Le projet controversé pour sauver les caribous en Colombie-Britannique

Un troupeau de caribous au bord de l’extinction a fait une remontée étonnante grâce à un programme élaboré par des peuples autochtones de Colombie-Britannique, au Canada.

De Neil Shea
Publication 8 avr. 2022, 10:30 CEST
Cette femelle caribou a été le première de l'année 2022 à être capturée et transportée dans ...

Cette femelle caribou a été le première de l'année 2022 à être capturée et transportée dans un enclos de maternité dans les montagnes Rocheuses de Colombie-Britannique, au Canada. Ce grand enclos, niché dans la forêt, offre aux futures mères un espace protégé pour donner naissance et élever leur nouveaux-nés. Une fois assez forts, les mères et leurs bébés sont relâchés dans la nature.

PHOTOGRAPHIE DE Ryan Dickie

En Colombie-Britannique orientale, au Canada, les caribous étaient autrefois trop nombreux pour être comptés.

« Nos aînés nous disaient qu’ils étaient aussi épais que des insectes dans le paysage », a déclaré Roland Willson, chef de la Première Nation de West Moberly, l’un des nombreux groupes autochtones dont la survie dépendaient du caribou. « Ils étaient toujours dans les parages. »

Aujourd’hui, les caribous sont si peu nombreux que l’on peut compter les membres de certains troupeaux sur nos deux mains. Dans le territoire sauvage des West Moberly, non loin de la frontière avec l’Alberta, leur population a lentement diminué au cours du siècle dernier, à mesure que les colons se déplaçaient vers l’ouest et que leurs projets d’exploitation forestière, d’exploitation minière et de barrages détruisaient les forêts anciennes et remodelaient le paysage. Lorsque le chef Willson est né, en 1966, l’ère des énormes troupeaux était révolue. En 2000, au moment où il a été élu chef, le caribou de sa région avait été inscrit sur la liste des espèces menacées par le gouvernement fédéral.

« Mes premiers souvenirs du caribou, c’est quand on m’a dit qu’on ne les chassait plus parce qu’il n’y en avait pas assez », confie Willson. « Je n’ai moi-même jamais chassé le caribou. »

Dans toute l’Amérique du Nord, le tableau est sombre pour le caribou. Les troupeaux sont en déclin de l’Alaska arctique et des terres arides des Territoires du Nord-Ouest jusqu’aux forêts du Québec et aux montagnes de Colombie-Britannique. Pour une espèce qui représente une proie aussi importante et qui parcourt le continent depuis des millénaires, fournissant ainsi de quoi manger à des millions d’autres créatures ainsi que de la nourriture culturelle et spirituelle à des centaines de peuples autochtones, leur déclin est une lente catastrophe. Les scientifiques ne comprennent pas entièrement ce phénomène, et les gouvernements semblent incapables, et souvent peu désireux, de s’attaquer au problème.

Willson et son peuple, aux côtés de leurs voisins des Premières nations des Saulteaux, ont donc pris les choses en main. Ils ont commencé à protéger les caribous en gestation, à restaurer leur habitat essentiel et à chasser les loups. Aujourd’hui, ils sont à la pointe de la conservation du caribou.

En mars, les West Moberly, les Saulteaux et leurs collaborateurs des universités de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et du Montana ont publié les résultats d’un programme sur neuf ans visant à sauver le troupeau Klinse-Za. Les Klinse-Za sont des caribous de montagne du sud, une sous-espèce autrefois largement répandue dans les forêts anciennes du centre-sud de la Colombie-Britannique. Contrairement à leurs cousins de l’Arctique, les caribous de montagne n’effectuent pas de grandes migrations et ne se rassemblent pas en troupeaux de dizaines de milliers d’individus. Du moins plus maintenant.

Lorsque le projet a été lancé en 2013, il ne restait que 38 caribous de Klinse-Za. Aujourd’hui, grâce aux efforts des West Moberly et des Saulteaux, la population du troupeau a triplé pour atteindre les 114 individus : un exploit qui n’avait été atteint nulle part ailleurs.

Ce retour d’une espèce qui était au bord de l’extirpation, c’est-à-dire de l’extinction locale, est stupéfiant selon Clayton Lamb, un chercheur des universités de la Colombie-Britannique et du Montana, qui est l’auteur principal de l’un des articles récemment publiés.

« Une augmentation remarquable. Sans précédent », dit-il. « Avec les bonnes personnes et les bonnes techniques, nous avons montré qu’il est possible de lentement récupérer ces animaux. »

Lamb a expliqué qu’avant le début du projet, une combinaison de facteurs, notamment le développement humain, la fragmentation de l’habitat et l’augmentation du nombre de prédateurs comme les loups et les grizzlis, la population de Klinse-Za avait presque été réduite à néant. En collaboration avec des scientifiques et des consultants privés, et en s’appuyant sur leurs propres connaissances traditionnelles des caribous et du territoire, les West Moberly et les Saulteaux ont supervisé un plan visant à résoudre ces problèmes de la manière la plus globale possible.

