Le phoque moine d'Hawaï va-t-il disparaître à cause des chats ?

De nombreux phoques moines d'Hawaï sont morts après avoir développé la toxoplasmose, une maladie transmise par les chats domestiques.

De Annie Roth
La femelle phoque moine d'Hawaï RT10 avec son troisième petit sur la côte nord de Oahu, ...
La femelle phoque moine d'Hawaï RT10 avec son troisième petit sur la côte nord de Oahu, en 2017.
PHOTOGRAPHIE DE Noaa Fisheries

En mai dernier, deux phoques moines d'Hawaï, une espèce en danger critique d'extinction, ont été retrouvés morts sur une plage d'Oahu. Il s'agissait de deux femelles et l'une d'entre elles était en gestation. Une nécropsie a été menée par des vétérinaires, qui ont déterminé que les deux phocidés avaient succombé à la toxoplasmose. Cette maladie, qui peut être fatale, est transmise par les chats domestiques.

Pour Claire Simeone, vétérinaire, il est indéniable que ces phoques aient succombé à la toxoplasmose.

« Il semblerait que les femelles aient plus tendance à mourrir des suites de cette maladie. Cela est très inquiétant sur le plan de la conservation [de l'espèce] », a déclaré la vétérinaire, directrice de l'hôpital Ke Kai Ola, une infrastructure dédiée aux phoques moines d'Hawaï.

Ces deux femelles, connues sous les noms de RK60 et RT10 par les chercheurs de la National Oceanic Atmospheric Administration (NOAA), ne sont pas les premiers phoques moines d'Hawaï à succomber à la maladie. Depuis 2001, onze phoques moines sont morts après avoir développé la toxoplasmose. Claire Simeone estime quant à elle que ce chiffre est bien loin de la réalité.

Il ne reste plus qu'environ 1 300 phoques moines d'Hawaï dans le monde. Par conséquent, la mort d'un individu, et en particulier d'une femelle en âge de se reproduire, est un coup dur pour l'espèce, explique la vétérinaire.

Mais les phoques moines d'Hawaï ne seraient pas les seules victimes de cette maladie, bien au contraire.

C'est le parasite monocellulaire Toxoplasma gondii qui est responsable de la toxoplasmose. Cette maladie est répandue chez les mammifère marins en raison du nombre grandissant de chats errants à proximité des bassins versants. Si la plupart des animaux contaminés résistent bien au parasite, ce n'est pas le cas des mammifères marins, pour qui la maladie s'avère particulièrement meurtrière. À titre d'information, environ 50 % de la population humaine dans le monde a contracté la toxoplasmose.

Des spécialistes des mammifères marins ont décidé d'agir et ont demandé aux villes d'Hawaï de contenir leur population de chats errants.

 

DU CHAT À LA MER

Tous les animaux à sang chaud peuvent développer la toxoplasmose mais seuls les chats sont capables de la transmettre. Ces félidés sont aussi les seuls animaux porteurs du parasite à l'origine de l'infection.

C'est en allant au petit coin que les chats infectés introduisent le « parasite de la litière pour chat » dans l'environnement. Au cours de sa vie, un chat porteur de la toxoplasmose peut libérer des milliards d'œufs du parasite, appelés oocystes, dans ses déjections.

Lorsqu'il pleut, les oocystes sont entraînés dans les rivières et les ruisseaux qui se jettent dans l'océan. À partir de ce moment, les œufs remontent dans la chaîne alimentaire marine jusqu'à trouver un animal à contaminer. Un seul œuf suffit pour que la maladie se développe.

Une fois à l'intérieur de leur hôte, les parasites s'introduisent dans les cellules qui tapissent le tube digestif puis se multiplient jusqu'à l'implosion des cellules. Cette armée de parasites se déplace ensuite dans le foie, le cerveau et les tissus musculaires, provoquant l'apparition de kystes et d'inflammations.

Les symptômes de la maladie diffèrent d'une espèce à l'autre : chez les phoques moines, la toxoplasmose affaiblit le système immunitaire et provoque une défaillance des organes vitaux ; chez les loutres de mer, la maladie peut provoquer des infections cérébrales, résultant en une morte lente de l'animal touché.

