué des pertes catastrophiques dans les colonies de manchots empereurs l'année dernière : une tendance qui devrait se poursuivre et mettre ces oiseaux emblématiques en grave danger d'extinction.

De Heather Richardson
Publication 29 août 2023, 13:52 CEST
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Lorsque la banquise sur laquelle leurs parents les élèvent se détache, les petits des manchots empereurs ont peu de chance de survivre.

PHOTOGRAPHIE DE Paul Nicklen, Nat Geo Image Collection

La banquise est essentielle à la survie des manchots empereurs. Ces oiseaux emblématiques, qui n’existent qu’en Antarctique, se reproduisent, pondent leurs œufs et élèvent leurs petits sur la banquise côtière. Chaque année, ils arrivent sur leurs sites de reproduction à la fin du mois de mars et y pondent leurs œufs en mai et en juin. Ces derniers éclosent au bout de soixante-cinq jours, en plein milieu du rude hiver du continent, et les nouveau-nés restent sur la glace, loin de l’eau. Ce n’est que pendant les mois d’été, en décembre et janvier, que leur duvet gris-argenté est remplacé par de nouvelles plumes imperméables et qu’ils peuvent enfin prendre le large.

L’année dernière, la banquise antarctique a atteint sa superficie la plus faible jamais enregistrée, battant ainsi le record déjà établi en 2021. C’est la région de la mer de Bellingshausen, à l’ouest de la péninsule Antarctique, qui a connu la fonte la plus importante de sa banquise, certaines zones affichant une perte de pas moins de 100 %.

Selon un article publié dans Nature Communications Earth & Environment, sur les cinq colonies de manchots empereurs connues dans la région de la mer de Bellingshausen, toutes sauf une ont subi ce qui était très probablement un échec total de reproduction en raison de la fonte des glaces. Les images satellite ont clairement montré que la glace s’était brisée avant que les poussins ne se soient suffisamment développés pour survivre dans l’eau par eux-mêmes.

« Nous n’avons jamais vu de manchots empereurs subir un tel échec de reproduction en une seule saison », a déclaré l’auteur principal de l’étude, Peter Fretwell, du British Antarctic Survey, dans un communiqué. « Avec la fonte des banquises qu’a connue cette région au cours de l’été antarctique, il est très improbable que les poussins déplacés aient survécu. »

Depuis 2009, date à laquelle la surveillance par imagerie satellite a commencé, des cas isolés d’échecs de reproduction « catastrophiques » ont été constatés en raison de la fonte rapide des glaces de l’Antarctique, mais le phénomène observé l’an dernier constitue le premier incident enregistré d’échec généralisé de la reproduction à l’échelle régionale.

Selon l’équipe chargée de l’étude, les résultats confirment également la projection selon laquelle, si le réchauffement actuel venait à se poursuivre, plus de 80 % des colonies de manchots empereurs seront quasi éteintes d’ici à 2100 : autrement dit, elles compteront trop peu d’individus pour assurer la subsistance d’une population.

 

UN APERÇU DE L’AVENIR DES MANCHOTS

La banquise antarctique était en augmentation jusqu’en 2015. Depuis, le continent a cependant connu quatre années durant lesquelles cette étendue de glace a atteint sa plus faible superficie en quarante-cinq ans de relevés satellitaires. Entre 2018 et 2022, 30 % des soixante-deux colonies connues de manchots empereurs du continent ont été affectées par une perte partielle ou totale de la banquise.

La situation ne semble pas s’améliorer cette année. Au début du mois, Dana M. Bergstrom, de l’Université de Wollongong, qui travaille depuis quarante ans dans la recherche antarctique et subantarctique, a écrit un article pour The Conversation sur les changements sur le continent : « Une grande partie de la glace de cet hiver a disparu. Un courant océanique crucial est en train de ralentir, et les glaciers et les plateformes de glace se désintègrent. »

Bien qu’il soit extrêmement difficile de déterminer si les variations annuelles de la banquise sont principalement dues au changement climatique mondial ou à des phénomènes climatiques et éoliens saisonniers tels que La Niña, la modélisation prévoit un déclin à long terme de l’étendue de la banquise antarctique.

Les récents échecs de reproduction « pourraient être un aperçu de ce qui se passera dans l’Antarctique de demain », avertit Norman Ratcliffe, du British Antarctic Survey, coauteur de la nouvelle étude.

Les manchots empereurs dépendent de la stabilité de la banquise non seulement pour la reproduction et l’élevage de leurs poussins, mais aussi pour leur mue et pour se protéger des prédateurs.

« Ce type de phénomène à échelle régionale est susceptible de devenir plus fréquent, ce qui aurait des conséquences dévastatrices pour les manchots empereurs et pour les autres espèces qui dépendent de la glace », s’inquiète Annie Schmidt, directrice du programme Antarctica de Point Blue Conservation Science et autrice principale d’une étude réalisée en 2020 sur le détachement précoce de la banquise qui a provoqué la perte d’un grand nombre de poussins.

 

« IL N’Y A PLUS DE TEMPS À PERDRE »

Désormais, l’objectif des chercheurs est d’observer si les colonies de Bellingshausen choisiront de retourner sur leurs sites de reproduction habituels ou d’explorer d’autres options, comme d’autres colonies ont pu le faire par le passé.

« Les [manchots] empereurs ayant un espace de reproduction peu fiable et assez éphémère, ils se sont adaptés et ont appris à se déplacer pour faire face aux pertes d’habitat », explique Ratcliffe. « Le problème, c’est lorsque le phénomène se produit à l’échelle régionale. La mer de Bellingshausen est une zone immense ; nous ne savons pas si les manchots pourront se déplacer dans une tout autre région de l’Antarctique. »

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    Les manchots empereurs sont à la fois des prédateurs et des proies importants dans la chaîne alimentaire du continent, et jouissent d’une très bonne réputation auprès des humains du fait des innombrables documentaires et films reprenant leur histoire tels que La Marche de l’empereur et Happy Feet.

    « Je pense que tout le monde serait d’accord pour dire que le monde subirait une grande perte si l’espèce venait à décliner ou à disparaître, et que cela indiquerait que notre gestion de la Terre aurait bel et bien lamentablement échoué », ajoute Ratcliffe.

    Dans l’avenir immédiat, pour protéger les manchots, les spécialistes suggèrent notamment de restreindre l’accès aux colonies qui n’ont pas encore reçu la visite des chercheurs et des touristes, afin de limiter les risques de perturbations et de pollution. Des appels ont également été lancés pour que le statut de conservation de l’espèce, qui est actuellement « Quasi menacé », repasse à « Vulnérable ».

    Le changement climatique représente sans aucun doute la plus grande menace pour les manchots empereurs. Avec le réchauffement de la planète, la banquise continuera de fondre et ces oiseaux emblématiques, ainsi que de nombreux autres animaux, disparaîtront probablement avec elle. Jeremy Wilkinson, physicien spécialiste de la banquise au British Antarctic Survey, affirme que l’échec de reproduction de l’année dernière « est un indicateur spectaculaire du lien entre la perte de la banquise et l’anéantissement de l’écosystème ».

    « La communauté scientifique impliquée dans la recherche sur l’Antarctique est globalement très préoccupée », reprend Schmidt ; un appel pour une action climatique immédiate a été lancé à l’issue du récent symposium sur la biologie du Comité scientifique de la recherche Antarctique (SCAR).

    Pour des espèces telles que le manchot empereur, la crise est déjà en cours. « Il n’y a plus de temps à perdre », alarme Wilkinson.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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