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    Un groupe de trois caribous du troupeau des Klinse-Za broutent du lichen dans la zone alpine supérieure de leur habitat, près du site de l’enclos de maternité. Quand le projet a été lancé en 2013, il ne restait que 38 caribous de Klinse-Za. Aujourd’hui, la population du troupeau a triplé pour atteindre les 114 individus : un exploit qui n’a été atteint nulle part ailleurs.

    PHOTOGRAPHIE DE Ryan Dickie

    Lamb a expliqué que le plan visait à augmenter le taux de survie des petits à court terme, tout en s’efforçant de restaurer l’habitat à long terme.

    Mais avant que tout cela ne puisse arriver, selon les mots du chef Willson : « Nous devons tuer des loups. »

    Dans certaines régions, les loups sont tolérés, voire protégés par la loi. Mais la réduction des prédateurs, que l’on appelle aussi l’abattage, est une technique courante (et controversée) qui a pu être utilisée dans de nombreux pays. En Colombie-Britannique, l’abattage des loups a été largement déployé comme mesure pour sauver les caribous, tant par le gouvernement provincial que par les Premières nations qui gèrent leurs terres ancestrales.

    Selon Lamb, les recherches menées sur le troupeau de Klinse-Za ont montré que leurs petits étaient les plus susceptibles d’être tués par des prédateurs. Ils étaient particulièrement vulnérables dans les semaines suivant leur naissance. Cette situation, combinée au nombre dangereusement bas d’individus, aggravait le problème : si trop peu de petits survivaient jusqu’à l'âge de la reproduction, le troupeau ne se rétablirait jamais.

    Les loups ne sont pas les seuls prédateurs à s’attaquer aux petits des caribous : les ours, les carcajous et, plus récemment, les pumas, les chassent aussi. Au début du programme pour les caribous, les populations de loups étaient beaucoup plus nombreuses que par le passé, explique Lamb. Cette augmentation était liée à l’activité humaine, en particulier à l’exploitation forestière, ce qui a fracturé les forêts anciennes préférées par les caribous, et a ainsi permis à d’autres espèces de proies de s’y installer, ajoute le chercheur.

    « Les coupures nettes dans les forêts créent un meilleur habitat pour les orignaux et les cerfs, ce qui attire les loups. Et les chemins forestiers sont ce que les prédateurs utilisent pour accéder à ces zones », précise-t-il.

    Avant l’arrivée des colons européens, lorsque les West Moberly et les Saulteaux vivaient de la chasse et de la cueillette, moins d’orignaux et de cerfs de Virginie étaient présents dans la région. Les caribous étaient plus nombreux, et ils coexistaient avec les loups dans un équilibre relatif. L’explosion du nombre d’orignaux et de cerfs dans les paysages perturbés par l’homme a cependant offert un menu plus large aux loups. Plus de nourriture engendre plus de loups. Et les caribous, selon le chef Willson, sont leurs cibles les plus faciles.

    « Nous ne souhaitions pas effectuer un abattage des loups », confie Willson. « Mais leur population était déséquilibrée. Ils étaient trop nombreux. Nous avons compris que nous devions diminuer la population de loups pour protéger les caribous. »

    Après la première année du programme pour les caribous, les West Moberly et les Saulteaux ont entamé la deuxième phase de leur projet : la construction d’un enclos pour les femelles.

    Starr Gauthier et Jordan Garbitt, des Premières nations de Saulteaux, attendent le réveil d’un caribou mis sous sédatif après son transport à l’enclos de maternité pour les Klinse-Za. Les recherches sur le troupeau réduit de Klinse-Za ont montré que les nouveau-nés étaient les plus susceptibles d’être tués par des prédateurs. Si trop peu de petits survivaient jusqu’à l'âge de la reproduction, le troupeau ne pourrait jamais se rétablir.

    PHOTOGRAPHIE DE Ryan Dickie

    L’enclos de maternité est une pratique qui consiste à attraper les femelles caribous en gestation et à les transporter dans un espace où elles sont protégées des prédateurs. Cela leur permet d’échapper au stress de la prédation, tout en leur offrant un endroit où elles peuvent donner naissance et élever leurs nouveau-nés en toute sécurité. Une fois que les petits tiennent sur leurs pattes, ils sont relâchés avec leurs mères dans la nature.

