Les pumas de Los Angeles sont menacés par la consanguinité

Coupés les uns des autres par les routes et l’urbanisation, les félins affichent une diversité génétique dangereusement faible. Mais il y a encore de l’espoir pour cette population.

De Douglas Main
Publication 11 mai 2022, 16:55 CEST
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P22, un puma bien connu de la région, saisi par un piège photographique à Griffith Park, Los Angeles, aux États-Unis.

PHOTOGRAPHIE DE Steve Winter, Nat Geo Image Collection

Los Angeles est la seule grande région métropolitaine au monde à abriter une pléthore de pumas. Ces derniers chassent et se reproduisent dans les collines qui surplombent les quartiers résidentiels aux maisons rutilantes. Certains de ces félins intrépides sont devenus célèbres, à l’instar du célibataire P22, qui vit à Griffith Park, une zone vallonnée de la ville où est érigé l’iconique panneau Hollywood.

Aussi connus sous le nom de cougars, ces grands félins sont pourtant menacés. Selon une nouvelle étude, ils présentent une consanguinité élevée, conséquence de la fragmentation de leur habitat. Les principaux axes routiers, et en particulier la Route 101, sont pointés du doigt : en restreignant les mouvements des animaux, ils limitent également le flux génétique. Selon les spécialistes, si la connectivité entre les habitats n’est pas améliorée par la création de corridors fauniques, les pumas de Los Angeles sont voués à s’éteindre localement au cours des prochaines décennies.

La chaîne montagneuse de Santa Monica abrite environ une dizaine de pumas, qui sont coupés des populations alentour. Cet isolement conduit à une diversité génétique dangereusement faible.

PHOTOGRAPHIE DE Steve Winter, Nat Geo Image Collection

Dans une étude récemment parue dans la revue Theriogenology, des scientifiques ont découvert que neuf pumas vivant dans la région de Los Angeles présentaient soit des taux très élevés de spermatozoïdes anormaux, soit des malformations au niveau de la queue, signes d’un sérieux manque de diversité génétique. Deux mâles présentaient également des anomalies testiculaires, également reconnues comme étant dues à la consanguinité. La région de Los Angeles ne comptant que quelques dizaines de pumas, c’est donc une part importante de la population de félins qui est touchée.

Plusieurs de ces indications, observées entre décembre 2019 et décembre 2020 dans le cadre de travaux de recherche classiques et de nécropsies réalisées sur des animaux percutés par des véhicules, ont été observées chez des félins vivant dans la région métropolitaine et sa périphérie. Avant cette étude, un seul spécimen à la queue déformée avait été observé dans la région. C’était en 2019.

« Nous avons atteint un point critique en matière de génétique », explique Audra Huffmeyer, chercheuse postdoctorale en biologie de la conservation à l’Université de Californie de Los Angeles et exploratrice National Geographic.

Pour survivre à long terme, un nombre plus important de pumas doit pouvoir circuler librement entre les deux zones les plus isolées où vivent les animaux : la chaîne montagneuse de Santa Monica, située au nord-ouest de la ville, et celle de Santa Ana, au sud-est.

Tout n’est cependant pas perdu pour les félins. Ainsi, un nouvel écoduc devrait bientôt être érigé au-dessus de la Route 101 pour permettre aux animaux de franchir l’axe sans danger. La cérémonie d’inauguration du projet a eu lieu le 22 avril dernier (le jour de la Terre) et le pont devrait ouvrir en 2025.

« Je pense que ce passage peut permettre d’éviter l’extinction » de la population de Santa Monica, confie Seth Riley, coauteur de l’étude et écologiste de la faune sauvage pour le National Parc Service des États-Unis, qui enseigne également à UCLA. « Nous sommes confiants quant à l’action bénéfique qu’il aura pour toute la faune, notamment les pumas, en améliorant la connectivité ».

 

DES FÉLINS MENACÉS

Les pumas étaient autrefois présents sur la majeure partie du territoire des États-Unis contigus. Mais avec la chasse, répandue et soutenue par le gouvernement, leur aire de répartition a fondu, si bien qu’elle se limitait à la partie ouest du pays au milieu du 20e siècle. Les félins, également connus sous le nom de cougars ou de lions de montagne (dont le nom scientifique est Puma concolor), sont aussi bien implantés en Amérique centrale et du Sud.

