Quel animal est le meilleur espion : le chat ou le pigeon ?

Pendant la guerre froide, la CIA a dépensé 20 millions de dollars en mettant un chat sur écoute. Pourtant, ce sont les pigeons qui se sont révélés être les agents les plus discrets.

De Christian Elliott
Publication 16 févr. 2024, 10:11 CET
La plupart des gens ne se méfient pas des chats, ce qui fait d'eux l'animal idéal ...

La plupart des gens ne se méfient pas des chats, ce qui fait d'eux l'animal idéal pour l'espionnage clandestin. Dans les années 1960, la CIA a investi environ 20 millions de dollars dans l'opération « Acoustic Kitty » afin de créer le premier cyborg d'espionnage félin au monde.

PHOTOGRAPHIE DE Vincent J. Musi

En pleine guerre froide, la Central Intelligence Agency (CIA) se retrouvait perpétuellement confrontée à une difficulté en matière d'espionnage : la question de l'accès aux informations. Chaque situation exigeait une solution unique. Alors comment faire entrer un espion dans le sanctuaire sécurisé d’un chef d'État étranger, par exemple, qui n'admettait que ses plus proches confidents et les chats errants qu'il affectionnait ? En y envoyant un chat espion équipé d'un dispositif d'écoute, pardi.

La CIA baptisa l'opération « Acoustic Kitty ». Néanmoins, après cinq ans et 20 millions de dollars de recherche et développement, le projet fut abandonné en 1967, pour des raisons que tout propriétaire de chat aurait pu anticiper : pas facile de convaincre un animal, en particulier un chat, d'aller exactement là où on le lui demande et de rester à portée d'un récepteur radio.

Avant l'ère numérique et la microélectronique, l'espionnage était artisanal et tout était bon à tenter. Tout au long du 20e siècle, « les services de renseignement du monde entier ont pensé aux animaux comme moyen possible de pénétrer clandestinement dans des lieux auxquels un individu n'aurait pas eu accès autrement, et de transporter des messages ou du matériel », explique Robert Wallace, qui a dirigé l'Office of Technical Service de la CIA, la branche responsable des gadgets d'espionnage, dans les années 1990. « Il fallait penser à toutes les alternatives et si l'une d'entre elles semblait viable, persévérer jusqu'à prouver qu’elle ne l’était en fait pas ou qu'un meilleur moyen apparaisse ».

Aussi absurde qu’elle puisse paraître aujourd'hui, l'opération « Acoustic Kitty » était tout à fait sérieuse. Elle faisait, d’ailleurs, partie des nombreuses tentatives de recrutement d'agents secrets animaux pour leurs capacités sensorielles et leur aptitude à se fondre plus ou moins facilement dans la masse. Mais qu'est-ce qui fait d'un animal un bon candidat à l'espionnage ? Et les agents secrets à poils et à plumes ont-ils encore leur rôle à jouer dans l'espionnage moderne ?

 

LA CURIOSITÉ DU CHAT : UN VILAIN DÉFAUT ?

Acoustic Kitty était un cyborg félin, la combinaison entre un animal domestique sans prétention et la haute technologie. Pour cela, un vétérinaire, au cours d'une intervention chirurgicale mineure, inséra un petit microphone à l'intérieur de l’oreille pointue du chat, un excellent entonnoir naturel pour diriger le son. Le microphone fut ensuite relié à une batterie placée sous sa peau et connectée à une antenne externe tissée dans la longue fourrure du chat.

L'opération elle-même était assez révolutionnaire, explique Wallace. « Les stimulateurs cardiaques n’existaient pas encore, nous ne mettions pas d'électronique dans les mammifères, parce que c'est un environnement très inhospitalier, humide, chaud, mouillé ». Le chat supporta parfaitement l’opération, se souvient-il, même si le chef de projet s’évanouit à la vue du sang. La technologie fonctionna : le chat-micro pouvait capter et transmettre des conversations. Seul bémol : malgré sa formation par la CIA, Acoustic Kitty avait son libre-arbitre et n'était pas très doué pour rester près de ses cibles. Un essai sur le terrain dans un parc public, probablement rempli de distractions comme des pigeons et des écureuils, prouva que l'opération Acoustic Kitty n'allait pas fonctionner.

« On peut se demander à quoi ils pensaient », déclare David Welker, historien de la CIA. « Aucun d’entre eux ne possédait-il de chat ? On ne peut pas forcer un chat à faire quoi que ce soit. Je suis le fier propriétaire d'un chat et j'aurais pu leur dire que cela n'allait pas marcher ».

La curiosité innée des chats pourrait sembler être un bon trait de caractère pour l'espionnage, mais elle est aussi connue pour les tuer. Selon le célèbre récit de Victor Marchetti, ancien officier de la CIA et critique de l'agence, c'est exactement ainsi que l'histoire se termine. Lors de la première mission d'Acoustic Kitty, l’essai qui s’est déroulé dans un parc, le chat espion s'est égaré dans une rue et a été rapidement écrasé par un taxi.

« Cette version de Marchetti est bien plus amusante », déclare Wallace, mais en réalité, le chat a vécu une vie normale une fois que l'équipement d'espionnage lui a été retiré. Ce sont du moins les déclarations officielles de la CIA, selon Welker.