Une fois présents dans l'environnement, il est impossible de se débarrasser des oocystes. « Ils sont particulièrement coriaces », confie Patricia Conrad, professeur de parasitologie à l'école de médecine vétérinaire de l'Université de Californie, basée à Davis.

« Vous pouvez les conserver pendant des années dans de l'eau de Javel à 10 %. Une fois lavés, les parasites peuvent toujours se développer ».

 

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    LA TOXOPLASMOSE À L'ASSAUT DES OCÉANS

    Les scientifiques pensaient que la toxoplasmose ne touchait que les animaux terrestres il y a encore quelques années, avant de découvrir que des baleines, des dauphins, des lamantins, des oiseaux marins, des loutres et d'autres créatures marines étaient porteurs de la maladie.

    En 2013, des scientifiques ont annoncé qu'au moins 50 % des loutres de mer mâles vivant en Californie étaient porteurs de la maladie. Pas plus tard que le mois dernier, dans le sud du Chili, des chercheurs ont découvert que 77 % des loutres de rivières vivant dans le sud de la région présentaient le parasite.

    « Nous nous intéressons à la toxoplasmose depuis le début des années 2000, mais au cours des dernières années, nous sommes devenus de plus en plus préoccupés par la maladie », confie Michelle Barbieri, vétérinaire spécialiste des animaux sauvages et membre du Hawaiian Monk Seal Research Program (Programme de recherche sur les phoques moines d'Hawaï) du NOAA.

    « Nous sommes très inquiets pour plusieurs raisons et notamment parce que nous ne disposons d'aucun outil efficace pour limiter la propagation de la maladie. Si un phoque avale un hameçon, nous pouvons le soigner, mais avec la toxoplasmose, c'est bien plus compliqué », a expliqué Michelle Barbieri.

    La vétérinaire confie que la plupart des phoques moines d'Hawaï qui souffrent de la toxoplasmose meurent avant que son équipe n'ait eu l'occasion de les soigner. Résultat : la toxoplasmose est devenue la maladie la plus meurtrière chez l'espèce. Les phoques moines d'Hawaï, qui vivent uniquement dans les eaux d'Hawaï, figurent sur la liste des mammifères marins les plus menacés d'extinction au monde.

    Chassés à la limite de l'extinction au 19e et 20e siècles, la population de phoques moines d'Hawaï n'a pas encore retrouvé son niveau d'antan. Aujourd'hui, de nombreuses menaces pèsent sur l'espèce, comme les maladies, une faible variabilité génétique et le matériel de pêche abandonné dans lequel les phoques sont pris au piège.

    CONTENIR L'ÉPIDÉMIE

    Si la toxoplasmose est incurable, ce n'est pas une fatalité.

    Nous ignorons peut-être l'étendue de l'impact que la maladie a sur les mammifères marins, mais nous savons comment interrompre la vie du parasite qui cause cette maladie », a indiqué Angela Amlin, coordinatrice du programme dédié aux phoques de la NOAA.

    D'après Angela Amlin, la solution est de ne pas laisser sortir les chats domestiques et de stériliser les chats errants. L'Hawaiian Humane Society estime que l'île d'Oahu compte à elle seule 350 000 chats errants. La majorité d'entre eux sont nourris par les habitants. À Hawaï, une loi exige pourtant que les propriétaires d'animaux stérilisent et castrent leurs chiens et chats, mais il est difficile de contrôler si elle est bien respectée.

    Les chats errants ont récemment été ajoutés à la liste des espèces invasives de l'État par David Ige, gouverneur d'Hawaï. Il explique cette décision par l'impact que ces derniers ont sur les reptiles, les mammifères et les oiseaux menacés d'extinction qui vivent sur l'archipel.

    « Pouvons-nous éviter le problème ? Oui. Mais est-il facile à éviter ? Pas forcément », souligne Angela Amlin. « Il est difficile de déterminer quelles mesures prendre lorsqu'il y a autant de chats autour de nous. De plus, les habitants ont des opinions bien arrêtées et différentes sur la façon dont nous devons nous attaquer au problème. »

    La parasitologue vétérinaire Patricia Conrad indique que la meilleure décision que puissent prendre les propriétaires de chats est de les empêcher de sortir. « Des études montrent que les chats d'intérieur vivent plus longtemps et sont en meilleure santé. Si nous perdons les phoques moines d'Hawaï, nous les perdrons pour toujours. »

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