L'homme est en train de détruire l'écosystème ichtyen

Selon une étude récente, la pêche provoque la disparition des plus vieux poissons. Si les conséquences écologiques inquiètent, les réserves marines peuvent être une solution.

De Craig Welch
Une morue se faufile à travers une zone de varech, au sein de la plus haute ...
Une morue se faufile à travers une zone de varech, au sein de la plus haute zone de répartition sous-marine, dans le golf du Maine et la chaîne sous-marine de Cashes Ledge.
PHOTOGRAPHIE DE Brian Skerry, National Geographic Creative

Selon une nouvelle étude, l'humanité est en train de décimer les plus vieux poissons des océans, modifiant ainsi les réseaux trophiques océaniques et rendant les populations de nombreuses espèces importantes et consommées par les hommes moins stables et résistantes.

Dans le cadre d'une des premières études de ce type, une équipe d'experts s'est servie de modèles et de données relatives à la capture des poissons en vue d'analyser 63 populations de poissons majeures aux États-Unis et en Europe, de la morue au flétan du Groenland, en passant par le sébaste, le merlu, le mérou et la sole. Ils ont constaté une baisse importante du nombre de poissons les plus âgés dans près de 80 % des populations. Le nombre de ce type de poissons avait chuté de plus de 90 % pour près d'un tiers de ces populations.

Ces constats touchaient aussi bien les sébastes aux yeux jaunes (qui peuvent vivre plus d'un siècle), les vivaneaux (qui vivent généralement jusqu'à 50 ans), ou la morue du Pacifique (dont la durée de vie excède rarement les 18 ans). Certains harengs ne vivent pas plus de sept ans. Toutefois, dans la majorité des cas et même là où la pêche est réputée durable, les membres les plus âgés de la population — le tiers le plus vieux — étaient décimés.

« Ceci est préoccupant », affirme Lewis Barnett, auteur principal de l'étude et chercheur postdoctoral à l'université de Washington et auprès du Northwest Fisheries Science Center de l'Administration américaine des océans et de l'atmosphère. « Que des poissons jeunes et vieux coexistent est essentiel du fait du changement des conditions environnementales qui pourrait favoriser une population au détriment d'une autre dans les années à venir. »

Les poissons les plus âgés sont susceptibles de manger d'autres aliments et d'évoluer dans d'autres régions des océans que leurs homologues plus jeunes. De nombreux poissons s'installent dans les varechs ou dans les palétuviers lorsqu'ils sont jeunes, avant de migrer au large des côtes. Les poissons plus âgés enfantent des petits plus viables car plus imposants. D'après les chercheurs, le massacre des poissons plus âgés peut provoquer la vulnérabilité du reste de la population face aux maladies, à la hausse des températures ou à la pollution et augmenter ainsi les risques d'extinction.

Comme pour la protection des arbres les plus anciens d'une forêt séculaire, « la biodiversité est la clef d'une plus grande stabilité », explique l'auteur de l'étude.

 

LEURS CHANCES DE SURVIE SONT MINCES

L'idée selon laquelle la pêche porte davantage préjudice aux individus les plus vieux d'une espèce n'est en elle-même pas nouvelle. Cependant, selon Villy Christensen, professeur à l'Institut des océans et de la pêche de l'université de Colombie-Britannique qui n'a pas participé à l'étude, il s'agit de « l'une des premières études à rendre compte de l'ampleur du problème ». Pour lui, « il nous faut rétablir les populations de poissons afin qu'elles comprennent des proportions saines d'individus plus âgés comme barrière protectrice contre l'extinction de la population ».

Les auteurs de la nouvelle étude publiée dans la revue Current Biology se sont uniquement penchés sur les populations de poissons au large des deux continents, à l'aide des données les plus précises à disposition. Au vu de la cohérence entre les résultats, ils s'attendent à des conclusions similaires pour les poissons importants au large de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique du Sud. Dans les pays en développement, la pêche est généralement moins réglementée. Par conséquent, « l'ampleur du déclin des poissons les plus vieux à l'échelle mondiale dépasse certainement les estimations présentées ici », indiquent les chercheurs.

Le problème est en réalité assez simple. Il existe peu de méthodes de pêche qui distinguent les poissons jeunes des poissons plus âgés ; la majorité des exploitations commerciales se retrouvent à ramener des poissons de tous âges. Au fil du temps, tous les poissons sont exposés aux risques des filets et des hameçons. En vieillissant, de moins en moins de vieux poissons réussissent à passer entre les mailles du filet. Leur nombre est donc considérablement réduit.

« Selon moi, ce schéma a de fortes chances d'être valable dans n'importe quelle région où la pêche est répandue », explique Trevor Branch, co-auteur de l'étude et biologiste des pêches à l'université de Washington. « Si vous pêchez, les poissons âgés seront de moins en moins nombreux, même si vous pensez faire les choses correctement. »

Le merlu du Pacifique, l'un des poissons les plus pêchés le long de la côte ouest des États-Unis, est réputé pour être soumis à une bonne gestion. On trouve ce poisson dans les sandwiches, les bâtonnets de poissons congelés, les huiles oméga-3 et le surimi. Actuellement, le nombre de merlus est assez élevé. Pourtant, les scientifiques ont découvert que la pêche avait décimé 90 % de leur groupe le plus âgé.

« Si cela ne vous convient pas, c'est qu'il est temps de changer la manière dont sont gérées les pêcheries », explique le co-auteur de l'étude.

 

UNE SOLUTION TOUTE SIMPLE

L'une des solutions consisterait à instaurer des limites dites d'intervalle, lesquelles empêcheraient la pêche de poissons au-delà d'une certaine taille. Cette méthode participerait à la protection des membres âgés d'une population. Elle peut toutefois s'avérer complexe et onéreuse, aussi bien pour l'industrie que pour les régulateurs. Une alternative consisterait à alterner les zones de pêche d'une saison à l'autre, comme le font les agriculteurs avec leurs cultures, afin de permettre à certaines régions de se rétablir.

Cependant, la manière la plus simple de protéger les vieux poissons est peut-être celle qui a attiré le plus l'attention au cours de ces dernières années, à savoir l'établissement de réserves marines. En instaurant des zones d'interdiction de pêche, nous nous assurons qu'une partie de la catégorie la plus âgée ne risque jamais d'être capturée.

« Je suis un fervent partisan des zones d'interdiction de pêche », affirme Trevor Branch. « Si l'on souhaite maintenir en vie les poissons plus âgés, il va nous falloir renoncer à une partie de nos prises. »

Selon lui, ce serait également le meilleur moyen de s'assurer que les poissons puissent être pêchés pour les années à venir.

« Il faut y voir une forme de politique d'assurance », ajoute-t-il.

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