 

PIGEONS ET ESPIONS : QUI SE RESSEMBLE S'ASSEMBLE

Pour trouver un agent secret animal plus prometteur, la CIA n'eût pas besoin de chercher plus loin que chez les ennemis naturels d'Acoustic Kitty : les oiseaux. Plus précisément, chez un simple pigeon. Depuis l'Antiquité, les armées en guerre se servaient de pigeons voyageurs pour transmettre des messages, mais c'est au cours de la Seconde Guerre mondiale que ces oiseaux devinrent des outils d'espionnage à part entière. 

Le premier appareil photo pour pigeons, créé par l'inventeur allemand Julius Neubronner en 1907, comprenait un harnais léger en aluminium et un appareil photo à retardement.

PHOTOGRAPHIE DE Rorhof, Stadtarchiv Kronberg

Au début de la guerre, les réseaux de renseignement britanniques avaient été anéantis par l'avancée rapide des Allemands. Il n’y avait pas de reconnaissance aérienne dans l'Europe occupée et le célèbre code Enigma des nazis n'avait pas encore été décrypté. Cependant, dans les heures les plus difficiles de la Grande-Bretagne, des vétérans de la Première Guerre mondiale qui avaient utilisé des pigeons pour communiquer à travers les tranchées eurent une idée radicale. 

« Ils décidèrent de les lâcher depuis des avions de la Royal Air Force », explique Gordon Corera, journaliste britannique spécialisé dans les questions de sécurité et auteur d’un livre sur le sujet intitulé Operation Columba : The Secret Pigeon Service. Lors de vols secrets au-dessus de l'Europe occupée, « ils [poussèrent] des boîtes de pigeons avec un parachute et les [lâchèrent] pour voir s'ils [recevaient] quelque chose en retour ».

Les habitants de villages français et belges, prêts à tout pour résister à l'occupation nazie, risquèrent leur vie en écrivant des messages sur de minuscules bouts de papier et en les attachant aux pattes de pigeons britanniques désorientés qui atterrissaient dans des boîtes dans leurs jardins et leurs champs.

« Les pigeons sont dotés d'un super pouvoir, celui de retourner de là où ils viennent », explique Corera. « On ne sait toujours pas comment ils y parviennent, même si on les dépose à des centaines de kilomètres de là, dans un endroit qu’ils ne connaissent absolument pas. »

L'opération Columba fut un énorme succès : malgré des pertes considérables, les pigeons-espions ont ramené à Londres environ 1 000 messages qui contenaient des informations sur les installations radar, les mouvements de troupes nazies et les sites de fusées V1. Les pigeons reçurent des médailles pour leur bravoure.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les pigeons-espions furent utilisés à d’autres occasions. Pendant la guerre froide, les services secrets britanniques testèrent la capacité de l'oiseau à voler à travers des panaches de matières radioactives pour envoyer des messages en cas de guerre nucléaire. Aux États-Unis, dans les années 1970, dans le cadre de l'opération Tacana, la CIA conçut un minuscule appareil photo d’une taille adaptée aux pigeons afin qu’ils puissent la transporter au-dessus des installations militaires soviétiques et prendre des photos de meilleure résolution que les satellites espions contemporains lorsqu’ils feraient le chemin inverse, après avoir été libérés d'une trappe située dans le plancher d'une voiture modifiée.

La CIA essaya de former des oiseaux espions plus exotiques, comme des faucons, des corbeaux, voire des cacatoès, pour transporter l'appareil photo, mais elle se rabattit finalement sur le pigeon pour son côté passe-partout ainsi que sa capacité à parcourir de grandes distances sans atterrir et à toujours retrouver son chemin.

« Les pigeons n'attirent tout simplement pas l'attention », explique Welker, l'historien de la CIA. « Ils sont partout, et personne ne s'étonne d’en voir voler au-dessus de sa tête. »

 

UNE MÉNAGERIE SOUS COUVERTURE

Aujourd'hui, des technologies telles que les drones sont plus susceptibles que les chats ou les pigeons de fournir ces perspectives critiques non humaines. Acoustic Kitty et le projet Tacana sont donc aujourd'hui de l'ordre de l'histoire et du mythe de la CIA. « Ce qui s'est passé dans le monde de la surveillance technique, c'est que de meilleures méthodes sont apparues très rapidement dans les années 1980 », note Wallace. « Parfois, les inventions deviennent obsolètes très, très rapidement. »

Cela ne signifie cependant pas que la CIA ne s’intéresse plus du tout aux animaux. « Les temps changent, les technologies changent, mais ce qui n'a pas changé, c'est la mission de la CIA, qui est de fournir les meilleurs renseignements possibles », déclare Welker. « Les animaux sont toujours des partenaires potentiels de la mission de la CIA. »

Pour Corera, journaliste spécialisé dans la sécurité qui a vu l'Inde et le Pakistan s'accuser mutuellement au sujet des pigeons-espions et qui a entendu des rumeurs sur l'existence d'une branche chinoise d'entraînement des pigeons, il y a une raison évidente à cela. « En devenant de plus en plus dépendants de la technologie, nous comprenons également que nous pouvons l’être trop », explique-t-il. En cas de défaillance, les agences d'espionnage ont besoin d'options de secours. « Les pigeons font potentiellement partie de celles-ci. Je pense donc qu’ils n’ont pas nécessairement fait leur temps ».

Ce n'est peut-être pas le cas des chats. 

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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