    Scott McNay, directeur du programme pour les caribous, a déclaré qu’au début de leur projet, les enclos de maternité n’étaient pas parvenus à faire leurs preuves : ils avaient été essayés à plusieurs reprises, mais sans grand succès.

    « Nous l’avons fait parce que nous estimions qu’aucune autre approche ne pouvait fonctionner avec le nombre de caribous que nous avions », a déclaré McNay. En d’autres termes, pour un troupeau au bord de l’extinction, l’enclos était la seule option.

    McNay et sa femme, Line Giguere, avec l’aide des West Moberly et des Saulteaux, ont choisi un site d’enclos en altitude dans les montagnes. Ils ont commencé par construire une clôture périphérique en enroulant une toile de jardin noire autour des arbres, offrant ainsi aux caribous un enclos suffisamment grand pour qu’ils puissent s’y procurer leur nourriture naturelle. L’équipe a ensuite fixé une clôture électrique à l’extérieur de la clôture en tissu afin d’éloigner les prédateurs. Enfin, à la fin de l’hiver, ils y ont fait entrer des caribous.

    Les femelles des Klinse-Za ont été capturées à l’aide de fusils à filet, depuis un hélicoptère. Elles ont ensuite été transportées jusqu’à l’enclos dans de grands sacs, conçus spécialement pour assurer la sécurité de ces animaux à longues pattes et aux bois complexes (chez les caribous, les mâles et les femelles ont des bois).

    Une fois dans l’enclos, les caribous étaient gardés 24 heures sur 24 par des membres des nations West Moberly et Saulteau. Les futures mères pouvaient brouter, et leur régime alimentaire était complété par des granulés du commerce et du lichen ramassé à la main par les West Moberly. En juin, quelques semaines après l’accouchement, les femelles et leurs petits étaient relâchés.

    Ce processus, répété chaque année, s’est avéré très efficace.

    « Ce qui m’a surpris, c’est le taux d’augmentation », a déclaré McNay. « Nous avons eu un taux de 14 % depuis que nous avons commencé. C’est l’effet de l’enclos. »

    L’enclos de maternité et les opérations d’abattage des loups se montrant efficaces, les nations ont également commencé à discuter de la conservation de l’habitat du caribou, crucial pour la santé à long terme du troupeau. En 2020, elles ont signé un accord avec les gouvernements provincial et fédéral afin de protéger plus 7 500 kilomètres carrés de montagnes, de forêts, de cours d’eau et de terres perturbées, c’est-à-dire de zones qui ont été touchées par l’activité humaine.

    Selon McNay, les travaux de restauration au sein de la zone protégée ont déjà commencé. Ils comprennent notamment le reboisement, ainsi que la « déconstruction » de ce que l’on appelle les éléments linéaires : les chemins forestiers, les sentiers et autres voies dessinées lors des explorations pétrolière et gazière. Ces éléments fragmentent les zones de répartition des caribous, et créent des routes pour les humains et les prédateurs. Les effacer, du moins autant que possible, permettra de réduire la pression qui pèse sur les Klinse-Za, explique McNay.

    Caeley Thacker, vétérinaire provincial pour la faune, et les membres de l’équipe de capture surveillent une femelle caribou sous sédatif, dans l’enclos de maternité des Klinse-Za. Les caribous sont capturés à l’aide de tirs de fusils à filet depuis des hélicoptères.

    PHOTOGRAPHIE DE Ryan Dickie

    « La restauration de l’habitat est de loin la chose la plus importante que nous puissions faire », a-t-il déclaré. « Nous ne continuerons pas l’abattage des loups et les enclos de maternité éternellement. Ce sont des mesures temporaires. Il s’agit donc de savoir combien d’espaces nous pouvons restaurer. »

    Selon le chef Willson, Lamb et McNay, le succès du projet parle de lui-même : les Klinse-Za ont été sauvés de ce qui était une extinction locale presque assurée. Lamb et McNay soulignent également que le travail de leurs équipes prouve que la réduction des populations de loups et les enclos de maternité peuvent être des techniques efficaces à court terme pour sauver les petits troupeaux qui ne tiennent plus qu’à un fil.

    À terme, les West Moberly et les Saulteaux espèrent restaurer les populations de Klinse-Za assez pour que les chasseurs autochtones puissent à nouveau les exploiter. Pour les West Moberly à eux seuls, qui comptent environ 350 personnes, il faudrait que le troupeau atteigne plus de 3 000 individus. Willson confie qu’il ne s’attend pas à voir de tels chiffres de son vivant, mais il a bon espoir que ses petits-enfants puissent le voir.

    « Toute la communauté est fière de ce projet », affirme-t-il. « C’est quelque chose qui devrait être célébré. En sauvant le caribou, nous nous sauvons nous-mêmes. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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