Les panthères de Floride, reconnues par le gouvernement américain comme une sous-espèce du puma, sont parvenues à se maintenir dans les régions sauvages du sud de la Floride. Coupées de toute autre population, elles n’ont pas tardé à souffrir de consanguinité. Les animaux ont alors commencé à présenter des taux élevés de malformations spermatiques, testiculaires et au niveau de la queue. L’introduction, en 1995, de huit pumas du Texas femelles, dont cinq se sont reproduites avec des panthères de Floride, qui a eu pour effet l’augmentation des effectifs de ces dernières et l’amélioration de leur diversité génétique, a permis de sauver la sous-espèce.

Dans les années 1980, soit avant les opérations de sauvetage génétique, les trois quarts des panthères de Floride étudiées présentaient des malformations au niveau de la queue et plus de la moitié des malformations testiculaires. C’était bien plus que ce qui est actuellement observé en Californie du Sud, souligne Dave Onorato, chercheur auprès de la Florida Fish and Wildlife Conservation Commission (Commission de conservation du poisson et de la faune de Floride) qui n’a pas pris part à l’étude.

Il précise toutefois que les scientifiques « commencent à observer ces signes » à Los Angeles, « et que cela justifie certainement de tirer la sonnette d’alarme ».

 

UNE CONSANGUINITÉ ATTESTÉE

Seth Riley et de nombreux collaborateurs étudient les pumas de la région de Los Angeles depuis 20 ans.

Pour réaliser leur dernière étude, Audra Huffmeyer et ses collègues ont recueilli des observations des félins dans la métropole californienne. Une dizaine d’individus environ vivent dans la chaîne montagneuse de Santa Monica et jusqu’à 12 spécimens résident dans celle de Santa Susanas, située au nord de la ville et traversée par la Route 101. Une vingtaine d’autres vivent dans la chaîne de Santa Ana, au sud-est de Los Angeles. Enfin, une population plus importante a élu domicile à l’intérieur des terres, dans la partie est des Peninsular Ranges, indiquent Winston Vickers et Justin Dellinger, biologistes au Centre de santé de la faune de l’école de médecine vétérinaire UC Davis.

Entre décembre 2019 et décembre 2020, les chercheurs ont observé à l’aide de pièges photographiques trois animaux présentant une malformation au niveau de la queue qui appartenaient aux populations des chaînes montagneuses de Santa Monica et de Santa Susana. Un quatrième individu, que les scientifiques ont examiné sur le terrain dans les montagnes de Santa Monica, avait lui aussi la queue déformée et un testicule non descendu.

Audra Huffmeyer a également procédé à une analyse de la qualité des spermatozoïdes chez cinq félins abattus par arme à feu, empoisonnés à la mort aux rats ou percutés par des véhicules. Tous provenaient des populations de Santa Monica, Santa Ana et de l’est des Peninsular Ranges. En moyenne, 93 % des spermatozoïdes des pumas présentaient une malformation. Un chiffre très élevé, qui correspond à celui constaté chez les panthères de Floride avant le début des opérations de sauvetage génétique, souligne Dave Onorato.

 

AU SECOURS DES PUMAS

Afin d’accroître la diversité génétique, un nombre plus important de félins doit pouvoir circuler entre ces populations isolées. Le 22 avril dernier, les travaux de l’écoduc Wallis Annenberg, projet porté par un consortium de groupes environnementaux, ont débuté. D’un coût de 90 millions de dollars (environ 85 millions d’euros), le pont enjambera la dizaine de voies de circulation de la 101 Freeway, permettant ainsi aux pumas, coyotes, cerfs et autres animaux de rejoindre la chaîne montagneuse de Santa Monica ou celle de Santa Susana.

Les collines Agoura, une région au terrain accidenté vers laquelle se dirigent naturellement les animaux sauvages, ont été choisies pour accueillir le projet. Les scientifiques sont certains que la faune empruntera le pont, en particulier les espèces qui ont besoin d’un vaste territoire, comme les pumas.

Mais pour sauver les félins, il faudra d’autres écoducs, notamment sur l’Interstate 15, qui sépare la chaîne montagneuse de Santa Ana des populations de pumas établis dans l’est de la région. Selon Audra Huffmeyer, il pourrait un jour être nécessaire de procéder au transfert de pumas issus d’autres parties du pays pour améliorer la diversité génétique des populations de félins de Los Angeles. Mais il s’agit là d’une solution de dernier recours.

Pour l’heure, les scientifiques ont hâte que se terminent les travaux de l’écoduc et de voir les pumas l’emprunter.

« Il suffit de quelques spécimens qui le franchissent pour faire une grande différence », affirme Seth Riley.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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